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CONTROVERSE 4 – DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL par Guy Bulit

CONTROVERSE 4 : ANALYSE DES RISQUES, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

7.    SYNTHÈSE

Au terme de mon diagnostic de la chaîne de valeur intégrée au sport, appliqué au Football professionnel français, je propose une approche synthétique de ma démarche d’analyse. 

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En partant des hypothèses émises qui sont les suivantes, je rappelle :

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La forme de gouvernance partenariale déployée entre les différentes institutions fait référence à des rapports de force et à des influences croisées. Poussés par la prédominance des enjeux individuels et particuliers, des flux financiers illégaux de l’industrie du sport prolifèrent, liés au dopage, aux paris sportifs opaques et à la corruption en faveur d’une des parties prenantes institutionnelles. D’autres dérives financières prennent aussi de l’ampleur. Plusieurs causes sont confluentes : la volonté de certains de contourner les régulations mises en place dans leur pays par des prêts fictifs, les joueurs et paiements de contrats d’image aux sportifs via des sociétés situées dans des paradis fiscaux, des abus de biens sociaux et des avantages fiscaux. Ces évolutions traduisent une dépendance accrue des clubs de Ligue 1 français vis à vis de parties prenantes institutionnelles difficilement maîtrisables.

Ce qui se passe à l’intérieur des Clubs me semble plus important que les modifications de son environnement. On relativise ainsi l’importance des jeux concurrentiels pour faire prévaloir ses propres enjeux. Les progrès technologiques favorisent la fragmentation des processus de production des spectacles sportifs. La difficulté des contraintes de coût accroît le recours à des salariés internes et externes peu qualifiés et faiblement rémunérés.

Le développement des technologies a approfondi le fossé entre la valeur ajoutée par les tâches de recherche d’innovation, de conception, de préproduction (comme le marketing, la commercialisation et la médiatisation), de post-production (comme les analyses statistiques, la gestion des data, les retours d’expériences des supporters et des sponsors, d’un côté et celles de la réalisation d’un spectacle sportif de l’autre). La valeur ajoutée se localise dans les tâches situées en amont et en aval de la production.

Les plates-formes numériques des Clubs pilotent les chaînes de valeur, apporte une autre illustration de la répartition de la valeur créée. 

La production du spectacle sportif est assurée par différents employés qui travaillent dans le Club ou autour de celui-ci. La production devient un acte banal, peu qualifié, peu rémunéré, qui consiste à mettre en œuvre les injonctions des managers. 

Le produit spectacle est rendu attractif par les équipes de développement, les animateurs des réseaux sociaux, les Stadium managers, le sponsoring manager, le digital marketing manager, les Community managers, les responsables du Trade marketing, les agents de joueur, les Data Analyst, les médias, la communication et les logiciels associés.

Autrement dit, les Clubs créent et capturent de la valeur en assurant la coordination de l’ensemble des acteurs situés en « pré » ou « post » production, comme les développeurs d’applications, les fournisseurs de technologies numériques, mais également les supporters et les fans répartis dans le monde entier. Dans la mesure où la valeur des services proposés augmente avec le nombre de ses fans et supporters, la création collective de valeur crée des effets de maillage. Les supporters et les fans deviennent des acteurs de la production. Ils sont incorporés dans les clubs, en créant des effets de réputation fondée sur la qualité des prestations de services. L’extension des réseaux est un facteur notable de croissance. Le rythme de croissance d’un environnement numérique est la source déterminante de sa valeur. (Loi empirique de Metcalfe : « L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. »).

En diffusant rapidement de nouvelles perspectives et offres de prestations à travers l’organisation des Clubs, y compris hors des frontières, les plateformes digitales des Clubs redoublent leur pouvoir sur leur environnement, sur la croissance de leurs réseaux par rapport aux autres Clubs et aux autres activités sportives. Elles s’approprient ainsi la valeur ainsi créée, activant une dynamique du type « winner-takes-all » et atteignent des positions de référence.

La numérisation confère aux actifs immatériels un rôle prépondérant dans la répartition des revenus au sein des chaînes de valeur dans les Clubs de football. Ces actifs englobent la recherche et le développement, la conception, les innovations numériques, les logiciels, les études de marché, les bases de données, les brevets et les applications qui imprègnent l’ensemble de la réalisation des spectacles sportifs.

En cherchant à identifier les gagnants et les perdants, j’observe qu’un premier clivage se forme entre les Clubs. Sont gagnants ceux qui ont un passé sportif au plus haut niveau, acquis des installations les plus modernes, disposent des plus gros budgets, avec une vision plus globale et leaders sur les applications numériques. Tandis que sont désignés comme perdants les Clubs au passé plus modeste, plus récent, disposant de petit ou budget moyen, insérés plus localement ou régionalement et incapables d’accéder aux actifs numériques les plus innovants. Face à l’incapacité de déposer des brevets ou de pouvoir acheter les solutions les plus performantes, ces Clubs-là s’exposent à leur lent déclin, face à la privatisation des actifs immatériels par les plus puissants d’entre eux.

Autour des individus détenteurs d’actifs – comme les joueurs professionnels et les membres des staffs techniques (hautement rémunérés et mobiles, ayant accumulé des expériences sportives de haut niveau et disposant de pouvoir de négociation démesuré), on rencontre des salariés peu ou faiblement qualifiés, peu rémunérés, peu formés, peu mobiles et sans pouvoir de négociation. Les outils numériques ont accru l’offre de travail, abaissé les barrières à l’entrée sur le marché de l’emploi pour des groupes (qui en étaient auparavant exclus) pour des tâches à faible contenu et avec peu de possibilités d’apprentissage.

Une opposition se dessine donc entre la base productriceconstituée de la réalisation de spectacles sportifs soutenus par du capital pratique (associé à du travail faiblement qualifié) et les décideurs de l’incorporel, centrés sur les applications, les prestations de services innovantes, la transformation des enjeux économiques et des qualifications professionnelles.

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En se plaçant en chômage partiel, les clubs seront exonérés de cotisations sociales patronales. Un bol d’air pour leurs finances.

Privés de recettes depuis la suspension du championnat de France, les clubs de football cherchent des solutions pour limiter la casse. Plusieurs ont déjà fait usage du dispositif mis en place par le gouvernement qui élargit le principe du chômage partiel à tous les secteurs d’activité agrémentés d’une allocation plus généreuse.

Concrètement, les clubs cesseront de payer les salaires de leurs employés – dont les joueurs – et leurs verseront à la place une indemnisation chômage à hauteur de 70% de leur rémunération brute, soit environ à 84 % du salaire net horaire. Cette indemnité ne peut pas être inférieure à 8,03 € par heure chômée. L’indemnité est versée par l’employeur à la date habituelle de versement du salaire et partiellement remboursées par l’État, dans la limite de 4.850 euros par salarié ou 4,5 fois le SMIC.

Les indemnités d’activité partielle versées par l’employeur à ses salariés ne sont assujetties ni au versement forfaitaire sur les salaires, ni aux cotisations salariales et patronales de Sécurité sociale. Elles devraient permettre des réaliser des économies significatives à plusieurs club de Ligue 1 pendant l’arrêt du championnat.

On peut facilement estimer le manque à gagner pour les finances publiques, à hauteur de 20 M€ par mois ajouté cout du chômage partiel pour les Clubs de Ligue 1.

En autorisant les clubs à l’accès à ce chômage et au maintien du salaire de l’ensemble des salariés, les employeurs vont récupérer, en moyenne, entre 15 et 25 % de la masse salariale. 

On peut déduire que le modèle économique du football fonctionne selon des pratiques des multinationales, une partie des salaires et des déficits des Clubs à la charge de la collectivité et des citoyens, et les bénéfices, capturés par les bénéficiaires de la chaîne de valeur intégrée, sont exonérés d’impôts par les largesses des institutions et par leurs agissements délictueux. Utiliser de l’argent public pour financer une partie des salaires des joueurs de football, en sachant qu’il y en a tant de besoin dans beaucoup d’autres domaines plus importants (notamment l’éducation, et la santé au premier plan) semble pour le moins incongru à tout individu sain d’esprit.

Tout cela est sans compter l’impact sur le futur immédiat, lorsque le chômage partiel ne sera plus possible.

Mon analyse a surtout recherché à faire ressortir le choix d’un modèle économique basé sur des enjeux financiers à caractère spéculatif, puis inflationniste. Ils sont la source de facteurs accumulés de risques absolus, systémiques et socio-politiques.

Dans l’optique de conforter mon raisonnement, j’ai d’abord utilisé quelques ratios issus des Rapports de la DCNG sur les comptes des clubs 2018/2019. Puis j’ai réalisé quelques ajustements pour en déterminer une mesure du risque selon le modèle d’exploitation.

Le premier ratio retenu porte sur la :

–      Couverture des salaires ou la mesure de la productivité des salariés

Ce ratio nous donne à voir quelle part du Total des produits est distribué à l’ensemble des salariés.

Soit : Masse salariale chargée/ Total des produits récurrents 

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Pour être plus significatif, je propose de comparer la part des salaires au Total de la Valeur ajoutée produite par l’ensemble des Clubs.

Soit : Masse salariale chargée/ Total de la valeur ajoutée

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Selon ces deux ratios les plus critiques pour les Clubs, je constate que l’ensemble des salaires chargés représentent près des ¾ du total des recettes, et de manière plus significative, pèsent 127 % du total de la valeur ajoutée produite.

Ces deux ratios nous permettent de comprendre la totale dépendance des Clubs à la masse salariale à reverser.

On peut aussi observer que la part des salaires pour l’ensemble du pôle sportif représente 85 % du total des salaires. Cela nous laisse imaginer la redistribution de ceux-ci auprès des salariés du pôle administratif et de facto nous explique la faible importance et la non moins faible reconnaissance des dirigeants accordée à ces personnels-là.

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Pour le calcul de ces deux ratios, je n’ai pris en compte que les revenus récurrents, considérant que les recettes issues des ventes de joueurs étaient trop aléatoires.

En les intégrant, on obtient une configuration similaire des salaires, qui réduit la part de ceux-ci, mais en insérant des revenus contraints.

Un autre ratio nous permet de porter un éclairage singulier sur le fonctionnement des clubs face à leur manque de trésorerie.

Le ratio de la couverture des salaires est particulièrement édifiant à cet effet.

Soit : Masse salariale chargée/Trésorerie disponible 

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Comme on peut le constater, la trésorerie disponible représente 2,46 mois de la masse salariale mensuelle, y compris les charges. Ce ratio peut sembler rassurant surtout si l’on oublie les conditions dans lesquelles cette trésorerie est obtenue.

J’ai démontré plus avant que les Clubs pratiquent une forme de crédit court terme, non négocié, mais plutôt imposé auprès de l’ensemble de leurs fournisseurs et prestataires de services.

Le total des dettes d’exploitation s’élève à hauteur de 798 M€ pour un montant total d’achats de 715 M€. La démonstration est faite : les Clubs ponctionnent, approximativement 500 M€ d’argent, en considérant un délai moyen de paiement de leurs dettes de 3 mois.

La fragilité d’exploitation est évidente : elle met en relief la dépendance auprès des tiers.

Un autre ratio explique la situation financière à grand risque de l’ensemble des Clubs.

C’est celui de la couverture de la totalité des dettes à court et long terme, y compris les comptes courants d’associés que ne sont que des dettes auprès des actionnaires, comparées aux totaux des fond propres.

Soit : Endettement total/ Capitaux propres

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Ce résultat s’interprète comme l’ensemble des dettes qui représentent près de 3 fois les capitaux propres.

Une autre information relative à la dépendance des clubs vis-à-vis de leurs actionnaires et de leurs investisseurs peut être mise en avant. Le rapport entre le total des dettes à long terme et les capitaux sert normalement à financer l’ensemble des opérations d’investissement – opérations aussi de long terme. Ce qui m’importe, est de connaître la façon dont sont constitués les capitaux permanents.

Soit : Dettes à long terme/ Capitaux permanents

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Là aussi, même constat : il y a une forte dépendance aux prêteurs et aux investisseurs qui apportent 55 % des capitaux permanents destinés aux financements démesurés des opération joueurs.

Je ne ferai aucun commentaire sur les différents ratios de rentabilité puisque, avec des résultats négatifs, toute ambition de mesurer une quelconque performance économique est inutile.

Cependant, il existe un calcul de ratio instructif quant à sa pertinence et sa capacité à mesurer les dimensions de risques d’une organisation. Pour cela, on fait appel à un indicateur, le seul indicateur en « mode management » précurseur de risque, autrement dit ce qui nous permet d’apprécier la sensibilité ou l’élasticité de nos résultats économiques à la variabilité de notre activité.

Il s’agit du : Levier d’exploitation, issu du calcul du Compte de résultat différentiel.

Pour sa détermination précise, j’ai eu besoin de définir quelques hypothèses d’analyse des comptes présentés par la DNCG. Pour cela, il faut identifier les charges variables des charges fixes, en établir la répartition, qui nous amènera au calcul de la Marge sur Coûts variables et nous conduira au levier d’exploitation.

J’ai considéré que l’ensemble des salaires avaient une part fixe de 80 % et variable de 20 %, ce qui est loin d’être le cas selon les données de la DNCG, mais j’ai incorporé l’application des règles du chômage partiel, financé par l‘Etat. Pour les autres charges, j’ai pris en compte 40 % de charges variables, celles requise pour l’organisation des matches et 60 % de charges fixes.

Je précise que, même si mes hypothèses de répartition charges fixes contre charges variables sont inexactes, cela ne produirait que peu d’effet sur mes résultats obtenus.

Au bout de mon calcul, je détermine : 

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Comme on peut le constater, le seuil de rentabilité des clubs de football Ligue 1 atteint 2 864 M€, soit 200 M€ de plus que l’activité 2018/2019, en incorporant les recettes du trading joueur ; ce qui représente 1 an et 3 semaines. Pour le moment, une année est faite de 12 mois : peut-être faudra-t-il passer à 13, voire 14 mois pour la seule activité football !

On constate une marge de sécurité négative bien entendu à hauteur de – 7 %.

Enfin un Levier d’exploitation de – 15 qui nous indique un niveau de risque si l’on perdure selon ce modèle économique. D’ailleurs, dans cette situation, la perte de 1 % de tous nos produits, amputerai l’ensemble des résultats des clubs de 15 % de résultat ! 

Si nous estimons que pour la saison 2019/2020, la dégradation d’activité sera de l’ordre comprise entre 20 % et 25 %, nous pouvons considérer une perte d’exploitation globale pour l’ensemble des clubs de Ligue 1 comprise entre 378 M€ et 472 M€.

Au final de ma synthèse, je propose sous forme de schéma, un processus d’analyse des risques que j’ai utilisé pour démontrer que mes hypothèses de départ correspondaient bien un état des lieux du Football professionnel. Ce faisant, je montre que celui-ci porte en lui tous les fondements d’un modèle à très hauts risques, loin de toute réalité économique responsable, sociétale et durable.

J’ai aussi conçu pour cet exercice un modèle de scénario d’apparition des risques inhérents au secteur du football professionnel qui met en évidence l’ensemble des facteurs de risques, depuis leurs origines jusqu’aux conséquences touchant l’ensemble des parties prenantes. 

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8.    CONCLUSION

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Pour offrir aux différents clients, spectateurs, supporters, sponsors et diffuseurs une expérience évènementielle homogène et convaincante, la chaîne de valeur intégrée des Clubs doit fonctionner comme une seule et même entité. L’intégration de toutes les parties prenantes dans les processus des divers métiers jouera un rôle essentiel dans la maximisation de revenus et se retrouve au cœur de la chaîne de valeur intégrée.

La situation d’incertitude consubstantielle au résultat sportif, constitue le fondement du secteur sportif, sa réalité, ses aléas, son imprévisibilité, son indétermination et son mystère. Mais il compose aussi la ferveur, la passion, les émotions qui exaltent l’intérêt du sport spectacle.

Aujourd’hui, bien que corrélés avec les budgets et le potentiel économique régional, les résultats économiques, sportifs et le classement du championnat doivent intégrer de multiples dimensions, auxquelles toutes les parties prenantes doivent contribuer. Si le plaisir d’un supporter dépend de la qualité technique d’un match et du suspense quant au résultat, il est de notre capacité à explorer d’autres horizons afin de restaurer un spectacle sportif plus ambitieux, plus large et plus attractif.

S’il est essentiel de recréer des situations d’incertitude tout au long de compétitions attirantes pour les spectateurs et téléspectateurs, il est aussi de notre responsabilité de limiter les risques substantiellement liés aux aléas sportifs – et à leurs conséquences. L’obligation ces Clubs doit être d’intégrer les imprévus, les aléas sportifs et les incertitudes dans leurs modèles économiques, et en même temps, de ne pas participer à l’inflation des investissements lors des transferts et sur la spéculation salariale des joueurs. Cette dernière participe à l’ajout de risques aux risques sportifs déjà identifiés. Il ne s’agit pas d’imiter les concurrents sportifs, mais de concevoir des scénarios, des alternatives et d’en évaluer les enjeux à long terme.

Ainsi l’état du football professionnel renvoie au système économique capitaliste qui s’est affirmé depuis quelques deux siècles. C’est la façon dont a été favorisé le développement du système de production de spectacle sportif qui a autorisé des comportements de prédation au nom du profit, niant au passage toutes les parties prenantes qui sont la cause de cette dégradation. Et c’est cela s’apparente à la notion de « capitalocène », proposé par Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital »(*1), qui vient compléter et préciser la notion d’anthropocène.

Dans les circonstances actuelles, l’examen de la transition économique et sociale s’impose avec une urgence plus grande encore. Désormais invite à une sorte collision entre les engagements de court terme et les orientations à long terme. Des choix urgents, de « court terme », devront être mis en œuvre pour lutter contre l’effondrement de l’économie du sport football professionnel. Pourtant relancer le même modèle économique aux conditions identiques est plus que jamais un non-sens. Bien plus que « relancer » l’économie footballistique, il faut la transformer et la reconstruire. Ou pour le dire plus justement, les réorientations qui seront engagées constitueront les conditions de la transformation et de la reconstruction. Cela implique une conversion radicale, une sorte de désapprentissage des décisions politiques et économiques pour imaginer toutes les alternatives possibles.

Dans l’immédiat, le redémarrage de la production du spectacle football nous assigne à la survie de tous les acteurs de la chaîne de valeur, à la protection des salariés, des travailleurs individuels, des indépendants, des auto-entrepreneurs, des micro-entreprises, des TPE et des PME. Ils ont tous de fortes dépendances coagulées à l’activité football. Ils sont tous en situation de précarité, notamment tous ceux qui ne bénéficient pas d’une protection ou de protections très faibles. La recherche de l’unanimité sur l’ensemble de ces dimensions sociales instaurera les conditions du changement du modèle économique et des projets sportifs.

Pour ma part, les changements politiques des Clubs n’ont de sens que s’ils incluent déjà des perspectives de long terme et engagent les réorientations indispensables à l’écosystème du football. Selon moi, il nous faut commencer à repenser les politiques et les orientations économiques des institutions et des Clubs, les organiser et les partager différemment, autour de pôles d’activités essentielles pour tous les acteurs de la chaîne de la valeur, comme : se divertir, participer à des spectacles sportifs, rechercher du sens à nos loisirs, se déplacer sobrement, se nourrir sainement, préserver l’environnement et le climat, rencontrer les acteurs sportifs, partager leurs passions, faire partie d’un groupe social référent, promouvoir une identité singulière, être acteur des projets et consommer en citoyen responsable.

Pourquoi penser en pôles d’activités ? D’abord parce la notion de secteurs économiques sont les résultats de simples conventions, oubliant l’essentiel. C’est-à-dire ce qu’il nous faut préserver, développer, transformer, participer. Ces regroupements autour de grands pôles permet de repenser les prestations de services, de redéfinir leurs limites, de définir et d’inclure l’ensemble des activités à proposer au marché, toutes ces activités répondant aux attentes des citoyens.

En pensant en termes de grands pôles d’activités essentielles, on redonne du sens à l’action politique, sportive et sociale comme à l’activité économique en général. Aspect fondamental, il faut en finir avec l’idée que toute activité économique, quelle qu’elle soit, « crée seulement de la valeur financière » (*2). Il faut en revenir au substrat principal, à ce qui doit être au centre des politiques sportives des instances et des Clubs, à l’intérieur des pôles : c’est la recherche du bien commun, du bien à partager.

Penser par grands pôles d’animations où se retrouvent des activités qui relèvent de toutes les parties prenantes publiques ou privées, d’entités propres et singulières (comme les coopératives, les associations, les entreprises à but non lucratif), permet aussi de promouvoir et de gérer la transition économique, sociale et environnementale dans de nouvelles conditions améliorées. S’engager dans cette transition implique qu’une partie des activités jugées socialement et écologiquement bénéfiques vont augmenter, tandis que d’autres seront appelées à diminuer. En les associant dans des mêmes pôles, on se donne des marges de manœuvre par des effets de compensation.

Dans le même temps, pour élaborer des choix politiques et économiques, on ne peut plus s’en tenir aux anciennes bases et compromis qui fondaient la création de richesse des organisations par la mesure de la seule production financière et la valeur ajoutée.

Après cette période d’instabilité et de fortes turbulences, ces notions purement économiques ont perdu leur efficience, eu égard aux fourvoiements dans lesquels leur adoption infiltre les instances et l’ensemble des Clubs. Prenez les ventes de joueurs, dans la comptabilité des Clubs : il s’agit de revenus qui augmentent la valeur ajoutée ! Alors que ce ne sont que des opérations d’exception, tant par leur montant, que par leur incertitude. Les transferts spéculatifs, sans relation aucune avec les réalités économiques dopent la valeur ajoutée. Les droits audiovisuels inflationnistes, poussés par la concurrence, destructeurs ou appauvrissant les diffuseurs, densifie la valeur ajoutée. Nous voyons bien que nous ne pouvons plus seulement raisonner à partir de ces notions là comme objectifs. Cette manière de penser nous conduit à l’anéantissement, pire encore, elle peut être mortifère pour la plupart des Clubs. Il nous faut inventer d’autres manières de concevoir et de mesurer en internalisant les externalités, en intégrant toutes les activités dégagées par les parties prenantes intégrées, positives comme négatives, oubliées par les méthodes existantes.

Quand les Clubs utilisent plusieurs dizaines de tarifs pour fixer le paiement des places de spectateurs, au lieu de faire en sorte que chacun paye le maximum de ce qu’il peut payer, sommes-nous encore dans un projet responsable, sociétal et durable ?

Avec l’évolution que connaissent tous les contributeurs aux recettes des Clubs, tout a été fait pour nous éloigner de la perception du bien commun, précisément l’association du bien commun et des prestations de services proposées, se sont largement dissoutes.

Remettre une gouvernance citoyenne au sein des institutions et des Clubs.

Repenser leur projet sportif et économique, pour renflammer leur vocation à être au service de tous, aux services de tous les acteurs de la chaîne de valeur intégrée, des plus importants aux plus démunis.

Redonner une voix aux citoyens, afin qu’ils soient associés à la gestion et à la conduite des ambitions des organisations du sport.

Le vrai public, les supporters, les fans, les citoyens n’auraient jamais autorisé les dérives liées aux pratiques salariales, aux transferts mirobolants, aux investissements dans des stades surdimensionnés, négligeant tous les risques inhérents à ces choix décisionnels pris par les Clubs. S’ils ont voix en assemblée, le large et vrai public – les citoyens, ne laisseront plus jamais produire ces détournements. On ne peut plus longtemps laisser les citoyens en dehors de la conduite des organisations du sport qui sont aussi nos biens communs. Les citoyens doivent retrouver toute leur place dans ces modalités de gouvernance, et en symbiose avec tous les acteurs qui produisent et délivrent les spectacles sportifs. Ils sauront peser et infléchir les choix décisionnels, tant sur les projets sportifs, que économiques et sociaux et faire en sorte que l’accès à ces évènements soit universel, aussi pour les plus précaires d’entre eux – universalité au cœur de toute politique des biens communs.

Je pense beaucoup à des formules ouvertes telles que les assemblées citoyennes, les organisations associatives, les regroupements de supporters et de fans, les collectifs sportifs, à toutes ces formes bienveillantes de gouvernance accessibles à tous, dans lesquelles les citoyens peuvent participer aux délibérations, se réapproprier le pouvoir et la décision. À nous de soutenir toutes les formes nouvelles, émergentes, de cette nouvelle citoyenneté, et de favoriser leur extension et développement.

Et puisque, en tant que citoyens, nous sommes les principaux acheteurs des produits et des prestations de services proposées, nous ne sommes pas dépourvus de moyens pour limiter l’influence des grands prédateurs nationaux et internationaux sur leurs marchés, en réduisant ou en cessant d’accompagner leur comportement destructeur.

Malheureusement, je redoute que l’on oublie vite les leçons de cette pandémie, et que comme sur le climat on fasse bientôt bien plus de « pandémie-washing », que de mise en pratique de mesures effectives et efficaces, adossées à des projets responsables, sociétaux et durables. Cependant, mon espoir provient du fait, qu’il est clair que ce cycle financier libéral est clos. Il s’achève sur une triple catastrophe : sportive, économique et sociale. Jamais les inégalités de répartition de la valeur crée n’ont été poussées à un niveau si insupportable.

Les difficultés ne résident pas tant dans le rejet du modèle actuel que dans le fait de rendre crédibles les alternatives possibles. Rendre crédible ce que l’on peut faire autrement, que d’autres options existent, est à portée de main. Alors beaucoup de doutes seront levés et les conversions deviendront possibles. Nous devons les formuler, les penser et les proposer pour imaginer une utopie concrète que nous pourrons voir se matérialiser. C’est dans cet esprit que j’ai décidé de mener cette déconstruction de la chaîne de valeur du football professionnel à laquelle j’ai consacré un engagement personnel singulier. Après ces années 2000-2020, après cette pandémie, il est tant d’imaginer et d’inscrire une perspective crédible, pour montrer au plus grand nombre des supporters, des fans, des spectateurs et des citoyens que l’on peut, que l’on doit, redéfinir et réécrire nos rôles dans la société. Je sais que cela prendra du temps.

Tout le travail sur la « société des communs » – les biens communs – se répand et devient forces de transformation. Je suis, à chaque jour, plus convaincu, que les communs et le retour aux biens communs participeront à conjurer les malédictions. En nous attachant à la résolution des maux que nous connaissons, en donnant forme aux alternatives évoquées, en assurer leur extension et leur développement, le monde footballistique d’après est là, à portée de main. Il dépend de nous d’en accélérer la venue.

Cela nous amènera à transformer nos modes d’organisations, de structures pyramidales, selon lesquelles les décisions s’imposent, sous forme d’injonction, du haut vers le bas (top-down) des parties prenantes. Je propose d’inverser cette pyramide décisionnelle dans laquelle les orientations seraient partagées par l’ensemble des acteurs des Clubs, et appliquées selon une démarche du bas vers le haut (bottom-up). Les Clubs deviennent les moteurs de ce fonctionnement selon leur vision et leurs missions. Celles-ci sont déployées sur l’ensemble des activités identifiées, les institutions jouant le rôle de facilitateur, d’ambassadeur, de coordinateur et de ressource au service des projets singuliers de chaque Club.

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Selon ce modèle économique, l’objectif est de concevoir une nouvelle organisation, dont la finalité, portée par une vision partagée par toutes les parties prenantes, concourra à la chaîne de valeur intégrée avec tous les acteurs, à la réduction de tous les risques identifiés. Cette construction est établie sur la confiance en l’avenir, pour tous les dirigeants, pour tous les salariés et pour toutes les parties prenantes, associées aux Clubs. Mais l’ensemble des clubs doivent déconstruire leur propre modèle économique, afin d’en imaginer un autre, fondé sur des recettes et des ressources plus stables, plus récurrentes et plus larges, dont l’objectif sera de réduire le degré d’incertitude afin d’abaisser les risques inhérents aux activités sportives.

Mais pour compléter cette approche, j’ajoute qu’il faudra intégrer une autre dimension, celle de la valeur sociale créée. Pour cela, il faudra bien isoler les mécanismes créateurs de valeur économique des mécanismes créateurs de valeur sociale. Nous devons considérer que créer de la valeur sociale revient à ne pas capturer une valeur économique ou une utilité créée. En d’autres termes, la création de services bénéfiques, reconnus comme valorisables et propices par un club, consiste à faire des propositions de valeur aux sportifs, aux salariés, aux supporters, aux sponsors, aux diffuseurs et aux citoyens – in fine toutes les parties prenantes, sans chercher à maximiser la capture de la valeur créée. C’est ce que nous devrons imaginer. Tout sera différent lorsqu’un Club acceptera de rémunérer équitablement l’ensemble des parties prenantes, mettra son pouvoir de négociation au service d’un projet responsable, sociétal et durable. Ou lorsqu’il interdira à une ou autre des parties prenantes de capturer la plus grande part de la valeur crée par l’activité sportive.

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Reconnaissant l’existence d’un projet partagé, une telle démonstration permettra de ne pas opposer valeur sociale et valeur économique. Il ne s’agit pas d’opposer la création de valeur sociale et la recherche du profit, mais de de considérer que la performance sociale est la condition de la performance sportive et économique. Nous devons démontrer que la création de valeur peut être appréhendée avec les approches de production, de capture et de partage de la richesse créée et que la performance économique et performance sociale est subsidiaire.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » (article 1er de la Déclaration de 1789).

Fin de l’épisode QUATRE : CONTROVERSE 4 : ANALYSE DES RISQUES, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

CONTROVERSE : DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL (en 4 parties)

CONTROVERSE 1 : LA CHAÎNE DE VALEUR ET L’ÉCOSYSTEME DU FOOTBALL PROFESSIONNEL

CONTROVERSE 2 : LES PROMOTEURS, LES PRÉBANDIERS ET LES CONTRIBUTEURS

CONTROVERSE 3 : LES PARTIES PRENANTES INTERNES ET EXTERNES

CONTROVERSE 4 : ANALYSE DES RISQUES, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

Sources :

(*1) Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital ». (Éd. La Fabrique, mars 2017)

(*2) Débats pour le renouvellement de la théorie critique, sous la direction d’Éric Martin et Maxime Ouellet « La tyrannie de la valeur ». (EdCollection Théorie – Librairie Decitre, 2014)

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA en Management des Organisations et Entreprises du Sport de l’ESG Executive et d’un Executive Master en Sociologie de l’entreprise et conduite du changement de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

Pour toute demande d’intervention, de renseignement ou d’information complémentaire :

📱 Mob : 06 73 32 63 38

CONTROVERSE 3 – DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL par Guy Bulit

CONTROVERSE 3 : LES PARTIES PRENANTES INTERNES ET EXTERNES

5.    PARTIES PRENANTES INTERNES AU CLUB

5.1- Les joueurs salariés

L’analyse des données à notre disposition, peu explicites, nous conduit à plusieurs constats.

Pour la saison 2018/2029, la part des salaires consolidés pour tous les Clubs de Ligue 1 est estimé à 1 388 M€, en croissance de 10% par rapport à la saison précédente et représente 73 % du total des revenus des clubs.

Ce qui signifie que l’ensemble des salaires versés absorbent 128 % de la valeur ajoutée produite par la Club.

La décomposition des salaires par catégories de salariés est plus significative. Le poids des salaires des joueurs professionnels correspond à 73 % de la masse salariale totale, là aussi en dérive de 10 % par rapport à N-1. S’ajoute 3 % de salaire pour les autres joueurs, ce qui porte le poids total des salaires joueurs à 76 %.

Il est à noter que la masse salariale de tout le domaine sportif « joueurs » correspond à 1 036 M€ et absorbe 95 % de la valeur ajoutée créée par les clubs.

Comme en 2017/2018, les 10% des joueurs les mieux payés ont une rémunération supérieure à celle des 90% des joueurs les moins bien payés. En effet, ces 10% de joueurs représentent 54% du total des salaires de joueurs de la Ligue 1.

Bien qu’une moyenne ne soit pas représentative des salaires des joueurs, selon une estimation de 700 joueurs professionnels en Ligue 1, le salaire moyen annuel par joueur s’élève à 1,4 M€ soit près de 120 000 € par mois.

Aucun secteur d’activité ne peut supporter un groupe de salariés, y compris pour joueurs à très forte notoriété d’absorber 76 % du total des revenus et 95 % de la valeur ajoutée.

Un des secteurs d’activité avec lequel nous pouvons établir des correspondances est celui de la production audiovisuelle. Établissons quelques comparaisons.

Ledit secteur d’activité réalise autour de 3 000 M€ de chiffre d’affaires, donc sensiblement plus que celui du football. Au regard de ces recettes, la part des salaires représente 730 M€ environ, soit 25 % du CA produit, et pour une valeur ajoutée de 2 550 M€, les salaires pèsent 40 % de la VA créée. (Étude sur le tissu économique du secteur de la production audiovisuelle – CSA 2017)

La comparaison entre les deux secteurs d’activité, similaires par leurs finalités et par les publics visés, nous permet de mieux comprendre la structure économique des clubs et démontrer en quoi le modèle du football ne peut résister à aucune crise, a fortiori à une pandémie mettant à l’arrêt toutes les activités de spectacles sportifs. 

5.2- Les staffs techniques

L’ensemble des staffs techniques représente 11% de la masse salariale, qui ponctionne 15 % de la valeur ajoutée. Avec une hypothèse de 20 Personnes de staff technique par clubs, le salaire moyen s’élève à 400 000 € par an, soit 33 000 € environ par mois.

Nous pouvons là aussi comparer avec les salaires des ingénieurs par exemple dont le revenu annuel moyen est compris entre 30 et 100 000 €, selon l’âge.

5.3- Les salariés de l’administration

L’ensemble des salariés de l’administration consomment 13 % de la totalité de la masse salariale, soit 17% de la valeur ajoutée.

Peu d’informations sur ces personnels-là, et pour cause me semble-t-il !

J’émets là aussi, l’hypothèse de 250 administratifs par Club de ligue1, ce qui nous amènent à des salaires annuels de 36 000 €, soit 3 000 € mensuels. Sachant que les dirigeants et les cadres perçoivent des salaires nettement supérieurs, cela nous laisse des revenus moyens par employés sur la base du SMIC.

On pourra comprendre le peu de reconnaissance de cette catégorie de salariés, ayant toutes les responsabilités opérationnelles, administratives et commerciales de la production de spectacles sportifs.

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5.4- Les agents

Les honoraires d’agents englobent 5,4 % du total des revenus, pour un montant de 104 M€, en forte dérive de 25 % par rapport à la saison précédente, qui correspond à 10 % de la valeur ajoutée créée.

Selon un rapport de la FIFA rendu public, les commissions touchées par les intermédiaires à l’occasion des transferts internationaux ont augmenté de 19,3 % en 2019, avec une augmentation cumulée depuis de 270 % depuis 2014, soit plus de 50 % en moyenne par an de supplément !

Ces chiffres exigent une régulation et un encadrement que la FIFA promet de mettre en œuvre rapidement.

Finalement, le football, ce n’est pas que du football, mais des joueurs considérés comme des marchandises et des produits financiers. Des marchandises que tous les agents du monde essayent de monnayer le plus cher possible afin de produire un maximum de commissions.

5.5- L’État et les organismes sociaux

Le poids des charges sociales et des impôts représente 17% des revenus totaux, ce qui constitue 30 % de la valeur ajoutée.

La perception par l’État de cette partie de valeur ajoutée correspond à l’ensemble des charges collectées par les Clubs sur la totalité des salaires, dans l’objectif de pourvoir au financement des dépenses de santé, d’accident, de chômage et de retraite des salariés.

De plus, l’Etat et les Régions contribuent au développement des activités sportives et aux investissements requis pour les installations.  

Le corps d’État, par l’effet des subventions, participe aux actions éducatives par l’intermédiaire du sport.

En tant que garant, il permet aussi d’obtenir des prêts garantis qui soulagent les Clubs lors de problèmes de trésorerie conjoncturelle. 

5.6- Les actionnaires et les investisseurs

Les intermédiaires financiers représentent 2,7 % du total des revenus, soit 4,7 % de la valeur ajoutée.

Les actionnaires et investisseurs ne perçoivent aucune valeur créée par le Club. En revanche, par leur abandon de créances sur les comptes courants d’associés, ils apportent aux clubs 1,4 % du total des revenus (2,4 % de la valeur ajoutée).

L’attractivité économique doit devenir un objectif majeur en vue de pouvoir attirer de nouveaux investisseurs. Cela passe par une rentabilité accrue, une maîtrise des risques économiques, une visibilité sur le long terme, fondée sur un projet sportif responsable, sociétal et durable.

5.7- Le Club

Pour les clubs, le montant total d’amortissement se monte à hauteur de 397 M€, soit 21 % du total des revenus.

Si on ajoute le Résultat Net consolidé, on constate une Capacité d’Autofinancement de 271 M€ soit 14 % du total des revenus et 25 % de la valeur ajoutée produite.

Comme dans tout modèle organisationnel, le Club doit devenir le centre des activités vers lequel toutes les décisions seront focalisées. Et ce sont surtout l’image, la notoriété, l’histoire du Club, qui prennent leur place au-dessus de toutes les parties.

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6.    PARTIES PRENANTES EXTERNES AU CLUB

6.1- Les fournisseurs et les prestataires de services

Fournisseurs, équipementiers, agences de sécurité, prestataires de services (médias, marketing, numériques) des clubs de football supportent à leurs risques, l’arrêt des compétitions et les difficultés du secteur. Par manque de prévisibilité et d’anticipation, des PME aux TPE pour la plupart, risquent de disparaître du paysage sportif, de mettre de nombreux emplois en péril, voire perdus dans un écosystème en danger.

L’arrêt définitif de la saison assombrit l’avenir de ces fournisseurs, dont la survie est souvent liée à celle des clubs. Ceux-ci sont les moteurs de l’économie régionale. Environ 30.000 emplois indirects sont concernés par les activités dans le secteur du football professionnel.

Mais au-delà des conséquences sur cet écosystème, je tiens à rappeler que ce secteur d’activité sportif fait aussi et principalement appel à de nombreux vacataires, bénévoles, auto-entrepreneurs et micro-sociétés pour des rémunérations qui sont, soit des compléments de revenus réguliers pour les acteurs concernés, soit du chiffre d’affaires en moins. Cela résulte une perte importante des rémunérations mensuelles des salariés pouvant aller jusqu’à la suppression des emplois.

La situation économique des clubs que nous avons vue jusque-là, augure de décisions opérationnelles à prendre : de l’abandon de projets, en passant par des réductions budgétaires afin de limiter les dépenses et les engagements. S’y agrège aussi le flou relatif au monde amateur qui est un gros pourvoyeur de projets d’installations sportives, engagés par les collectivités territoriales avec les prestations de services associés.

Lorsque l’on prend en compte les répercussions sur la totalité de la chaîne de production liée aux activités sportives, se profile derrière la crise économique, une crise sociale qui impactera en priorité les salariés précaires, les auto-entrepreneurs à activité aléatoire, les TPE et les PME dépendantes du secteur.

Indépendamment des contrecoups dues à la pandémie, je tiens à préciser certains aspects qui représentent des comportements irrationnels, pour ne pas dire de prédation de la part des clubs, fragilisant tout l’écosystème des fournisseurs et des prestataires de services dans ce secteur d’activité.

Par des pratiques datant du siècle passé, l’analyse du montant des dettes auprès de l’ensemble des fournisseurs me laisse interdit. Le montant de la totalité des dettes est à hauteur de 1 228 M€ : ce qui représente plus 1 an de crédit fournisseur ou 375 jours !

À partir de cette observation, je peux en déduire que les Clubs se « font » la trésorerie sur le « dos » des fournisseurs et des prestataires, fragilisant à nouveau ce secteur d’activité.

6.2- Les institutions locales et régionales

Les collectivités locales et régionales aident les clubs en investissant dans des équipements sportifs, en achetant des prestations de services et en subventionnant une partie de la formation, cruciale, pour l’ensemble des clubs. Cette même formation, s’appuyant sur un tissu économique important, constitue une autre source de revenu par les transferts de joueurs formés localement.

On s’en doutait un peu, mais l’organisation de l’Euro 2016 de football ne fut pas rentable pour la France. Le bilan économique et fiscal de cet événement pour l’Hexagone est évalué à 1,3 milliard d’euros, à comparer avec le 1,6 milliard d’investissement pour les stades.

Dans le détail, les retombées économiques pour la France sont statuées à 1,134 milliard d’euros et les rentrées de TVA liées à l’événement à 178 millions, soit 1,312 milliard d’euros. Les coûts de construction ou de rénovation des stades qui accueillirent l’Euro 2016 sont eux quantifiés à 1,639 milliard d’euros.

En réalité, l’opération Euro 2016 été lucrative pour l’UEFA, avec près de 2 milliards d’euros de recettes et 847 millions de résultat net. C’est-à-dire +42,7% par rapport à l’Euro 2012, pour une spectaculaire marge bénéficiaire de 44,2%.

En comparaison, les villes ont dû se contenter au total de 20 millions d’euros, destinés à être investis dans des équipements pour le sport amateur, alors que leurs charges nettes sont évaluées à 51 millions €. La FFF a touché la même somme puisqu’elle a choisi cette option forfaitaire plutôt que l’intéressement aux résultats initialement prévu. Le lecteur saura l’apprécier au regard des 40 millions de dotation pour un bénéfice de 847 millions pour l’UEFA.

À l’opposé, de lourdes charges pour les villes confirmées par les rapports cinglants des chambres régionales des comptes pour Nice, Marseille et Lens. Les partenariats public-privé sont étrillés. Les rapporteurs établissent l’ampleur des dépassements et du coût final pour les finances publiques, au profit des parties privées.

À Marseille, la charge nette pour la ville s’élèvera au total à près de 500 M€ – un lourd tribut. À Lens, ce sont les collectivités qui ont dû prendre en charge la quasi-totalité de la rénovation de Bollaert, à hauteur de 70 M€, le club ayant été dans l’incapacité d’assurer sa propre contribution. Y compris le Stade 100% privé de Lyon, qui a permis aux acteurs publics lyonnais de se défaire du risque financier. Ils laissent malgré tout une contribution publique à hauteur de 202 M€, sur un coût total de 632 M€, soit tout de même 32 % du budget à leur charge du secteur public.

Résumons : des stades chers et surdimensionnés, des investissements publics faramineux, un modèle de gestion inchangé, de nouveaux risques de gestion pour les villes et pour les citoyens, pour un budget initialement évalué à 0,9 milliard d’euros, qui s’éleva finalement à… 1,9 milliard.

Les magistrats de la Cour des comptes regrettent par ailleurs que l’occasion n’ait pas été saisie de « changer le modèle français de propriété et d’exploitation publiques des stades » dans le but de « soustraire les collectivités locales aux risques de gestion et d’aléas sportifs ». Alors que ces aléas ont suscité des factures exorbitantes pour les collectivités à Grenoble ou au Mans, les municipalités dont les enceintes ont été construites ou rénovées, risquent encore de payer la note.

Il existe un autre motif de préoccupation non visible : celui des redevances d’occupation des stades, dues par les clubs utilisateurs à la collectivité, sont dans leur « quasi-totalité inférieures, et parfois dans des proportions importantes, au niveau requis ». Cet état de fait alourdit la charge des villes et les expose à des sanctions de la Commission européenne, qui y voit des aides d’État déguisées.

À Lille et Bordeaux, les contentieux entre les opérateurs exploitants du stade, les collectivités et les contrats de PPP contestés, confirment les travers de ces contrats. Pour quasiment tous les stades, les revenus d’exploitation attendus de la billetterie, de l’accueil de manifestations culturelles ou du Naming s’avèrent bien en-deçà des promesses et des prévisions.

Comme constat, je prendrai la collectivité de Bordeaux Métropole qui a dépensé 7 millions d’euros à organiser l’accueil du rendez-vous sportif de juin 20216 pour… 1,4 million de recettes. Le bilan à charge est donc de 5,6 millions : un Stade de 45 000 Places avec un taux d’occupation de moins de 50 %, un déficit chronique de la part de l’opérateur gestionnaire du Stade, et pour finir, le projet de réduire la capacité dudit Stade à 35 000 places, avec des dépenses additionnelles !

Le diagnostic m’amène à encapsuler ce phénomène par la formule courante énonçant que l’État, la FFF et les institutions régionales ont « socialisé les pertes », à la charge des citoyens et « privatisé les profits » au bénéfice de l’UEFA.

6.3- Les citoyens locaux et régionaux

Que retirent finalement les citoyens locaux et régionaux de cette chaîne de valeur intégrée ?

Sans surprise, lors des grands évènements sportifs, tel l’Euro 2016, les tarifs de la plupart des hôtelleries, restaurations, transports, services de prestations, tous s’envolent au rythme des annonces. La loi de l’offre et de la demande est impitoyable, surtout pour les consommateurs, mais généreuse pour d’autres.

Scrutons ces tarifs finement.

Dans l’univers du stade, bière, sandwiches et autres denrées à des tarifs prohibitifs au vue de la qualité des produits.

5,50 euros pour un hamburger. 4,50 euros pour un hotdog, pour un sandwich au jambon ou un sandwich au poulet. Le sandwich provençal sera à 5 euros. La barquette de frites est à 2,50 euros.

Pour les « menus », une bière Heineken de 50 cl, des mini-saucissons et des chips sont vendus à 9 euros. Le menu hotdog avec frites et une boisson est pour sa part à 10,50 euros.

Pour les boissons, la bière sans alcool est à 5 euros, la Heineken à 6 euros. Les sodas comme le Coca-cola sont à 3,50 euros.

La Ligue 1, c’est 20 euros en moyenne de dépenser par supporter. Le coût moyen du panier du supporter, pour une place la moins chère, pour un adulte (un sandwich jambon-beurre et un soda) est compris entre 18 € et 30 €.

À cette somme, il faudra ajouter le coût du déplacement au stade, les transports en commun et le parking. 

Pour arriver au stade, il faudra débourser en plus les coûts des parkings, forfaits transport, compris entre 3 € et 15 €.

Pour l’achat d’un éventuel maillot, il faudra ajouter entre 70 € et 100 €.

Voir comment, un match devient un produit de luxe !

Nous savons que ce ne sont pas les seules dépenses. Or, nous avons vu que les droits audiovisuels, en augmentation régulière, vont lésés en premier les téléspectateurs. Les chaînes, pour assurer leur rentabilité, accroîtront leur tarif d’abonnement. De fait, le citoyen deviendra la « vache à lait » des diffuseurs. L’explosion des droits génère des effets pervers pour les chaînes et pour les consommateurs, mouvements qui modifient le modèle économique. En effet, l’inflation du montant des dépenses audiovisuelles engagées astreint les canaux de diffusion payants à revoir à la hausse leurs tarifs pour tenter de rentabiliser leurs investissements. L’arrivée de nouveaux acteurs a contraint les téléspectateurs à multiplier les abonnements, grevant le budget des familles.

Dans le domaine d’une bulle spéculative des droits sportifs, le consommateur payeur, devient l’idiot de la chaîne de valeur intégrée, poussant celui-ci vers des alternatives légales ou illégales de manière à de contourner cette injonction médiatique.

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Fin de l’épisode TROIS : CONTROVERSE 3 : LES PARTIES PRENANTES INTERNES ET EXTERNES

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA en Management des Organisations et Entreprises du Sport de l’ESG Executive et d’un Executive Master en Sociologie de l’entreprise et conduite du changement de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

Pour toute demande d’intervention, de renseignement ou d’information complémentaire :

📱 Mob : 06 73 32 63 38