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LES CRITIQUES SOCIALES DU SPORT

« Penser, c’est dire non. Remarquez que le signe du oui est d’un homme qui s’endort ; au contraire le réveil secoue la tête et dit non ».

Alain – « Propos sur les pouvoirs »

La pensée est l’une des caractéristiques essentielles des individus, au sens strict, et pourrait-on dire au sens fort du terme, penser équivaut à réfléchir. Penser au sens de réfléchir, c’est, avant tout, opérer un retour sur soi-même, prendre du recul sur ses propres pensées pour les examiner.

Etymologiquement, « penser » vient du latin « pensare » qu’on peut traduire par : « peser », « apprécier » ou encore « évaluer ». Si on suit cette définition, l’homme qui pense, c’est celui qui prend la mesure, qui évalue les opinions.

Le penseur, c’est celui qui « dit non » aux apparences sensibles, au monde des apparences, le monde tel qu’il est perçu par nos sens.

Le penseur, c’est celui qui « dit non » aux opinions qui sont véhiculées par les autres et par la  société en général ; c’est donc celui qui s’oppose à l’opinion commune, à la « doxa ».

« Dire oui », c’est acquiescer, donner son assentiment à quelque chose, être d’accord – métaphoriquement, c’est dormir, ou être en train de s’endormir – c’est donc être passif.

« Dire non », en revanche, c’est nier, refuser, manifester son désaccord – métaphoriquement, c’est se réveiller – c’est donc être actif.

Il y a, par conséquent, un lien entre le fait de « dire non » et celui d’être actif

L’absence de réflexion a des conséquences néfastes, à la fois dans le domaine de la connaissance, qui produit l’erreur, et dans le domaine pratique, qui compose les décisions sociales et politiques.

Le penseur, c’est celui qui se dédouble – il prend du recul sur ses propres pensées pour mieux les examiner.

Le penseur, loin d’adhérer immédiatement à ses opinions, au contraire, les questionne – il pense non seulement par lui-même, mais aussi contre lui-même.

C’est qu’il est plus facile et donc plus agréable de « dire oui » : « dire non » suppose un effort.

L’effort de toute pensée, au sens fort du terme, conditionne la réflexion, c’est-à-dire un retour sur soi-même.

Il s’agit d’un combat contre les illusions sensibles, car on pourrait croire que c’est le monde sensible qui nous trompe et qui est à l’origine de nos erreurs. En fait, selon Alain, si nous nous trompons, c’est parce que nous « disons oui », nous « consentons » – nous sommes les seuls responsables de nos erreurs.

Si je suis responsable de mes erreurs, je suis aussi responsable de mon obéissance. Il dépend de moi de rechercher la vérité, au lieu de la croire et d’être libre, au lieu d’obéir aux injonctions médiatiques. Ce qui conduit à l’erreur, c’est toujours le consentement, le fait de « dire oui ». « Le doute est le sel de l’esprit » selon Alain, dans « Propos sur les pouvoirs ».

La vérité n’est accessible que si l’individu pense, réfléchit, c’est-à-dire se remet en question. Si l’individu cesse de réfléchir, il croit savoir, mais il se pourrait que ce qu’il croit vrai soit, en fait, faux. Il doit donc rester vigilant, continuer à douter, c’est-à-dire « dire non » à ses propres opinions.

Pour Alain, « C’est par croire que les hommes sont esclaves » et de fait, comme ils ne réfléchissent pas, ils sont soumis à la pensée des autres, ils adhèrent à des idées qui pourraient être fausses. Penser, c’est donc se libérer.

Si le penseur « dit non », c’est, en fait, à lui-même, et plus précisément à ses propres croyances. La pensée véritable, la réflexion ne sont rien d’autres qu’une lutte contre les croyances.

Autrement dit, la pensée véritable serait la pensée « vivante », celle qui est toujours en mouvement, celle qui se questionne sans cesse.

Croire, en ce sens, c’est donc arrêter de réfléchir.

Face à l’ordre établi, aux institutions dirigeantes, à la publicité des médias comme propagande sportive et à la pression sociale, nous cédons souvent à la facilité de donner notre assentiment aux opinions communément admises, qui pourtant engagent l’avenir de la communauté sportive, sans pour autant prendre  le temps d’une réflexion indispensable sur ce qui pourrait, le cas échéant, les justifier ou les démentir. S’il est clair que cette attitude est pour le moins courante, elle n’en reste pas moins incompatible avec l’exigence de la raison.

Dans « Qu’est-ce que les Lumières ? » Kant montre qu’il est moins exigeant, pour un esprit humain, de se laisser guider par d’autres, que de faire l’effort de penser par lui-même. La paresse et la lâcheté expliquent que bien des individus préfèrent renoncer à leur propre pensée, et se soumettent trop volontiers aux discours ambiants. Ce renoncement à la sagesse est aisé en ce qu’il épargne l’effort de la réflexion,

mais funeste,

car il soumet définitivement les femmes

et les hommes

aux impératifs des institutions

et de leurs dirigeants,

qui ne manqueront pas de les persuader que

toute réflexion éclairée conduirait à la désunion.

Enfermée dans une exposition aux fausses vérités,

les individus,

à ce point manipulés,

ont encore l’impression d’user

de leur propre entendement.

Cette dépendance

conduit

les hommes

à la soumission

en déléguant

leur capacité de juger.

« Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! »

Dixit Kant

Travaillant à partir des théories critiques,

en particulier à partir du livre d’Emmanuel Kant

«  critique de la raison pure », publié en 1781,

qui pose la question des conditions de possibilités de la connaissance, je m’interrogerais tout au long de cet article sur les conditions qui me permettront de produire une connaissance qui dépasse mes expériences, qui soit argumentée et démontrée afin de légitimer mon raisonnement

Par un effet de prudence, ne pas être fasciné par les discours médiatiques des « experts », ne pas immédiatement affirmer des thèses mais réfléchir aux conditions de la connaissance, je mobiliserai les conditions de possibilité de mes réflexions en allant chercher dans les « coulisses de la vérité », ma capacité à me déprendre de la fascination des images, des discours tout fait.

Aucun pouvoir, aucune institution, aucune organisation sportive ne peuvent se permettre, de se soustraire à l’exigence critique ou de légitimité. Mon action, fondamentalement désintéressée, portée par un discours sur les valeurs, sur des valeurs morales réfléchies que je soumets à mes principes et à des critères universels contribue à mon obligation continue de m’orienter dans le domaine de mon engagement.

Si le rôle d’un individu s’inscrit dans le spectacle du réel, alors il devient superbement impérieux d’introduire la différence d’un « dire vrai, », au sens de M. Foucault, dans «  Le courage de la vérité – Le Gouvernement de soi et des autres », dans le jeu politique des institutions du Football professionnel et de ses mandataires, essayer de poser les bonnes questions, tenter de faire que personne, qu’aucuns dirigeants ne soient quittes avec leurs certitudes, à partir du moment où ces certitudes sont le refuge de leur lâcheté.

La honte, « sentiment révolutionnaire » selon K. Marx, dans sa « Correspondance, Lettres à Arnold Ruge », (1843), provoquée par le spectacle du monde, par le spectacle du football révèle des individus en manque d’un effort d’imagination, qui, simultanément, manifeste un apprentissage de la colère.

🔵 Honte de voir les valeurs du sport, tellement utilisées et être dévoyées,

🔵 Honte de voir la nullité des dirigeants des organisations du football qui les gouvernent depuis des décennies, avec les mêmes discours, les mêmes combines, les mêmes tentations mercantilistes, les mêmes arrangements entre amis et les mêmes défaillances.

🔵 Honte devant des médias complaisants et serviles.

🔵 Honte devant la gabegie financière pour certains et la profusion pour d’autres.

🔵 Honte devant la violence physique et morale qui gagne tous les jours du terrain dans les espaces sportifs.

🔵 Honte devant la violence sociale concomitante des inégalités sociales dans les organisations du sport.

Si la pandémie qui nous accable, permet aux états de mener un exercice de soumission à l’autorité, comment pourrions-nous aussi accepter de consentir à la représentation offerte par les instances du football français et continuer de les considérer et de prêter attention à leurs discours et à leurs propositions.

Par le refus du repli sur soi, par le refus de la honte, par le refus des faux semblants, par le refus des mensonges médiatiques, par le refus des autorités en place, par le refus du consentement et par le refus des croyances, il s’agit d’exercer des formes de vigilance active, légitimer par la pensée et la réflexion.

Rester vigilant face à ce que l’on cherche à nous convaincre, constitue la forme de désobéissance qui doit répondre aux discours médiatiques.

Refuser le « obéissez » sans réfléchir, continuer à se poser des questions, dénoncer les manipulations sportives, continuer à cultiver son imagination pour d’autres formes de solidarité et de vivre ensemble doit concourir à l’émergence d’un autre modèle du football professionnel, plus soucieux de justice sociale et d’éthique sportive.

Conjurer l’époque des inégalités socioéconomiques, qui ne se relèvent plus de l’injustice sociale, mais de l’obscénité, justifie cette forme de transformation de l’environnement du football, mais aussi de tout le sport dans son ensemble.

Par l’effort de la pensée et de la réflexion, par la recherche du questionnement sur les discours, par la recherche de la réflexivité, par la recherche du doute, par la recherche des conditions de possibilité de la connaissance, par la recherche des « coulisses de la vérité », par l’exigence critique de la légitimité, je souhaite introduire la différence d’un « dire vrai ».

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