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Fragmentation des identités sociales dans les organisations du sport

Le sport et l’individu hypermoderne

Sommaire

Fragmentation des identités sociales dans les organisations du sport

Le sport et l’individu hypermoderne

1.      Avant-propos

2.      De la post modernité à l’hypermodernité : Les mutations

Le progrès pour tous n’est pas au rendez-vous !

3.      Un égocentrisme social

4.      L’individu hypermoderne et le management

5.      L’individu hypermoderne et l’entrepreneuriat

6.      L’individu hypermoderne et la communication

Le sens des priorités est inversé !

7.      Les illusions libérales et le pouvoir social

8.      Critiques de l’individu hypermoderne

De qui a-t-on peur ?

9.      Conclusion

10.        Bibliographie – Ouvrages cités

1.    Avant-propos

Notre monde connaît des transformations inédites. Si dans un contexte marqué par ce que les sociologues appellent l’hypermodernité, mais aussi par l’avènement de la virtualité et de l’importance que revêt la notion de plaisir, qu’en est-il de l’individu ?

Je partirai d’abord d’un constat ou plutôt d’une forme de diagnostic : qu’en est-il de notre monde contemporain et l’environnement du sport en particulier ? Ensuite je m’attarderai sur ce qui peut apparaître comme révélateur : les mutations de l’individu hypermoderne, un égocentrisme social, l’hypermodernité et le management, l’individu et l’entrepreneuriat, la communication à l’ère de l’hypermodernité, les critiques de l’individu hypermoderne et leurs conséquences sur les acteurs opérant dans le monde sportif.

Les successions de crises économiques, sociales et sanitaires majeures contribuent à des mutations qui mettent en lumière la construction identitaire de l’individu hypermoderne. L’individu, sportif, spectateur, fan ou supporter, salarié dans une organisation liée aux activités sportives est passé maître de sa vie, il doit avoir de la réflexivité. La réflexivité est le fait d’être en regard de soi-même, de s’analyser, d’opérer des choix et de prendre des décisions. La réflexivité est un moment de l’individu moderne, qui marque une rupture importante. Une valeur nouvelle apparaît, qui est que l’identité de sens est désormais une condition de l’action dans un environnement sportif. Cette nouvelle donne redessine tout l’environnement des inégalités sociales et de l’éthique sportive. Avant, les structures sociales des organisations du sport portaient les individus et leur permettaient d’agir. Ils réfléchissaient ; mais pour savoir s’ils avaient bien appliqué les règles, ils attendaient les interpellations de l’organisation. Aujourd’hui, cela passe par la subjectivité des individus, qui doivent construire les préalables requis qui leur permettent d’agir.

Comme la nouvelle donne de l’individu passe par la subjectivité et par la comparaison de chacun avec les autres, les acteurs du sport sont toujours menacés par une perte d’estime de soi. Il leur faut toujours se battre pour la reconnaissance, sur fond d’épuisement moral. Les inégalités sociales ne sont pas mortes, elles sont même sociologiquement beaucoup plus intolérables qu’autrefois, mais elles n’ont plus la même forme, elles passent désormais par les individus dans les organisations du sport.

Plusieurs phénomènes récents et importants illustrent cette tendance. L’économie du sport s’est « globalisée » et envahit toutes les sphères de l’activité. Le temps se rétrécit en instaurant un régime d’urgence généralisée. Les dimensions collectives de l’existence se fragilisent et s’atténuent, accentuant la liberté des individus, en même temps que leur responsabilité dans la conduite de leur vie professionnelle et personnelle. Il s’agit donc d’interroger les conséquences de ce nouveau contexte, sur la dimension individuelle de l’existence.

Dans le domaine du travail, dans les organisations, le « clair et net » qui était recherché, n’est plus suffisant, c’est désormais la « transparence » qui est obligatoire, là où la rapidité d’exécution était attendue, c’est l’immédiateté qui est exigée. L’hypermodernité exige de chaque individu que toute sa personne soit mobilisée au profit des organisations du sport pour réaliser ce qu’on attend de lui.

La logique du marché, de la compétition et de l’instantanéité des nouveaux moyens de communication contribue à la généralisation des notions d’urgence et d’immédiateté. On voit ainsi apparaître des phénomènes « d’hyperfonctionnement » où l’individu, sollicité en permanence, est dépossédé du sens de son activité – qu’à vrai dire il ne recherche même plus.

Vincent de Gaulejac généralise le propos en pointant les « injonctions paradoxales » de l’individu hypermoderne : « Il doit se présenter comme un être libre, responsable, créatif et en même temps se couler dans des modèles de performance très strictes »[1]. Robert Castel rappelle, lui, que chacun n’est pas également apte à être un individu hypermoderne, car cela suppose un certain nombre de « propriétés », matérielles et sociales, inégalement distribuées dans la société. Certains ne sont donc individus, et a fortiori hypermodernes, que « par défaut », car il faut un périmètre social suffisant pour « rentrer dans les aventures de la subjectivité »[2].

2.    De la post modernité à l’hypermodernité : Les mutations

De la financiarisation de l’économie aux transactions financières, toute l’étendue de la finance met au premier plan de l’économie, non plus la production, mais la consommation et l’innovation. « La destruction créatrice »[3], pour reprendre la formule de l’économiste Joseph Schumpeter, pose la question du financement de ses principaux acteurs, les actionnaires, les propriétaires, les organisations du sport, les ménages et les institutions sportives. Ce financement devient une finalité obsessionnelle. Il faut le faciliter par tous les moyens, y compris en recourant à l’inflation financière. De la « destruction créatrice », on passe à « l’innovation destructrice »[4], au sens de Luc Ferry, qui porte un coup à la déliquescence de la culture, à l’éducation devenue marchande, à la destruction des emplois, à la précarisation des acteurs du sport, à la dissolution des supports sociaux et à l’effondrement des conditions de vie environnementales.

Longtemps présenté par ses promoteurs comme le seul système conforme aux « lois naturelles »[5] de l’économie, c’est-à-dire du marché, et donc non marqué par une idéologie, le capitalisme semble aujourd’hui de plus en plus fortement remis en question en tant que dernière religion temporelle. Si le capitalisme prend plusieurs formes depuis son avènement au XVIIIème siècle, il se caractérise par un trait fondamental qui reste constant au fil du temps : l’accumulation permanente de capital et la recherche non moins permanente de profit. Celui-ci implique que la plus grande part des profits ne soit pas consommée pour l’usage personnel mais accumulée sous forme d’épargne, puis réinvestie dans l’organisation afin de permettre l’accroissement des moyens de production. « C’est la remise en jeu perpétuelle du capital dans le circuit économique dans le but d’en tirer profit, c’est-à-dire d’accroître le capital qui sera à son tour réinvesti, qui est la marque première du capitalisme », soulignent Luc Boltanski et Ève Chiapello, dans « Le nouvel esprit du capitalisme »[6].

Appliqué à l’environnement du sport, existe un paradoxe existentiel dans la mesure où ces activités se déroulent dans un environnement ultralibéral, et simultanément ne produisent pas (ou seulement par des opérations exceptionnelles) de profits accumulés suffisants –  profits qui sont les marques premières des actionnaires. Ce déficit de profits remet en question le devenir de ce modèle économique.

En miroir, l’idéologie communiste s’épuise et s’effondre avec le Mur de Berlin le 9 novembre 1989. C’est l’implosion de l’Union soviétique en décembre 1991, avec une onde de choc qui ébranle les partis communistes des pays occidentaux, détruisant les défenseurs historiques des classes ouvrières et populaires. C’est surtout la fin du discours communiste qui a mobilisé tant de générations de militants qui revendiquaient une humanité plus juste et plus fraternelle.

Par conséquent, c’est la fin des « grands récits », énoncé par Jean‑François Lyotard dans « La Condition postmoderne »[7], qui engageune remise en question des pensées « totalisantes », qui affirme son « incrédulité » face aux « grands récits » de la modernité. À commencer par ceux qui, depuis les Lumières, font de l’histoire de l’humanité un long chemin vers l’émancipation, portée par l’esprit moderne, la science, la politique et les arts, qui se mesurent à leur contribution au progrès social. La postmodernité constate l’éclatement des doctrines, des grandes causes en Europe, des grands dispositifs institutionnels qui ont fondé la société moderne et industrielle et sont définitivement délégitimés.

Le progrès pour tous n’est pas au rendez-vous !

À peine commencions-nous à nous sentir postmodernes et à nous conforter dans cette idée que je vous propose de remettre en question cet acquis en vous affirmant que cette époque est révolue et qu’il vous faut tenir compte du règne actuel de l’hypermodernité.

Encore faudrait-il voir une vraie rupture avec la modernité ? La libération et la valorisation de l’individu, qui se mettent en place au XVIIe siècle sous la forme du contrat social, élaborée pour la première fois par Hobbes dans « Le Léviathan », énonce pour les individus le renoncement à leur droit naturel sur toute chose afin d’acquérir en retour des droits sociaux et une sécurité juridique qu’ils ne possédaient pas dans l’état de nature. La valorisation de la démocratie comme seul système politique viable, permet de combiner liberté individuelle et sécurité collective. Le marché, promu comme système économique régulateur est paré de toutes les vertus puisqu’il contribue à la paix entre les nations et à la richesse tant individuelle que collective. Le développement techno-scientifique est conçu comme une panacée au labeur difficile des êtres humains et comme garantie de la santé des populations.

 Or, ces principes sont toujours au centre de nos préoccupations et ils ne sont en rien délégitimés. Le marché et la technoscience, fortement critiqués par défiance à leur égard, ne laissent apparaître aucun modèle alternatif au plan économique qui ne semble crédible. Finalement, on ne pense plus qu’à transformer la modernité, qu’à la rationaliser davantage en approfondissant ses fondements.

Et nous entrons dans l’ère de l’hypermodernité, définie comme étant une modernité sans illusion, une modernité radicale caractérisée par l’exacerbation et l’intensification de la logique moderne, permettant le développement de marché globalisé, dans lequel l’innovation numérique remet en question toutes les formes de relations sociales.

Il suffit de regarder et d’analyser les évolutions dans les organisations du sport, la production des spectacles sportifs, les modalités de fonctionnement des institutions nationales et internationales qui régissent le sport, les formes de relations sociales mises en œuvre, pour comprendre que l’ensemble des acteurs agissant dans l’environnement du sport ont intégré toutes les caractéristiques de l’hypermodernité. 

Quelques signes me laissent à penser que cette évolution signifie plus qu’un simple changement d’époque, comme si cette époque était révolue.

L’état d’esprit s’est modifié dans le monde intellectuel, la critique de la notion de postmodernité ne cesse de faire de nouveaux adeptes, porté par l’apparition de nouveaux concepts comme l’ultra modernité, ou bien encore l’hypermodernité. Révélateur, comme la multiplication des références à des événements dont « l’hyper » est le dénominateur commun, hyper-capitalisme, hyperclasse, hyperterrorisme, hyperpuissance, hyper-individualisme, hypermarché, hyperconsommation, hyperproduction, hyperactivité, hyperlien, hypertexte, qu’est-ce qui n’est plus “hyper” ? Dès lors, je peux parler d’hypermodernité au sens de Gilles Lipovetsky, dans «  Les temps hypermodernes »[8] en 2004 : « qu’est-ce qui ne révèle plus une modernité élevée à la puissance  superlative ? Loin  qu’il  y  ait  décès  de  la  modernité,  on  assiste  à  son parachèvement, se  concrétisant  dans  le  libéralisme  mondialisé,  la  commercialisation  quasi générale  des   modes  de   vie, l’exploitation  de   la   raison  instrumentale,   une individualisation   galopante ».   

Je ferai le choix d’envisager les mutations de l’individu sous l’angle du changement affectant les rapports interrelationnels.

Dans le rapport à soi, l’important aujourd’hui, c’est l’authenticité, qui se décline selon deux modalités distinctes. Tout d’abord, le recours à l’émotion devient le registre légitime de reconnaissance et de consécration de soi en public. Ensuite, la supériorité du vécu, sous la forme de l’expérience personnelle ou du témoignage, est de plus en plus mobilisée. Ainsi, à la télévision, à la radio ou lors des grands-messes sportives ou sociales, les individus se mettent en scène, en témoignant selon le registre émotionnel.

Ces témoignages peuvent s’analyser comme une « immense accumulation de spectacles », nous rappelle Guy Debord, dans « La société du spectacle »[9], dès lors qu’il s’agit d’intervenir en public, d’exposer une idée, une conviction, de manifester un engagement traduisant l’ère des auto-récits.

L’arrivée des nouvelles technologies est venue interrompre l’œuvre de nos propres cultures. Les grands récits historiques, chargés de sens, d’identités, de savoirs, ont cessé de se raconter, de s’écrire, transformant tout notre modèle culturel.

Simultanément, l’information se répand partout, en un instant. Mais cette information confuse et immédiate qui se propage en un clic, non plus dans un contexte local précis, dans un modèle culturel particulier, mais sur l’ensemble de la planète, vient heurter les cultures traditionnelles. Et cette information, authentique ou fictive, est celle de l’instant, chassée par de nouvelles plus spectaculaires. L’avis de Jean-François Lyotard, dans « L’Inhumain », est sans concession : « Cette accessibilité généralisée offerte par les nouveaux biens culturels, il ne semble guère qu’elle soit à proprement parler un progrès. La pénétration de l’appareil techno-scientifique dans le champ culturel ne signifie nullement que connaissance, sensibilité, tolérance, liberté s’en trouvent accrues dans les esprits. À renforcer cet appareil, on n’émancipe pas  l’esprit. Nous  faisons plutôt l’expérience inverse : barbarie nouvelle, néo-alphabétisme et appauvrissement du langage, nouvelle pauvreté, impitoyable remodelage de l’opinion par les médias, un esprit voué à la misère, une âme à la désuétude »[10].

Dans un tel environnement, l’esprit éprouve de plus en plus de difficulté à penser par lui-même. Et l’excès d’informations, non seulement peut nous conduire à la désinformation, mais il nous plonge aussi dans une forme nouvelle d’analphabétisme.

Auparavant, le rapport aux autres était communautaire et idéologique. Des visions du monde distinctes étaient portées par des groupes identifiables. L’affrontement était politique au nom d’idéologies. Aujourd’hui, le rapport aux autres est devenu prioritairement individualiste et pragmatique. Le terme individualiste, ne porte pas de jugement de valeur : il s’agit de signifier que notre modernité consacre un état d’esprit d’individus égaux et libres, contrairement à l’esprit des sociétés anciennes où régnait une conception foncièrement inégalitaire et hiérarchique du lien entre les hommes. Ce rapport aux autres vient donc bouleverser les modalités de l’engagement dans la société.

Après trois révolutions industrielles, l’homme occidental, dans son rapport aux choses a d’abord été un producteur. Par la suite, le statut de consommateur s’impose, l’individu prend rapidement l’habitude de fréquenter régulièrement les nombreux hypermarchés. Ce qui importe, comme nouvelle source créative de relation sociale, n’est plus tant de produire, mais de consommer pour exister socialement et faire tourner la machine économique, croissance oblige.

Or, « consommer le monde » revient à avoir un rapport utilitariste aux choses. L’utilitarisme est une doctrine, une philosophie représentée notamment par les philosophes anglais Jeremy Bentham (1748-1832) et John Stuart Mill (1806-1873) qui repose sur l’idée que « le but de la société doit être le plus grand bonheur pour le plus grand nombre, conçu comme la somme des plaisirs de chacun »[11]. Sur le plan moral, l’utilitarisme considère que la valeur morale d’une action est déterminée uniquement par sa contribution à l’utilité générale. Premièrement, cette conception morale est conséquentialiste, c’est-à-dire qu’elle évalue une action uniquement en fonction de ses conséquences, ce qui la distingue notamment de nombreuses conceptions de type moraliste, pour lesquelles la conduite doit être évaluée en elle-même, indépendamment de ses conséquences. La doctrine de l’utilitarisme est maximaliste, c’est à dire que le fait de maximiser le bien-être est un objectif fondamental. Dès lors, l’individu hypermoderne entretient un rapport aux choses selon qu’elles présentent ou non un intérêt économique, pour lui et son environnement, qu’il s’agit d’accroître. L’individu consomme si le produit le satisfait, il zappe, l’use et le jette quand le produit se révèle moins satisfaisant. L’utilitarisme devient ainsi une valeur, l’axe majeur de notre rapport au monde. Or l’utilitarisme, l’intérêt instrumental et stratégique, ne sont que les autres noms de l’intérêt pour soi.

Le rapport au temps de l’individu fait l’objet d’une « accélération continue », écrit Hartmut Rosa, dans « Accélération. Une critique sociale du temps »[12], surtout depuis le développement des outils de communication tels que le téléphone portable, Internet et les micro-ordinateurs. Auparavant, l’individu s’inscrivait dans un temps unique, long et partagé à l’échelle d’un même territoire. Aujourd’hui, l’individu hypermoderne envisage une succession de temporalités selon ses réseaux, courant après … le temps. Aujourd’hui, l’individu hypermoderne veut dominer le temps, le maîtriser. Cette volonté a un soubassement économique, il s’agit de gagner à tout prix du temps, d’agir en « temps réel » dans un monde pris dans une course effrénée pour le gain, y compris le gain de temps, car « le temps, c’est de l’argent ». Dans ce contexte, la vitesse devient le pouvoir. L’homme pense maîtriser le temps, mais il est dépendant à présent de l’urgence, qui lui enjoint sans cesse d’aller plus vite et plus haut. Il a ainsi l’illusion d’être affranchi du temps par le biais des technologies en sa possession, qui lui donne l’impression d’avoir le don d’ubiquité, d’être présent partout à la fois. Cependant, il est assujetti à l’urgence, débordé par le temps, dans sa vie professionnelle, sociale et privée. Pris dans la spirale de l’urgence, il cherche à gagner du temps en divisant le travail, mais passe tout son temps à répondre à ses mails, à ses messages et à communiquer. Il est finalement prisonnier de son temps, lui qui voulait s’en affranchir.

Si les technologies sont synonymes d’immédiateté, de sécurité, d’ouverture et d’évasion, elles sont aussi sources d’informations non désirées, d’appels intempestifs, de surcharge de travail, de confusion entre urgence et importance, de nouvelles addictions, et impliquent la menace d’une surveillance et d’un contrôle accru.

Alors que la prise de distance, la coupure, vise à ouvrir une période de réflexivité, de dialogue de soi à soi, d’expérience de son intériorité, quels sont les logiques qui poussent à être toujours connectées ?

C’est une attente diffuse, constante, à se laisser surprendre par de l’inédit, de la survenance, de la distraction, quelque chose d’agréable, par la curiosité, par le fait qu’un message va changer notre vie, donc que l’on va être reconnu, que l’on est quelqu’un, que l’on existe dans un réseau, que l’on est important, enfin que l’on vit. Alors que si on met sur « OFF », on disparaît ! Donc on a peur de manquer quelque chose, de manquer un espoir fou de la « survenance positive » ou « FOMO » acronyme de l’anglais Fear Of Missing Out. (Ndlr : Peur de rater).

Alors que la déconnexion nous permettrait d’intégrer « un autre monde », le monde de la réalité, concret, le vrai monde devient celui du monde connecté ! Le contraste est tellement fort qu’il fait émerger des questions de fond, existentielles. La confrontation brutale avec le sens de sa vie apparaît !

Finie la distraction pour être saisi par le silence de la disparition, la confrontation réelle avec sa vie.

Le rapport aux idées et valeurs, en pleine mutation, transforme la nature des engagements de l’individu hypermoderne. À présent, les individus sont particulièrement critiques et réflexifs. Critiques, parce que leurs jugements de valeur reposent sur un raisonnement qui se réclame de la démonstration scientifique. Ils réclament le droit de critique et de proposition à l’égard de toutes les normes en vigueur. Réflexifs, parce que les individus s’interrogent sans cesse et fonctionnent par tests, essais, erreurs. Ils se donnent les moyens d’une distance d’avec eux-mêmes. Ils sont avant tout en quête de sens.

L’évolution progressive des valeurs de sécurité, de confort matériel, déclinent au profit de valeurs comme la paix, les droits de l’homme, l’écologie, l’épanouissement individuel, cherchant à donner plus de sens aux activités individuelles, une réduction de l’agressivité dans les relations entre individus et dans les rapports entre l’homme et la nature. De telles valeurs sont au cœur du développement proposé à l’individu hypermoderne.

3.    Un égocentrisme social 

Ce que je peux désigner par « égocentrisme social », c’est l’espace singulier qui traduit une déformation du moi, des comportements involontaires et inconscients, consistant à n’envisager le point de vue ou l’intérêt des autres qu’à partir du sien propre. Il s’agit par-là de comprendre les conséquences dans les organisations du sport dont le moi est en surexposition. Et d’interroger ce qu’implique le fait de chercher à se rendre toujours plus « visible ». Le pouvoir n’est pas seulement celui qui consiste à augmenter sa « visibilité », mais aussi à valoriser des enjeux financiers, car celui qui récolte un grand nombre de vues se voit offrir des sponsors, avec une manne financière à la clé. L’enjeu de cette existence dans laquelle on « s’éclate », c’est bien « d’être vu ».

À la manière de Descartes qui nous dit : « Je pense, donc, je suis », je peux ajouter « je suis vu, donc, je suis ».

Nous voyons donc tout l’impact de cet égocentrisme social qui consiste à exister à la face réelle ou virtuelle du monde, en représentation constante. Jean-Paul Sartre dans « L’être et le Néant »[13] questionne la représentation, en prenant l’exemple du garçon de café : « […]. Toute sa conduite nous semble un jeu […]. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café ». Sartre démontrait que c’est le propre de l’individu que d’être capable de mauvaise foi, c’est-à-dire de se mentir à lui-même sur ce qu’il est vraiment. Sa conscience est en décalage avec son lui-même, et le philosophe concluait qu’à force de jouer à être garçon de café, il n’est plus que garçon de café, moment où son apparence englobe sa réalité. Les réflexions de Sartre sont toujours d’actualité, avec une autre dimension aujourd’hui, car jouer avec son apparence n’est plus un « jeu » mais un « je » égotique.

L’égocentrisme social, c’est le moment où notre narcissisme personnel s’efface pour ne plus exister que dans le regard de l’autre. Nous distinguons là, ce qu’on appelle le « self-branding » ou encore l’autopromotion, attitude qui consiste à prendre le moi comme véritable « objet » et d’en faire la « promotion » notamment par le biais des réseaux sociaux. Carlo Strenger dans un livre au titre évocateur « La peur de l’insignifiance nous rend fous »[14] évoque l’angoisse de « passer inaperçu » ou encore de « ne pas être vu » derrière l’égocentrisme social.

Le flux ininterrompu de nouvelles sur les exploits des dirigeants stars, des entrepreneurs visionnaires, des sportifs starisés pèse lourdement sur l’estime de nombreux individus. La nature humaine a montré la profondeur du besoin d’avoir une importance, d’être différent et de sentir que sa vie a un sens. Il nous est donc nécessaire de croire que nous faisons quelque chose qui importe dans notre environnement sportif.

Le système de l’info-divertissement sur lequel nous sommes branchés nuit et jour déverse un flux incessant de nouvelles sur leurs exploits.

Les médias et les agences de marketing communicationnel ont compris de longue date le pouvoir qu’elles pouvaient en retirer. Certaines marques y ajoutent des slogans qui s’impriment dans nos têtes, tel le fameux « Impossible is nothing » (Ndlr : rien n’est impossible) d’Adidas ou encore le « Just do it » (Ndlr : simplement fais-le) de Nike.

Le « Just do it » promeut un mythe qui ne correspond tout simplement pas à la réalité.

C’est oublier que l’écrasante majorité des individus essaie de faire de leur mieux, sans jamais atteindre les sommets.

Le « Just do it » a donc pour conséquence pathétique de discréditer l’ordinaire puisqu’il dénigre des carrières respectables, dont on pourrait être fier. J’ajoute qu’il n’est pas vrai que seuls, le talent, la volonté, le caractère et le courage décident de qui va arriver aux sommets, mais plutôt à quel point la naissance, les conditions sociales, le réseau, la bonne rencontre, au bon moment, sans oublier la chance, déterminent, au final, la réussite ou non.

« Mais au lieu d’intégrer les statistiques dans notre compréhension de ce que nous pouvons accomplir ou non, nous nous laissons plus influencer par le mythe du « Just do it » que par la sobre réalité des faits incontestables », déplore Carlo Strenger.

Dans l’environnement du sport, l’exemple des entraîneurs de sport professionnel, de même que les managers dans les organisations montrent leurs grandes difficultés à gérer la personnalité des différents acteurs du sport. Dans une société qui voue un culte à l’individu et « déifie » les stars, il est crucial de savoir convaincre un athlète ou un collaborateur à l’ego surdimensionné de porter les intérêts de son équipe plus hauts que les siens.

Les managers les plus talentueux sont ceux qui sont capables de tirer le meilleur de ces individus compliqués, ou de repérer précocement que ces « divas » empoisonnent le moral du groupe et doivent être écartées. Ils comprennent aussi que les valeurs de respect, d’empathie, de fierté, et de dévouement doivent pénétrer profondément la culture du groupe et de chacun de ses acteurs. On ne peut pas séparer l’individu de l’être humain qui l’incarne.

Parmi les organisations professionnelles, certaines sont minées par des individus qui ne pensent qu’à leur propre promotion, aux dépens de la réussite du groupe. Ces personnalités narcissiques sont une catastrophe pour les organisations. Ils finissent par contaminer l’organisme entier. La culture du sport, en favorisant le culte des stars, a perdu toute appréciation de la part de l’humain dans le jeu et dans la performance collective.

Des entraîneurs exceptionnels partisans de la vieille école avec leur slogan « l’équipe d’abord » insiste sur l’importance cruciale qu’il y a à créer une attitude collective de dévouement à l’opposé de l’égocentrisme du star système, affirmant que ces valeurs constituent la raison d’être de toutes les organisations qui doit reposer sur un esprit collectif, dans lequel tous les acteurs abandonnent leur ego personnel pour exalter une conscience au service du groupe.

Comment des organisations peuvent-elles faire preuve de succès, de fierté et de sens de l’honneur dans leur manière d’éveiller la conscience des individus ?

L’enjeu futur sera de former d’abord des êtres humains et des individus avant de former des acteurs du sport pour atteindre une alchimie alternative pour notre époque ; persuader les femmes et les hommes de sublimer leur ego à tout moment, pour le bien des organisations, toutes conditions requises pour insufflerun esprit gagnant qui est au fondement des relations humaines dans les communautés sportives.  

Comment, dans le sport, l’individualisme et la quête de performance ont pris le pas sur le partage et l’activité ludique. Quelles en sont les causes ? Comment inverser la tendance pour retrouver les vraies valeurs du sport, le jeu, le bien-être et la coopération ?

Parmi les sports individuels, la course à pied a le vent en poupe et les clubs de fitness prolifèrent. Ces sports à la mode sont représentatifs de l’évolution de notre société, devenue individualiste et narcissique. On priorise désormais la performance : des objectifs personnels à accomplir, des résultats à produire, de la réussite à obtenir et des louanges à recevoir.

Selon un sondage Harris Interactive de 2017, 15% des Français indiquent pratiquer la course à pied mais seulement 2% considèrent qu’il s’agit de leur sport préféré. Pour le fitness, 20% vont en salle (deuxième sport le plus pratiqué en France) mais seulement 5% des personnes interrogées indiquent préférer ce sport. Le plaisir ne va plus forcément de pair avec la pratique.

La pratique d’un sport n’est plus seulement un jeu, une occupation ou l’occasion de rencontrer des amis. Faire du sport rejoint les aspirations à la perfectibilité, à l’amélioration de soi, à la quête d’individualité des individualistes. Il devient une activité d’abord tournée vers l’individu lui-même, illustrée par l’évolution de ces pratiques.

Mais qu’en est-il des sports collectifs ? Malgré leur aspect « collectif » justement, ils véhiculent finalement les mêmes valeurs d’individualisme et de compétition.

Les sports collectifs défendent l’idée du « faire ensemble », alors que le collectif se conçoit uniquement comme la somme d’intérêts individuels. Chacun(e) cherche à s’extirper du groupe pour devenir le sportif ou la sportive de l’année au même titre que le collaborateur du mois. Tous les sports collectifs décernent des récompenses individuelles !

4.    L’individu hypermoderne et le management

Il s’agit de décrire un phénomène social qui tend à se répandre avec ce que l’on nomme la « globalisation », que nous pouvons identifier comme une idéologie managériale.

L’idéologie managériale repose sur la gestion qui est largement élaborée par les praticiens et la grande majorité de ceux qui l’enseignent, comme un ensemble de techniques destinées à rechercher l’organisation de la meilleure utilisation des ressources financières, matérielles et humaines, pour assurer la pérennité des organisations du sport.

S’appuyer sur « l’hyper-individualisme », compris comme un individu de plus en plus autonome dans ses choix et de moins en moins déterminé par une logique de classes, engage les acteurs du sport dans une gamme des choix personnels à l’extrême et affranchit les conduites individuelles des encadrements collectifs.

Le souci d’objectivité mis en avant par les gestionnaires conduit à occulter, dans les organisations, les dimensions subjectives, psychiques et symboliques. L’individu ne peut se réduire à un objet, à une ressource ou à une variable à maîtriser. En imposant l’idée d’une rationalité dans les décisions prises, il éclipse un des fondements de toute réalité sociale : l’affrontement d’intérêts plus ou moins contradictoires et de points de vue divergents. L’apparente neutralité du discours de l’expert camoufle la réalité de ses liens avec ceux du service duquel il produit ses connaissances. L’objectivité et la neutralité des discours qui veulent faire autorité, sous le masque de la rigueur méthodologique, ne font que recouvrir d’un vernis scientifique, une certaine vision, dévoyée dans ses finalités.

Dans l’univers managérial chaque acteur cherche à maximiser ses résultats, c’est-à-dire à optimiser le rapport entre les résultats personnels de son action et les ressources qu’il y consacre, le tout au service de l’efficacité. La préoccupation d’utilité est aisément concevable dans un univers où les soucis d’efficience et de rentabilité sont constants. Il faut être toujours plus efficace et productif pour survivre. La compétition est considérée comme une donnée naturelle à laquelle il faut bien s’adapter. Dans ce contexte, la recherche et la connaissance ne sont considérées comme pertinentes que dans la mesure où elles débouchent sur des solutions opérationnelles. La recherche de la vérité scientifique s’efface devant les proclamations d’efficacité, la démonstration devant la force de conviction.

L’optimisation règne en maître. « Soyez positifs ! » est une injonction permanente. Il convient de pratiquer « l’approche solution », c’est-à-dire de n’évoquer un problème qu’à partir du moment où l’on peut le résoudre. On entend souvent des responsables déclarer à leurs subordonnés : « Ici, il n’y a pas de problèmes, il n’y a que des solutions ! ». La pensée est considérée comme inutile si elle ne permet pas de contribuer à l’efficience de l’organisation. Chaque individu est reconnu en fonction de ses capacités à en améliorer le fonctionnement. La pertinence de la connaissance est mesurée à l’aune de son utilité. On peut exercer sa liberté de pensée et de parole à condition que cette liberté participe à améliorer les performances. La question n’est plus alors de produire de la connaissance en fonction de critères de vérité, mais selon des critères d’efficience et de rentabilité à partir des objectifs fixés par le système. C’est un autre aspect de la rationalité instrumentale qui tend à considérer comme irrationnel tout ce qui ne rentre pas dans sa logique. C’est ce qu’Herbert Marcuse, dans « L’homme unidimensionnel »[15], appelait l’univers du discours clos « qui se ferme à tout autre discours qui n’emploie pas ses termes ».

Affirmer que l’humain est un bien matériel des organisations du sport conduit à opérer une inversion des rapports entre l’économique et le social. C’est bien l’organisation, comme construction sociale, qui est une production humaine et non l’inverse. Le développement des organisations n’a de sens que s’il contribue à l’amélioration de la société, donc au bien-être individuel et collectif et, en définitive, s’il est au service de la vie humaine. Gérer l’humain comme une ressource, au même titre que les matières premières, le capital, les outils de production ou encore les technologies, c’est poser le développement de l’organisation comme une finalité en soi, indépendante du développement de la société.

En fin de compte, la conception managériale conduit à interpeller chaque individu pour qu’il devienne un agent actif du monde productif. La valeur de chacun est mesurée en fonction de critères financiers. Les improductifs sont rejetés comme « inutiles au monde »[16]. On assiste au triomphe de l’idéologie de la réalisation de soi-même. Chacun est invité à devenir l’entrepreneur de sa propre existence. La finalité de l’activité humaine n’est plus de « faire société », au sens d’Hannah Arendt[17], c’est-à-dire de produire du lien social, mais d’exploiter des ressources, qu’elles soient environnementales, matérielles ou humaines.

Les techniques de management perdent leur caractère disciplinaire. La surveillance n’est plus physique, mais communicationnelle. Si par certains aspects la surveillance reste ininterrompue, grâce aux badges magnétiques, aux portables, aux ordinateurs, aux bips-bips, elle n’est plus directe. Elle porte davantage sur les résultats du travail que sur ses modalités. Si la liberté s’accroît sur les tâches à accomplir, elle trouve une contrepartie dans une exigence drastique de résultats. Il s’agit moins de réglementer l’emploi du temps et de quadriller l’espace que d’obtenir une disponibilité permanente pour que le maximum de temps soit consacré à la réalisation des objectifs fixés et, au-delà, à un engagement total dans la réussite des organisations du sport. Il s’agit donc toujours de constituer un temps intégralement rentable. On l’obtient, non par un contrôle tatillon de l’activité pour adapter le corps à l’exercice du travail, mais par des dispositifs qui consistent à mobiliser l’individu sur des objectifs et des projets qui canalisent l’ensemble de ses potentialités. Et comme les horaires de travail ne suffisent plus pour répondre à ces exigences, la frontière entre le temps de travail et le temps hors travail va devenir de plus en plus poreuse.

Si le temps de travail devient illimité, l’espace doit l’être également. Il convient de pouvoir travailler à tout moment et en tout lieu. L’individu hypermoderne est obligatoirement connecté. Il peut travailler en permanence avec l’ensemble de ses interfaces et de ses réseaux dans le monde entier. C’est à dire qu’il n’a plus besoin de bureau fixe, mais d’un bureau qu’il transporte avec lui.

L’efficacité du système disciplinaire voulait que l’ordre soit exécuté sans discussion, sans explication et sans délai. Il sollicitait de la part des acteurs une soumission totale au règlement et une docilité obéissante face à la hiérarchie. Il mettait en œuvre une surveillance directe et un système de sanction normalisé. Le système managérial est en rupture par rapport à ce modèle. D’un gouvernement par les ordres, on passe à un management par la réalisation de projets, on passe d’une surveillance hiérarchique à la mise en œuvre d’une autonomie contrôlée. Les individus consentent à la soumission à un ordre pour aller vers un engagement dans le projet, acceptant une nouvelle servitude.

La modélisation des comportements est conçue à partir d’un système de valeurs que chaque individu doit intérioriser : la valorisation de l’action, l’exemplarité des attitudes, l’adhésion aux idéaux de management, le primat des résultats financiers, la mobilisation permanente pour répondre aux exigences des clients, des actionnaires, des collaborateurs et des fournisseurs. On attend une identification totale à l’organisation dont le nom doit inspirer « fierté et confiance ». Chacun est invité à prendre des initiatives, à faire preuve de créativité et d’autonomie dans le sens des orientations et des convictions de l’organisation. Il s’agit d’adhérer librement, spontanément et avec enthousiasme à son projet économique. Les chartes glorifient l’esprit d’équipe, le challenge et l’exigence de qualité, la responsabilité et l’éthique.

Que penser de ces organisations du sport lorsque les comportements irresponsables se multiplient, quand les déclarations d’intention ne sont pas suivies d’effets ?

Que dire de ces organisations sportives qui parlent de codes de déontologie, qui dans le même temps licencient et multiplient les stages, les CDD ou CDI précaires, qui, le plus souvent maquillent leurs données économiques ?

Que songer de ces organisations sportives qui évoquent l’importance du respect environnemental et dont les dirigeants et les acteurs ne se déplacent qu’en transport aérien sur l’ensemble du territoire, source de pollution majeure ?  

Le pouvoir managérial fonctionne moins comme une « bastille » qui soumet des individus à une surveillance constante que comme un système de sollicitation qui suscite un comportement réactif, flexible, adaptable, capable de mettre en acte le projet de l’organisation. Chaque service, tantôt centre de coût, tantôt centre de profit, assumera les résultats de ses activités, en fonction de leur rentabilité financière. La gestion managériale préfère l’adhésion volontaire à la sanction disciplinaire, la mobilisation à la contrainte, l’incitation à l’imposition, la gratification à la punition, la responsabilité à la surveillance. Sa force s’enracine dans un système de valeurs qui favorise l’engagement individuel dans lequel la recherche du profit est couplée à un idéal. Le travail doit devenir le lieu de la réalisation de soi-même, de l’épanouissement de chacun, de l’esprit d’équipe, de la réponse aux exigences des clients comme des collaborateurs, du respect de tous. Il s’agit enfin de conduire ces activités avec le sens de l’éthique. Projet et idéal vont de pair. Personne ne peut se satisfaire de se consacrer totalement à son travail pour une finalité uniquement financière.

On ne recherche donc plus des individus dociles mais des « battants », des « winners » qui ont le goût de la performance et de la réussite, qui sont prêts à se dévouer corps et âme. Deux autres qualités sont aussi exigées, le goût de la complexité et la capacité de vivre dans un monde paradoxal, comme :

  • Vous devez travailler en équipe, mais l’évaluation des performances est individuelle.
  • La qualité totale, mais l’organisation est dominée par le souci de la rentabilité financière et des résultats quantitatifs.
  • L’avancement au mérite, mais c’est celui qui arrive à se mettre en avant au détriment des autres qui est promu.

La violence dans l’organisation hypermoderne n’est pas répressive. S’il peut subsister des formes de répression, c’est surtout une violence morale liée à des exigences paradoxales. Dans le modèle hiérarchique, le contrat est assez clair, il faut être au bureau ou à sur le lieu de travail pendant un nombre d’heures fixées à l’avance, dans un lieu déterminé pour effectuer une tâche précise, tout cela en contrepartie d’une rémunération. Il y a donc un engagement réciproque et formalisé. Dans le modèle managérial, l’essentiel du contrat se joue ailleurs. Nous avons évoqué sa dimension narcissique. L’organisation propose à l’homme managérial ou à l’employé, de satisfaire ses fantasmes de toute-puissance et ses désirs de réussite contre une adhésion totale et une mobilisation psychique intense. L’idéalisation et l’identification les contraint à une dépendance morale importante. Si l’organisation va mal, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Si elle les met sur la touche, c’est qu’ils n’ont pas été à la hauteur de ses exigences. Ce n’est plus un engagement réciproque qui règle les rapports entre l’individu et l’organisation, mais une injonction paradoxale. Plus l’individu réussit, plus sa dépendance augmente. Là où l’organisation progresse, c’est en définitive la part du sujet qui régresse. Plus il s’identifie à l’organisation, plus il perd son autonomie propre. Il croit jouer « gagnant-gagnant »[18], selon l’expression consacrée, alors que le fait de gagner le mène à sa perte. Double perte, puisqu’un jour il sera inéluctablement mis sur la touche dès que ses performances diminueront, mais aussi parce qu’il est mis en tension psychique permanente. On transfère l’autonomie fondée sur la liberté vers une nouvelle forme d’autonomie, fondée sur l’asservissement.

C’est un mode de management pervers que cette forme de pouvoir dans la mesure où il met en scène un système manipulateur qui piège l’individu dans son propre désir. Il est vrai que l’homme hyper moderne se trouve capté dans des modes de fonctionnement qui présentent toutes les caractéristiques de la perversion et qui conduisent au harcèlement, un des symptômes courants dans ce type d’organisation. Si le système lui-même apparaît comme pervers, c’est qu’il accapare les processus psychiques pour les mobiliser sur des fonctionnements organisationnels. Ce faisant, il met l’individu sous tension, en particulier parce qu’il le met en contradiction avec lui-même.

L’engagement du salarié est sans fin à partir du moment où il projette son propre idéal sur l’organisation. C’est à chacun de faire la preuve de son utilité, de sa productivité et de sa rentabilité, donc de démontrer qu’il sait tenir sa place et, au besoin, de s’en faire une. Chaque employé doit prouver ses compétences et justifier sa fonction. Mais en même temps, il est soumis à des prescriptions extrêmement contraignantes. C’est l’univers de l’autonomie contrôlée. Le prix à payer de la libre organisation de son travail se traduit par l’obligation de respecter des normes, mais aussi la surveillance permanente de ses résultats, de la réalisation de ses objectifs et de ses performances. Chaque salarié est au cœur d’une logique de coût et de profit dont les résultats peuvent être mesurés en temps réel. La liberté d’aller et de venir implique un contrôle à distance. Chacun est libre de travailler où il veut, à partir du moment où il est connecté en permanence sur le réseau. « Lorsqu’on transporte son bureau avec soi, on devient libre de travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre » ![19]

De l’organisation hiérarchique à l’organisation managériale, on passe d’une gouvernance par les ordres à une gouvernance par les règles, de l’imposition à l’injonction déguisée, on n’ordonne plus mais on discute, on suscite, on anime, on négocie et on motive.

L’organisation hypermoderne est composée d’hommes hypermodernes, chacun se voit comme son propre patron. Les individus s’auto-contrôlent, s’auto-exploitent et doivent se consacrer entièrement à leur travail, tout sacrifier à leur carrière. L’exigence de réussite trouve son fondement dans le désir inconscient de toute-puissance. L’organisation offre une image d’expansion et de pouvoir illimité dans laquelle les individus projettent leur propre narcissisme. Pris dans l’illusion de leurs désirs, ils sont animés par la peur d’échouer, la crainte de ne pas être à la hauteur, l’humiliation de ne pas être reconnus comme étant de bons éléments.

L’univers managérial promeut un idéal sans borne, une prescription vers un monde sublimé. Dans ce contexte, il n’est plus normal d’être limité. Il est demandé d’accroître en permanence les performances tout en diminuant les coûts. On crée des exigences de plus en plus élevées, au-delà de ce que l’on sait pouvoir faire. L’idéal devient la norme, pour des salariés toujours au sommet de leur forme, jamais malades, dans un contexte sans obstacle. La faiblesse, l’erreur, le contretemps, l’imperfection, le doute, tout ce qui caractérise l’humain « normal », n’ont plus lieu d’être. Puisque les individus ne peuvent jamais être à la hauteur des performances attendues, ils se vivent comme incapables, incompétents ou insuffisamment motivés. Ce sont eux qui deviennent responsables des défaillances de l’organisation.

 « Nous n’avons pas le choix, on l’accepte ou on part », disent la plupart des individus. En s’enfermant ainsi dans une alternative radicale, ils tentent de rationaliser leurs propres positions et, ce faisant, de légitimer leur conduite. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que de constater que, d’un côté, ils célèbrent les vertus du libéralisme et de la libre entreprise, et que, de l’autre, ils se présentent comme totalement dépendants et soumis aux exigences d’un système dont ils sont à la fois les acteurs et les produits. Pris individuellement ils semblent n’adhérer que partiellement à cette forme de pouvoir. Certains en font même une critique virulente. Ce qui ne les empêche pas de l’exercer avec leurs  collaborateurs et leurs homologues. On pourrait parler ici de duplicité de la part de certains individus qui pratiquent un double langage, traduisant une soumission librement consentie. L’appel récurent à l’éthique est l’expression du souhait de remettre de la cohérence et de la justice dans un univers incohérent et inhumain.

Il y a actuellement une forme d’hystérie collective autour de l’entrepreneuriat à laquelle il est difficile d’échapper.

5.    L’individu hypermoderne et l’entrepreneuriat

On ne peut fermer les yeux devant ce soudain engouement pour l’entrepreneuriat, qui serait la seule solution pour sauver la France de son marasme économique. Chacun, étant en quête de sens, prendrait tout à coup sa vie en main, préférant avoir un job « trop cool » à un salaire décent. On se fiche de qui ?

C’est une opération marketing, un lavage de cerveau des jeunes, des chômeurs, des femmes, des seniors et des étrangers en France auxquels l’État n’a rien d’autre à offrir qu’une crise économique qui s’éternise, des inégalités croissantes, et une démission de son action sociale.

Il n’y a pas d’autres choix, de toute façon, il faut bien créer son job, car il n’y en a pas de disponible autrement. Et c’est sans compter sur cette mutation sociétale qui fait tant fantasmer les pouvoirs publics et les grands penseurs qui nous martèlent que le salariat c’est fini. Aujourd’hui, place à l’économie collaborative, au retour aux vraies valeurs, à la notion d’usage avant la possession, à travailler « quand j’en ai envie », et sans contrainte, dans la liberté la plus totale.

Mais aussi la précarité la plus totale ! Car pas déclaré, il n’y a pas d’impôts, pas de sécurité sociale et pas de retraite. Rechercher du sens, vouloir plus de liberté dans son job et sa vie, travailler quand on veut, c’est bien, mais encore faut-il que cela soit vraiment de son plein gré et pas pour enrichir à profusion ceux qui profitent de la crise et du chômage. Ces incubateurs et accélérateurs qui ont émergé à profusion ces dernières années, créés pour bon nombre d’entre eux par des startupers ayant échoué et se disant qu’aujourd’hui, cela leur donne une légitimité pour accompagner les autres entrepreneurs, ou par des consultants et investisseurs en mal de notoriété. Mais en trois mois de formation, que nous dit-on, qu’il faut s’associer, que l’on ne peut pas réussir seul, que l’on doit vivre, manger, dormir pour sa boîte, que l’on doit avoir un réseau en béton, et qui sera toujours là en cas de pépin, sauf que, en cas de difficulté, plus personne n’est là pour vous soutenir. Et c’est sans compter que les « incubés » doivent dire partout que « c’est tellement formidable d’avoir intégré tel réseau, ça a changé ma vie, sans eux je ne serais rien ». Critiquer un accélérateur ou un incubateur, c’est mal.

L’entrepreneuriat est au service de la propre aliénation de l’homme hypermoderne par excellence.

Le monde politique affirme que « la véritable alternance, c’est l’efficacité », notion qui est le référent majeur de la dogmatique managériale depuis la révolution taylorienne. L’efficacité tend à devenir ainsi une symbolique universelle à laquelle le politique en crise se rattache désespérément. Car le politique subit une double crise ; d’une part, sa technologisation et sa technocratisation, d’autre part, la dilapidation de ses références symboliques. Dès lors, il va chercher des béquilles dans le champ entrepreneurial, d’où l’hommage aux start-ups, à « l’amour de l’entreprise », ou dans le dogme de l’efficacité. Mais comment concevoir que tous les individus seront en mesure d’affronter toutes les difficultés, tous les défis auxquels l’environnement de plus en plus concurrentiel va les contraindre, afin de pouvoir se réaliser dans leur projet, si nos dirigeants économiques et politiques ne conçoivent le futur qu’à travers une société, un état entrepreneurial dans lequel chacun des acteurs serait responsable de ses actes ?

Les organisations du sport hypermodernes sont plus complexes et paradoxales puisque, dans le même temps, elles stimulent les plaisirs comme l’hédonisme, la consommation et la fête, mais produisent aussi des comportements anxiogènes et pathologiques. Le paradoxe tient au fait que l’augmentation des loisirs s’accompagne d’une difficulté de plus en plus réelle à vivre, que les gestes responsables progressent en même temps que les actes irresponsables. L’organisation hypermoderne fondée sur l’hyper-individualisme implique que chaque individu, livré à sa propre liberté, soit soumis à des injonctions paradoxales qui opposent à la fois les exigences de l’hédonisme et celles de la responsabilisation. Avec pour conséquence une sorte de société schizophrène prise entre une culture de l’excès et un éloge de la modération qui propose à la fois aux individus, la promotion du bien-être et le souci de soi, le plaisir de l’instant et la prise en compte de l’avenir, la relaxation et la performance, l’évasion et la sécurité, l’harmonie et la compétitivité.

Avant de défendre une vision de l’entrepreneuriat, autour de la réussite, du sens donné à son projet d’entreprise, on pourrait, on devrait pointer du doigt, ceux qui pensent avoir atteint le sommet parce qu’ils ont levé 500 000 € sans « business model », ceux qui ne prennent que des stagiaires ou des auto-entrepreneurs pour faire un maximum de rentabilité aux dépens des salariés, ceux qui viennent donner des leçons aux jeunes, aux chômeurs, aux seniors, aux femmes, aux immigrés qui soi-disant « ne se bougent pas », les politiques qui font de la récupération de ces changements de société, les journaux qui pour se faire bien voir des actionnaires font des publirédactionnels en lieu et place d’articles de qualité sans parti-pris.

Le seul entrepreneuriat durable, c’est celui qui crée de vrais emplois, qui n’a pas besoin d’avoir de mentor pour dire ce qu’il faut faire, qui ne cherche pas les aides à tout prix, qui chute, qui se relève et qui transmet son savoir-faire.

6.    L’individu hypermoderne et la communication

Cette nouvelle forme de communication, assimilable à la « novlangue » de G Orwell, est une forme langagière qui provient du discours du management dans les organisations privées mais aussi publiques, qui vise la conduite des individus dans les actions collectives. On en trouve de bons exemples dans la communication institutionnelle, autrement dit la communication des organisations qui vise à promouvoir leur image en interne pour les salariés, les actionnaires, et en externe pour les clients, les fournisseurs, les futurs salariés, ou encore dans le discours des dirigeants et des managers.

« Ne voyez-vous pas que le véritable but du Novlangue est de restreindre les limites de la pensée »[20], écrit G. Orwell dans « 1984 ».

Décoder les messages de la « novlangue», comme :

  • Des mots trompeurs, qui ont changé de sens et qui signifient souvent le contraire de ce qu’ils exprimaient auparavant ;
  • Des mots subliminaux, qui sont utilisés pour produire certains effets de répulsion ou d’approbation chez le récepteur ;
  • Des mots marqueurs, qui expriment l’idéologie dominante ;
  • Des mots tabous, que l’idéologie dominante s’efforce de supprimer ;
  • Des mots sidérants, qui visent à disqualifier les adversaires du Système.

Il s’agit désormais de considérer l’image comme « nouveau langage », comme une « novlangue », au sens orwellien. Elle se substitue aux mots, aux récits, aux phrases. Des images éphémères qui n’ont, ni le temps, ni l’espace de dire ou de raconter, comme une parole humiliée, dans le livre de J Ellul, « La parole humiliée »[21]. Des images qui ne sont plus des empreintes mais des passages, des fulgurances qui n’ont pas le temps de penser la réalité ni de la restituer. Un langage dont le contenu diffus est à ce point aléatoire, source de confusion, à la fois très simple et irréductible à cette simplicité, qu’il ne permet plus d’établir des échanges en profondeur, n’offrant qu’une « conversation » en apparence.

Nous vivons l’époque de l’hypermodernité, dans laquelle la parole, qui a été de tout temps l’instance privilégiée de l’homme pour communiquer dans un cadre de liberté et de respect de l’autre, est remplacée par l’image, puissance aliénante, univoque, stérilisante, incapable de communiquer la vérité, comme cité par J. Ellul : « L’image est du domaine de la réalité. Elle ne peut absolument pas transmettre quoi que ce soit de l’ordre de la vérité. Elle ne saisit jamais qu’une apparence, qu’un comportement extérieur. Deux raisons s’imposent : le développement de la technique d’une part, qui bouleverse les usages et le mépris de la parole de l’autre, gage de liberté, mais incompatible avec les exigences binaires de la société numérique.

Depuis les années 1980, le discours managérial promeut une vision économique et entrepreneuriale de l’humain au travail, à la fois « ressource humaine » et « entrepreneur de soi ». C’est l’intériorisation du discours managérial par les sujets qui le transforme en « novlangue », au sens d’Orwell. Elle a pour principal effet de susciter la confusion et d’empêcher de penser.

Par exemple, dans une organisation du sport, il est demandé aux salariés d’être « responsables ». 

Mais s’agit-il d’être responsable au sens d’une responsabilité éthique à l’égard de clients ou d’usagers ? Ou bien s’agit-il d’être responsable au sens de préserver l’image de l’organisation ? Que faire si les deux sont incompatibles ?

Et l’injonction à être « responsable » peut amener les salariés à interpréter les difficultés auxquelles ils sont confrontés comme des échecs personnels qu’ils portent en responsabilité, alors même que ces difficultés peuvent être liées à des éléments sur lesquels ils n’ont pas de prise. Les expressions utilisées par le discours managérial dessinent une grille de lecture qui empêche la contradiction et écrase la conflictualité. Comment s’opposer à des appels aux valeurs telles que le « respect » ou la « liberté » qui parsèment les discours des organisations et que martèlent aussi les managers ? Ce sont des mots que personne ne peut rejeter.

Dans les discours managériaux, l’entreprise est mise au premier rang dans les priorités.Et cela est contenu dans la façon même de l’exprimer, avec notamment la formule suivante, « les besoins des entreprises et les attentes des salariés », qui définit les objectifs à atteindre. Le besoin, qui peut être vital, paraît urgent à combler, alors que l’attente peut se vivre sans être immédiatement satisfaite.

Comment interpréter ces incessantes formes de communication qui sous-tendent la spectacularisation du sport ?

Plusieurs lectures d’articles sportifs nous fournissent des exemples de « novlangue ».

Ils font plaisir à voir ces champions qui gagnent leur première compétition tout en n’ayant rien remporté sur l’ensemble des épreuves. « Naissance d’un champion » titre les médias !

« Enfin une victoire ! » pense le lecteur anonyme. Erreur, ils perdent avec panache !

Et donc, transformer une défaite en victoire est tout un art … de la « novlangue », mais est aussi tout un art pour cacher la débâcle.

Le sens des priorités est inversé !

Gardons-nous aussi de la « novlangue managériale », symboles’il en est de l’entreprise et de l’homme hypermoderne ! Il faut repenser les raisonnements et mettre les mots justes, comme par exemple, un « plan de sauvegarde de l’emploi » qui est en réalité un plan de licenciement, « l’optimisation fiscale », nouvelle version de l’évasion fiscale, et puis surtout les messages portés comme les « non-message » que contiennent des expressions comme « l’austérité prospère » ou encore « leader des produits pour la gestion démocratique des foules » !!!      

Que penser alors des effets négatifs des médias sur le sport, la culture et le débat public?

Censés nous informer, ils nous désinforment. Censés permettre les débats, ils nous présentent toujours les mêmes opinions conformes. Censés organiser les débats contradictoires, ils invitent toujours les soi-disant mêmes experts, globalement d’accord entre eux, comme les « Chiens de Garde » du sport, selon l’expression de Paul Nizan. Censés nous éclairer, ils nous désorientent dans des discours stéréotypés et partiaux. Censés être objectifs, ils nous traduisent leurs pratiques sensationnalistes, en conflits d’intérêts permanents. Au lieu d’élever le niveau du débat sportif, d’orienter la discussion argumentée sur les thèmes sociaux, éthiques, éducatifs et économiques, essentiels du sport, ils transforment le débat en affrontement sur les schémas tactiques, justifiés par les seules données statistiques. Plutôt que d’être les promoteurs d’une culture sportive de qualité, ils nous abreuvent de reportages insipides, multiplient les émissions sportives déjà vues et revues et d’échanges entre experts sur des sujets totalement futiles. Toutes émissions à caractère un tant soit peu culturel, animées avec des débats contradictoires, composées aussi d’acteurs hors du champ de l’activité sportive se trouvent banni des écrans. Ils ont pour fonction de former l’esprit critique, l’analyse et le jugement, mais la logique de la marchandisation fait que la réflexion est bien souvent délaissée au profit de l’émotion, de la « peopolisation », de l’argent des stars et des affaires à sensation. A leur tour les médias sont gagnés par la logique hypermoderne et peuvent favoriser tout à la fois les comportements responsables et irresponsables, mais surtout anéantir toute libre pensée.

Comme utiliser la communication sportive ? Jusqu’où sont prêts à aller les hommes et les femmes politiques pour augmenter leurs chances de gagner des électeurs et des électrices ? Dans un stade de football, autour du sport le plus populaire ?

Le mélange des genres est bien présent, et la tendance est à la récupération. Les femmes et hommes politiques peuvent endosser le rôle de suiveurs, voire de sauveurs.

Parce qu’il fédère l’ensemble d’une ville, d’une agglomération, le football est logiquement devenu un instrument de manipulation par les puissante.s. Maires réélu·es ou battu·es. Plus personne ne peut en tout cas le laisser de côté, et encore moins dans la reconstruction du pays post-Covid.

Les jeunes ne font pas du sport pour leur épanouissement, leur évolution ou leur réussite personnelle ; ils pratiquent un sport pour être hypermodernes, semblables à leurs idoles – sous-entendu : gagner beaucoup d’argent et être reconnus. Ils en oublient que pour devenir un champion, il faut en avoir la vocation et fournir des années durant, une énorme quantité de travail. Amour et passion de ce que l’on fait. La réussite en termes de performance n’arrive qu’ensuite, comme une consécration ou la validation d’acquis.

Or, le conditionnement des organisations du sport est tout autre. Système oblige, on confond sport et réussite financière. Les sportifs savent qu’ils seront récompensés pour leurs résultats. Leur docilité peut ravir les institutions, les fédérations, les élus du monde sportif ou politique, « les mécènes » ou « les sponsors » ; mais cela ne va pas sans poser de nombreuses questions au niveau éthique. Car, au-delà de la réalisation sportive, le rôle des organisations sportives est de permettre aux sportifs de se construire en tant qu’individus capables de réflexion et d’adaptation. Il y va de leur autonomie. Or, on peut douter que les sportifs construits de toutes pièces par les médias soient capables de comprendre, de gérer et d’assimiler ce qui leur arrive à travers une relative notoriété ou un enrichissement provisoire dû à leurs succès passagers.

7.    Les illusions libérales et le pouvoir social  

Alexis de Tocqueville démontre que le présupposé ultime de l’idée majoritaire est que « le plus juste est dans le plus fort, le plus grand nombre »[22].

En démocratie, le pouvoir central et les pouvoirs locaux ne sont que les instruments dociles du pouvoir social.

Étant donné que les individus ne peuvent pas se passer d’opinions, il faut bien s’en remettre à d’autres pour former nos jugements. Personne ne peut se passer d’autorités intellectuelles et morales. Aucun homme n’est doué aux yeux de l’homme démocratique d’une autorité naturelle et incontestable. Chacun pense « je suis aussi bon qu’un autre », je n’ai donc pas à me soumettre à l’autorité d’un autre. Dans ces conditions, à qui l’homme démocratique va-t-il s’en remettre pour penser ? A l’opinion ! C’est-à-dire à l’opinion commune, puisque tout autre opinion a perdu toute créance, tout titre d’autorité.

Le résultat est la soumission de tous… à tous ! Chacun est courtisan et courtisé, au sein de cette masse commune qui « vit dans une perpétuelle adoration d’elle-même ». Chaque individu obéit au « pouvoir social » en ne croyant obéir qu’à lui-même, à lui-même en tant que membre de cette masse homogène, ce « conglomérat de semblables » tenu pour la seule source de toute autorité. En outre, cette disposition produit un goût pour les mots abstraits et les idées générales, exprimant le désir de trouver pour toutes choses des règles communes et d’expliquer un ensemble de faits par une seule et unique cause. Ce « pouvoir social » produit donc un affadissement et un appauvrissement de la pensée. Alors si toute légitimité se trouvant par hypothèse dans le nombre, penser comme les autres, est donc l’horizon de toutes les démarches individuelles.

Selon Max Weber, le pouvoir signifie « la probabilité d’imposer sa volonté, dans une relation sociale, même contre toute résistance et quelle que soit la base de cette probabilité »[23].

Dans ce cas, le pouvoir implique la capacité potentielle d’imposer la volonté et peut se manifester de différentes manières. Tandis que la domination, comprise comme une forme de demande/obéissance, serait le moyen le plus efficace d’exprimer le pouvoir. L’un des plus importants types de domination s’appuie sur la légitimité, qui est la croyance en la validité d’un ordre ou d’une relation sociale spécifique.

Antonio Gramsci approfondit les théories du pouvoir social en démontrant que « l’hégémonie culturelle »[24] que les classes dirigeantes parviennent à exercer sur les classes populaires, à travers le contrôle des médias, des systèmes éducatifs, des institutions politiques, constituent le fondement du pouvoir social.

Nous avons pour exemple, l’idéologie néolibérale qui s’est auto-instituée comme seul système d’organisation économique possible. Il est le résultat d’un long travail de conquête des esprits depuis les cercles de réflexion d’économistes jusqu’aux journalistes, hauts fonctionnaires, leaders d’opinion, lobbys, médias et artistes qui imposent peu à peu leurs principales idées dans la sphère culturelle, comme : « la compétition généralisée est saine », « le marché s’auto-régule », « il faut limiter les dépenses publiques et baisser les impôts », « l’État est un mauvais gestionnaire », etc. Toutes ces idées se sont exprimées avant de connaître de nombreuses traductions politiques dans la plupart des nations occidentales, jusqu’en en Chine.

Comment ne pas associer cette hégémonie culturelle au sport, visualiser son application aux activités sportives ? Ne voyons-nous pas que ces pratiques hégémoniques ont envahi toute la sphère sportive ?

Sont en cause, les médias, les journalistes, les prétendus experts au service d’un produit de marketing qu’il s’agit de vendre aux sponsors, aux spectateurs et aux futurs abonnés. 

Il n’est en effet aucunement besoin de présenter et d’abreuver le grand public, naïf ou connaisseur, des théories, des analyses de jeu complexe, argumentées seulement par des étendues de chiffres et de stratégies indéchiffrables, avec pour seul objectif d’assujettir le spectateur à son programme chèrement payé, quand en vérité, les tactiques en place sont aussi pauvres et brèves.

Cette éclosion des analyses chiffrées a généré l’apparition de praticiens, de spécialistes en tout genre, de pseudo-journalistes sportifs, de théoriciens de tout, de médias attirés par l’argent, tous au service d’un sport qu’ils ont contribué à amener dans l’état où il se trouve.

Portés par la communication marketing, en utilisant les convoitises des sponsors, des consommateurs abonnés ou spectateurs, en standardisant les orientations promues, les médias sportifs et leurs actionnaires ont créé, au sens de Herbert Marcuse, « l’homme unidimensionnel sportif ».[25]

Les individus, acheteurs d’abonnement de stade ou de programmes sportifs réagissent comme des suiveurs de modes, et subissent une aliénation réelle devant un spectacle qu’ils pensent extraordinaire parce qu’on leur rebat les oreilles et emplit les yeux, et parce qu’ils le paient chaque semaine, chaque mois ou à la demande. Ces présumés journalistes et experts n’agissent que comme des « vendeurs » de représentations sportives, justifiant ainsi les coûts exorbitants des droits audiovisuels qu’il faut bien replacer auprès des futurs abonnés. Les conflits d’influence apparaissent à chaque émission, à chaque expression avec pour objectif de présenter le produit sportif dans son plus bel « emballage » médiatique, dans la plus pure application des pratiques de communication publicitaire.  

 « L’homme unidimensionnel sportif » s’est aussi approprié le monde de l’esthétique. Depuis la prise de pouvoir de l’économie libérale, la culture sportive n’a pour seul et unique objectif que de : proposer du dérivatif. Il suffit de voir les usages intempestifs des supports sportifs, des évènements relatant les compétitions qui sont destinées à la promotion publicitaire des biens de consommation et des marques de produits de grande diffusion.

La forme de pensée promue par cette société économico-sportive considère que toutes les réflexions intellectuelles différentes, toutes les prises de recul relatives à la production de savoir ne sauraient remettre en cause l’ensemble des discours ambiants. La forme du langage ainsi utilisée, dénuée de toute charge négative, perpétue des pratiques communicationnelles qui visent à désigner des mots, des expressions, des savoirs, orientés vers une forme de jeu qui renvoie aux objectifs médiatiques, et tue, de ce fait, toutes les pensées critiques. Ainsi est créé un univers d’où sont exclues toutes les nouvelles idées censées enrichir la vision critique de l’environnement du sport.

Un autre aspect de cet environnement du sport mérite une attention particulière. La société médiatique récente n’a pas réduit – elle a plutôt multiplié – les fonctions parasitaires et aliénantes : la publicité, les relations publiques, la communication, l’endoctrinement et le gaspillage organisé. Tous ces paramètres ne sont plus désormais que des dépenses improductives, mais elles intègrent les coûts productifs de base. Ce sont ces mêmes coûts que la société médiatique fait assumer, par duplicité, aux futurs abonnés modestes.

« La pensée unidimensionnelle » est rationnellement récupérée par les faiseurs de politique sportive et par leurs fournisseurs d’informations de masse, dans un univers spéculatif, plein d’hypothèses, qui trouvent en elles-mêmes leur justification et qui, répétées de façon incessante et exclusive, fonctionnent comme des somnifères de la pensée, associées à des formules sous forme de « slogan » publicitaire.

La pensée individuelle, « noyée dans la communication de masse », selon Herbert Marcuse, comme une dérive de l’hégémonie culturelle, pointe ainsi le double rôle des médias : informer et/ou divertir, conditionner et/ou endoctriner. Les comportements et les pensées « s’unidimensionnalisent » par la publicité, l’industrie des loisirs et de l’information. Les conséquences sont des discours de journalistes, experts et autres conseillers qui nous vendent leurs conceptions, leurs stratégies sportives et entretiennent ainsi le système médiatique dans une déchéance culturelle qui résulte de la communication de masse. Celle-ci a « marchandisé » tous les domaines culturels mais aussi les différents sports, et réduit à néant tout pouvoir de subversion propre à une autre vision du sport. Se pose alors la question de la production superflue, question la plus immorale, désormais identifiée comme vitale pour attirer les futurs abonnés téléspectateurs ou spectateurs dans les stades.

N’assistons-nous pas à l’apparition de ce que je nommerai comme (…) « les termes d’un  discours sportif conçus de manière à empêcher de penser ».

Toute l’organisation médiatique consiste à obtenir le consentement des individus quel qu’ en soit le prix à payer. Il suffit pour cela de s’attarder sur les conditions d’obtention de celui-ci lors d’une recherche sur internet. Pris pour un débile profond par le « blabla » incompréhensible des pages d’accueil relatives aux cookies, l’internaute a le choix entre accepter cf. « nous utilisons les cookies afin de vous offrir une expérience optimale et une communication pertinente sur nos sites » (expérience et communication qui serait meilleure sans cette forme d’accueil), ou bien refuser. Finalement, ce que l’on attend de lui, c’est son « con-sen-te-ment » à ce que qu’on lui prélève toutes ses données personnelles. L’internaute n’a toujours pas compris que, sous prétexte de respecter sa vie privée, on s’apprête à le fliquer afin communiquer, à des partenaires, toutes ses informations et réaliser des profits illicites sur le dos des individus.

Ces multiples réflexions doivent être menées avec toutes les bonnes volontés concernées, sans parti pris, ouvertes sur les pratiques d’autres horizons, et appuyées par des considérations altruistes et généreuses.

Nous ne sommes pas encore sortis de la pandémie de SARS-CoV-2. Elle a déjà remis en cause les modèles économiques installés. Ses conséquences futures vont remettre en cause tous les comportements passés et nous obliger à repenser le futur de tout l’environnement du sport, en reconstruisant de nouveaux projets centrés autour d’une vision qui devra, d’abord, intégrer les dimensions de responsabilité, sociétale et durable autour d’enjeux sportifs au service de ces missions-là.

Dans « Surveiller et punir »[26], Michel Foucault a soutenu que le pouvoir est partout, parce qu’il ne vient de nulle part. Le pouvoir est un rapport de force qui se produit dans une société à un moment donné. Ainsi, le pouvoir, étant le résultat des relations de pouvoir, est partout. Et les individus ne peuvent pas être considérés comme indépendants de ces relations.

Dans sa conception de la biopolitique, Michel Foucault considère que le biopouvoir est une pratique des états modernes par laquelle ils contrôlent la population. Le pouvoir moderne, selon l’analyse de Foucault, est codifié dans les pratiques sociales et dans le comportement humain, à mesure que les individus acceptent graduellement les subtiles règles et les attentes de l’ordre social. C’est la prise en compte progressive, par le pouvoir, de la vie de la population. Il s’agit donc de souligner la surveillance individualisante, et de mettre en avant l’émergence d’un pouvoir disciplinaire.

Dans les organisations du sport, entreprises flexibles  par excellence, avec des salariés éphémères, dotés de compétences portables, les collaborateurs n’ont aucune raison objective de se faire confiance et de s’avouer une dépendance réciproque. La véritable communauté vient à surgir quand les uns et les autres ont appris à respecter leurs différences au sein de conflits. Il convient d’analyser, de comprendre, de faire récit sur ce qui nous arrive. Pour être fiable vis-à-vis des autres, il faut que je me sente nécessaire à eux et il faut qu’ils m’expriment leur demande, qu’ils me le fassent comprendre, et il faut qu’ils soient dans un état de besoin pour le savoir et le comprendre

Dans « La culture du nouveau capitalisme »[27], Richard Sennet avance que les nouvelles organisations, sportives incluses, volatiles et flexibles exercent une contagion culturelle certaine. Elles suggèrent une nouvelle formulation des compétences et des capacités personnelles reconnues. Elles induisent de nouvelles manières de consommer et en retour, les comportements consuméristes influencent les modalités de l’action politique. Face à ce que l’on pourrait nommer « un capitalisme impatient », avec la frénésie fluide des marchés et de la performance, la stabilité dévoile comme un signe de faiblesse. La beauté institutionnelle consistant à présenter des signes de changement interne et de flexibilité, à apparaître comme une société dynamique, quand bien même la société stable marchait parfaitement bien. Ce capitalisme impatient exerce une pression sur la vie quotidienne et trouve les nouvelles tendances chez les publicitaires, ces hérauts qui les valorisent.

À la place des structures panoptiques décrites par Michel Foucault dans « Surveiller et punir »[28] , de grosses structures « enfermantes », avec des laissez-passer et des ordres militaires, un moulage peu réversible de votre posture, surveillé par un œil patronal et un supérieur qui voit tout, ou croit tout voir, à votre place, prolifèrent les structures momentanées, organisées en réseautique, souples, hyperfluides, travaillant à flux tendu pour des demandes versatiles, où vous êtes formaté pour un temps, au sein d’un collectif relativement aplati, avec une idéologie mystifiante de l’égalité et du résultat.

Il y a des organisations qui produisent, avec comme conditions initiales, « l’aléatisation », pour travailler au hasard des attentes des spectateurs, des sponsors et des sportifs, la « casualisation », avec des équipes formées et dissoutes en fonction du profil des objectifs et des attentes. À la place de la figure du supérieur surveillant, trône désormais, l’organisation, moule qui absorbe votre désir, qui va chercher et puiser, voire épuiser votre énergie créatrice. Elle ne vous surveille pas, elle vous contrôle, elle ne vient pas chercher des gestes et des procédures pour un temps indéfini jusqu’à votre mise à la retraite, elle vient chercher et réclamer le fond de votre désir productif et créatif.

L’automation remplace autant des prestations intellectuelles que des tâches répétitives et routinières. La délocalisation et la recherche des profits par le recours au précariat offre des emplois minables à des salariés surqualifiés, comme pour les employés des centres d’appel, pour les salariés en CDD, pour les salariés en CDI à temps partiel, pour tous les auto entrepreneurs et bien sûr pour tous les stagiaires utilisés comme de la main d’œuvre bon marché et captive. Le vieillissement, une faute, une tare, les employeurs n’aiment pas conserver les collaborateurs qualifiés, ayant une mémoire de l’organisation et un amour du métier.

Dans ces nouveaux ensembles organisés du capitalisme flexible, le métier semble devenir un obstacle. Avoir du métier, suppose que bien faire à son importance et quand on comprend comment bien faire, plus on s’en soucie. Ces organisations flexibles n’aiment pas les salariés obsédés par le bien faire. C’est là une manière de faire qui s’inscrit dans la durée et, à l’opposé du court terme du consultant, qui est sommé de faire des choses différentes dans des délais très courts. Les organisations flexibles ont besoin d’individus qui puissent apprendre de nouvelles techniques plutôt que de s’accrocher à d’anciennes compétences.

Dans ce contexte, si vous n’atteignez pas les objectifs, vous intériorisez l’échec et vous n’êtes pas reconnu, et donc vous démissionnez si vous avez de la dignité. Rien ne vous oblige, mais comme c’est vous qui aviez intériorisé ces objectifs pour être reconnu, vous portez la responsabilité de votre défaite.

Michel Foucault, toujours dans « Surveiller et punir »[29], définit les aménagements de l’espace par des techniques pour rendre les corps utiles, dociles et productifs lorsqu’il écrit « le corps ne devient force utile que s’il devient productif et assujetti ». Vous remplacez « les corps » par « la psyché », autrement dit votre âme, ce qui donne : « c’est pour une bonne part, comme force productive que la psyché est investie de rapports de pouvoir et de domination » et on voit que la psyché ne devient force utile que si elle devient à la fois, énergie productive et assujettie. On peut vérifier, par la substitution des mots « corps » et « psyché » que, dans les entreprises hypermodernes, l’idéologie managériale associe le pouvoir managérial à la mobilisation morale. Voilà la déconstruction du Capital Humain : canaliser l’énergie psychologique pour la transformer en force de travail au service de l’entreprise.

Dans chaque type de société, l’organisation est caractérisée par une certaine forme de techniques de pouvoir et de dispositifs permettant d’en articuler le fonctionnement, en agençant l’espace d’une manière spécifique. Pour Michel Foucault, le dispositif caractéristique des sociétés disciplinaires est celui du « panoptique » imaginé par Jérémy Bentham, dont l’architecture et le fonctionnement sert de modèle aux institutions. Dans son livre « Surveiller et punir », Michel Foucault considère que « la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons »[30]. Par son architecture, le panoptique organise l’espace de telle sorte que le surveillant puisse voir le surveillé sans que ce dernier puisse voir s’il l’est effectivement, ni voir les autres surveillés. De ces jeux de regards rendus possibles par la simple architecture, émanent des relations de pouvoir capables d’assujettir les individus, d’automatiser et de désindividualiser le pouvoir.

On présente souvent les stades de sport, du football en particulier, comme un laboratoire de la socialisation mais aussi de la répression, d’un lieu de communion et de business, mais aussi de surveillance et de contrôle par son architecture panoptique, où aujourd’hui aucun millimètre de tribune n’échappe aux dizaines de caméras de surveillance. Berceau du football et de l’architecture panoptique, il n’est pas illogique que l’Angleterre ait été précurseur en matière, à la fois de maintien de l’ordre, mais aussi de pratiques commerciales dictées par les datas issues de la surveillance électronique. Pensé à la base pour canaliser la colère sociale, le divertissement sportif au stade devient un des lieux de la transformation de l’individu hypermoderne en objet de marketing.

Avec les sociétés de contrôle succédant aux sociétés disciplinaires, un autre dispositif a pris le relais du panoptique, réinvestissant l’espace d’une manière analogue mais renouvelée, réformant les anciennes disciplines pour les adapter à de nouveaux enjeux : « l’open space ». Souvent comparé au panoptique, l’open space agence également l’espace de sorte que les jeux de regards suffisent à établir des relations de pouvoir. Cependant, il apporte une nouveauté radicale en ce que les surveillés peuvent désormais, d’une part se voir entre eux, et d’autre part, observer les surveillants. La verticalité de la surveillance laisse ainsi davantage place à une horizontalité du regard et du pouvoir, la surveillance unilatérale du supérieur sur les salariés de jadis laissant place à une surveillance égalitaire de chacun par chacun, pouvant même s’étendre, en droit, jusqu’à une surveillance des cadres par leurs subordonnés. Les relations de pouvoir, loin de disparaître dans cette architecture en apparence plus humaine, sont simplement redistribuées afin de poursuivre plus efficacement des buts d’une nature différente. Le capitalisme à l’âge de l’ultralibéralisme, cherche en effet désormais, moins à se fonder sur la seule exploitation et la coercition des individus, que sur leur autonomie, leur initiative et leur créativité, et l’open space est pensé comme devant produire une telle subjectivation.

L’open space constitue ainsi un modèle théorique général, un dispositif exploité même en d’autres lieux que la seule entreprise, tout comme l’architecture du panoptique des sociétés disciplinaires dessinait le mécanisme de pouvoir polyvalent dans toutes ses applications, régénérés par les institutions. À cette institutionnalisation de l’open space et de la société de contrôle utilisant essentiellement l’outil informatique et les réseaux sociaux comme instruments de surveillance, il appartient à tous les individus de s’opposer par des actes de micro-résistance, dont la finalité est de se soustraire non plus seulement au regard du seul surveillant, mais à celui de tous et procéder à des activités de cryptage, brouillage, piratage, effacement, désabonnement. Nous devons intérioriser que « le pouvoir passe par les dominés non moins que par les dominants »[31], comme l’analysait M. Foucault.

8.    Critiques de l’individu hypermoderne

« Êtes-vous complices de la folie actuelle des organisations qui ne pensent qu’à produire le plus possible et à s’enrichir le plus possible ? Votre tâche serait de leur présenter l’addition négative, quelles énormes sommes de valeur intérieure sont gaspillées pour une fin aussi extérieure ! Mais qu’est devenue votre valeur intérieure si vous ne savez plus ce que c’est que respirer librement ? Si vous n’avez même pas un minimum de maîtrise de vous-même ? », F. Nietzsche dans « Aurore»[32].

Mais comme le précisait aussi Tocqueville[33], en tuant par le travail les individualités, la société nous fait rentrer dans la masse uniforme, « d’un troupeau d’animaux timides et industrieux » donc sans revendication, sans intérêt pour le politique, sans aspiration à la liberté. Sans conscience, sans réflexion, les individus, dans leur organisation sportive, se laisse manipuler par l’autorité économique, l’autorité médiatique, l’autorité politique, et comme ils le sont au travail, par l’autorité hiérarchique.

Non seulement le travail consomme de l’énergie, mais en plus il consomme du temps « du matin au soir ». Pendant ce temps de travail, prenant une grande partie de la journée, les salariés perdent leur énergie, mais aussi leur autonomie. Ils sont « bridés ».  Ils sont en effet soumis à des lois qui ne sont pas les leurs, qu’ils n’ont pas choisies, ni érigées. La loi des horaires imposés, les lois du marché qui les obligent à un rendement et à une rentabilité, les lois des supérieurs hiérarchiques, eux-mêmes soumis à d’autres lois, les lois de l’organisation du travail, du groupe, de la communication. Même si l’individu hypermoderne dispose d’une certaine marge de manœuvre, elle est limitée, toujours dans le cadre de ces lois, et doit répondre à des normes. Celui-ci est entièrement déterminé de l’extérieur et dépend de l’intérieur. L’individu se voit dicter ses lois de l’extérieur. Ce qui par accoutumance, par répétition et donc par habitude,le détourne de chercher à se donner à lui-même ses propres lois. Soit par la raison, comme faculté des principes moraux, soit par ses désirs, soit par ses volontés, tout individu a le pouvoir de choisir sa voie. En soumettant l’homme hypermoderne, toujours à une législation extérieure, on ne favorise ni son développement, ni son individualité. Inutile qu’il pense ce qu’il veut ou désire, on pense pour lui, et cela au travail comme ailleurs. Car en effet, en l’accoutumant à une fausse autonomie au travail, on le prépare à être soumis ailleurs. Le conditionnement au travail, dans son organisation sportive, la négation de l’individu au nom du groupe, du profit, de la performance, encore plus forte parmi les salariés sans qualification, donc interchangeables, prépare à l’uniformisation sociale. 

Mais, F. Nietzsche interroge aussi les véritables causes de la « glorification » du travail. Pour lui, il y a plus qu’un simple enjeu économique ou un particularisme historique, il y a d’autres raisons plus générales et durables sous-jacentes au problème. Derrière cette louange intéressée du travail se cache « la peur de tout ce qui est individuel »[34].

De qui a-t-on peur ?

Toute société, quelle qu’elle soit, fonctionne sur une négation de l’individu pour assurer l’unité sociale, et préfère ainsi à l’originalité dangereuse car ingérable, source de conflits et de révoltes, l’uniformité. Dans une telle société, l’individu devient synonyme d’égoïsme, d’insociabilité, perçu comme difficile à gérer, à manipuler, à contrôler et à oppresser. Mais l’homme hypermoderne, acteur social, contribue à une nouvelle forme de soumission volontaire par son désir de toute-puissance que l’individu croit poursuivre par son travail, qui le ramène à accepter l’uniformité de sa condition sociale, contraire à la réalisation de soi, oubliant sa propre liberté.

Ce qui donne le sens à la valeur du travail, c’est moins ce que l’on fait au travail que le but que l’on poursuit en travaillant. Être exigeant sur le but rendra exigeant au travail. Et c’est parce qu’elle connaît les hommes et leurs intérêts que la société utilise le travail, et ainsi asservit ceux qui le sont déjà à la nécessité et au gain, faisant de l’individu hypermoderne la caricature de sa propre aliénation.

La commercialisation des modes de vie ne rencontre plus de résistances structurelles, culturelles ou idéologiques, dans laquelle les sphères de la vie sociale et de la vie individuelle sont réorganisées en fonction de la logique de la consommation. Son emprise ne cesse de progresser, avec le principe du libre-service, la recherche d’émotions et de plaisirs, le calcul utilitariste et la superficialité des liens qui semblent avoir contaminé l’ensemble du corps social.

Les sociologues, qui ont fait des courses extrêmes leur objet de recherche y ont vu un avatar de l’individu hypermoderne, agent de sa propre vie, caractérisée par l’excès, la performance et l’intensité, un instrument d’héroïsation et un moyen d’accomplissement personnel.

Épreuve reine de la discipline, l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc), géant encombrant – 10 000 participants et environ 50 000 visiteurs – représente la quintessence de l’individu hypermoderne. Héroïsme de masse, crainte de l’anonymat et de l’indifférenciation, côtoie une image de la dissidence construite autour d’un imaginaire qui valorise la course plaisir, la liberté, le dépouillement, le refus de la soumission à un ordre mercantile. Simultanément, les petits « c » du copyright, marques déposées partout, sources de toutes les dérives de cet engouement, qui poussent à consommer de façon abondante, créent des relations sociales artificielles, puisque régies par les lois de l’argent. La course de trail est une pratique consumériste, même le plus fauché des coureurs participe à la société de consommation en achetant un dossard.

Le monde du savoir lui-même n’y échappe pas. Les universités, à leur tour, se sont mises à l’heure de la consommation : en délaissant la recherche fondamentale pour la recherche appliquée et les profits à court terme qu’elle génère, en se lançant dans une guerre impitoyable où les étudiants sont conçus comme des clients qu’il faut attirer puis satisfaire, en valorisant sur ses campus l’hédonisme et le goût de la fête plutôt que d’insister sur des valeurs comme le travail et l’effort personnel.

9.    Conclusion

Je proposerai en conclusion, comment répondre à cette illusion de la liberté qui nous est proposée, qui nous est imposée par l’environnement organisationnel afin de se réapproprier une autonomie librement consentie.

Dans « La peur de la liberté » [35] d’Erich Fromm, ce livre m’a semblé relever d’une pensée sociale préexistante, introduisant un tournant dans la façon de penser la liberté, par une émancipation au regard des contingences sociétales. Il s’agissait de quelque chose de similaire avec la notion de « forcer » les gens à la liberté, constituant les bases d’un caractère et d’un processus social.

Ce n’est qu’à travers toutes les difficultés, les épreuves, le manque de reconnaissance, de respect et malgré tous ces obstacles, qu’il faut conserver intacte toute sa dignité, son courage, son honnêteté, sa bienveillance, sa sensibilité et sa perfectibilité que l’on retrouve toujours chez d’innombrables contemporains.

Cette illusion de la liberté conduit à un système organisationnel inintelligent et inintelligible qui n’est pas au service des salariés et des individus. Non seulement ceux-ci ne possèdent aucun contrôle sur le potentiel économique qu’ils doivent nourrir de leur force, mais combien ont une petite chance de mettre en œuvre leur liberté, leur initiative et leur spontanéité dans leur travail ?

Ils sont « employés », du mot latin « implicare » soit au sens propre « plier dans », traduisant tout ce qu’on attend d’eux et qu’ils remplissent leur charge de travail. Il est de la première importance de restituer aux individus leurs identités et leurs capacités créatrices dans l’environnement économique, afin de devenir un élément responsable et collaboratif. On perçoit clairement que la question sociale ne peut être résolue seulement, par des moyens politiques et économiques, mais par la participation active des salariés dans la détermination de leur existence, dans les organisations du sport.  L’acte formel d’approuver des décisions garde sa valeur, mais c’est notre activité quotidienne, notre travail et nos rapports sociaux qu’il faut revaloriser.

Avec « La peur de la liberté », Erich Fromm fut le premier psychologue à démontrer, dans les années trente, que l’exigence de pouvoir dominait et structurait alors tous les domaines de la vie des individus. Ce que l’on désigne communément par le terme « d’année 68 », doit être compris comme une protestation contre cette tendance autoritaire d’une suprématie de l’idéologie du marketing communicationnel.

Quand aujourd’hui, tout un chacun parle de la nécessité d’être adaptable, flexible ou mobile, ou encore, lorsqu’on dit qu’il faut avoir un ego fort ou un caractère marqué, lorsqu’au lieu d’être sensible, il faut être sentimental et cool, ces qualités sont actuellement devenues les valeurs directrices de l’homme hypermoderne parce qu’elles comptent parmi les conditions incontournables du succès du marketing, et parce que le marketing est devenu le principe structurant de presque tous les domaines de la vie.

Ce ne sont ni l’individu, ni le contenu réel qui importent, mais l’objectif à atteindre et sa mise en scène. Ce ne sont pas les données factuelles qui font avancer et apportent le succès, mais ce qui peut être produit et suggéré. C’est ainsi que l’idéologie du marketing conduit de fait à une dévalorisation de l’être humain et de son vécu authentique. Ce manque d’être soi-même et de vécu personnel, le psychisme humain tente de les compenser de différentes façons. Fromm a mis en évidence quelques-unes des tentatives de compensation. Une des formes privilégiées de la compensation est aujourd’hui encore la référence à « l’avoir » plutôt qu’à « l’être ».

Lorsqu’en 1976, E. Fromm présenta l’alternative « Avoir ou Être »[36] dans un livre éponyme, elle fut d’abord comprise à tort comme un appel au renoncement, à la non-possession. Mais elle ne revêt sa véritable signification que par la perte de soi-même, résultant du renforcement de l’idéologie du marketing. Cette perte d’identité, cette sorte de perte de soi est vécue aujourd’hui par beaucoup comme un sentiment de vide intérieur et un besoin permanent d’appropriation. C’est pourquoi la tendance à l’AVOIR est considérée comme supérieure à la référence à l’ÊTRE : on substitue la volonté d’avoir à la volonté d’être.

Les progrès des techniques numériques et médiatiques, associés à l’industrie du divertissement ont donné une fabuleuse force de séduction à la mise en scène de la réalité, au détriment de la perception du réel avec tout ce qu’elle comporte de difficulté, de souffrance et d’insuccès. Société de divertissement, société du sensationnel, société d’information, société du spectacle, quelle que soit la terminologie à la mode aujourd’hui, tous ces termes reposent essentiellement sur la mise en scène de la réalité. Le cybermonde est « in » parce que la réalité que l’on a fabriquée est considérée comme plus vraie et plus parfaite que la réalité concrète.

G. Orwell, dans « 1984 », décrit un monde totalitaire au sein duquel la vérité est continuellement remise en question, produisant une distinction entre la vérité et la fiction superflue. Cette vérité est abolie par les exigences de conformisme et d’utilité. Les manipulations médiatiques, appuyées par les pouvoirs organisationnels l’ont jugé inappropriée et ont abrogé l’idée même de vérité. Les discours desdits « experts sportifs » profanateurs de mensonges par omission ou par incompétence, tirent parti de nos faiblesses : nous sommes psychologiquement disposés à user de tous les stratagèmes pour accepter toutes les déclarations ferventes. Dans « Humain, trop humain » (1878)[37], Nietzsche entrevoyait « le goût du vrai allait disparaître au fur et à mesure qu’il nous garantirait moins de plaisir ».

Nous y sommes, me semble-t-il ! Nous continuons d’affirmer que nous aimons et désirons la vérité, mais en réalité, il arrive que nous nous montrions forts enclins à, spontanément, énoncer fausses les idées vraies qui sont contraires à notre conformisme. 

Derrière la faveur grandissante accordée à la mise en scène de la réalité, et en particulier à la mise en scène d’une réalité virtuelle, se cache une détresse croissante, celle de ne plus vouloir ou pouvoir percevoir ce qu’il y a de difficulté, de frustration, de souffrance, d’échec ou de destruction dans la relation avec la réalité et avec soi-même. De moins en moins d’individus sont prêts à supporter les ambivalences et les frustrations, et donc à accepter que nous soyons à la fois nantis et en échec, que la réalité qui nous entoure soit à la fois belle et menaçante, que d’autres êtres humains soient pour nous sources de bonheur et de mépris.

La capacité à supporter l’ambivalence de la réalité et de notre propre vie est un signe de maturité psychologique ; elle caractérise l’état adulte.

Quand, de nos jours, de plus en plus de gens préfèrent la mise en scène virtuelle de la réalité à la réalité vraie mais ambivalente, cela conduit à un affaiblissement significatif des fonctions dites « du moi » et par là même, à de graves déficits psychiques. Une des fonctions importantes de notre « moi » est, par exemple, le contrôle de la réalité, c’est-à-dire la capacité à distinguer ce qui est effectivement donné de ce qui relève de nos aspirations et de nos rêves. Si le contrôle de la réalité ne fonctionne plus, il est impossible de distinguer nettement le possible du probable, et l’on se sent alors menacé par tout un chacun, ou bien on est gouverné par des pulsions non adaptées à la réalité et l’on se sent complètement impulsif.

En réalité, les souhaits et les besoins ne sont aucunement l’expression de la spontanéité mais d’une incapacité à mesurer ses désirs aux exigences de la réalité.

Une autre fonction du « moi » est de pouvoir différer la satisfaction d’un besoin. Or celui qui opte pour la mise en scène de la réalité virtuelle pourra toujours tout obtenir immédiatement. De plus, la préférence accordée à la mise en scène de la réalité a pour conséquence l’incapacité à supporter l’échec. Or la capacité à surmonter les frustrations est une des conditions nécessaires à toute vie en société, elle est donc une fonction indispensable du « moi ».

La vérité psychologique est que l’ambivalence de toute expérience de la réalité est d’autant mieux supportée et surmontée que nous sommes plus aptes à vivre en fonction de nous-mêmes et à voler de nos propres ailes. Celui qui sait vivre selon ses propres capacités ressent mieux la stabilité de son « moi » et se comporte mieux face à la réalité. Il peut supporter plus facilement les échecs et mieux accepter la finitude.

Dans son premier ouvrage « La peur de la liberté », E. Fromm avait montré que les hommes, dont le « moi » est affaibli, compensent ce manque en élaborant des « pseudo-réalités ». De façon provocante, on pourrait dire aujourd’hui que la réalité qui nous est présentée à travers le marketing communicationnel et les médias conduit à une hypnose collective, et qu’il n’est pratiquement plus possible de déterminer si ce que la majorité pense ou ressent est le produit d’une hypnose de masse ou le résultat d’une connaissance vraie de la réalité.

Le concept de narcissisme, mis en avant par E. Fromm, c’est-à-dire du besoin qu’ont les hommes de compenser leur impuissance et leurs faiblesses en fantasmant sur leur propre grandeur ou sur la grandeur de certains aspects d’eux-mêmes, permet de démontrer que les groupes tendent justement à compenser leur sentiment d’infériorité par des fantasmes collectifs de grandeur narcissique.

La compensation narcissique fait disparaître toute forme de proximité et toute solidarité à l’égard des autres, ceux-ci sont au contraire vécus comme une menace – à une exception toutefois : quand l’un ou l’autre partage, favorise, reflète ou ajoute au sentiment de la grandeur de l’être narcissique. Les autres ne sont acceptés de lui qu’en tant que groupes d’adorateurs ou « fan-clubs », esclaves ou miroirs de sa propre grandeur. Tant qu’ils satisfont à cette fonction et participent à l’accroissement de la glorification personnelle de l’être narcissique, leur présence est appréciée et ils vont jusqu’à recevoir quelques miettes de sa propre splendeur. Mais qu’ils se révèlent critiques, susceptibles de dire du mal de son parti, de penser et d’agir par eux-mêmes ou d’éprouver des sentiments personnels, ils sont aussitôt relégués au fin fond du désert.

Jamais la société du sport n’a prôné autant d’autonomie et de liberté individuelle : elles peuvent s’exercer auprès de tous les acteurs du sport. Jamais son destin ne s’est trouvé autant lié aux comportements des acteurs qui la composent. C’est pourquoi la responsabilisation du plus grand nombre peut seule nous garder de projets et de modèles sportifs mortifères. Sans responsabilisation aucune, les déclarations d’intentions vertueuses et de toutes les bonnes volontés, bénévoles ou non, dénuées d’effets pragmatiques ne suffiront pas. Valoriser l’intelligence des êtres humains, mobiliser les institutions et nous préparer aux problèmes du présent et de l’avenir dessinent les conditions des changements de paradigme de l’environnement du sport. Sera collective la responsabilisation qui s’exercera dans tous les domaines du pouvoir et du savoir sportif. Mais elle sera aussi individuelle, car il nous reviendra en dernier lieu d’assumer notre autonomie que l’hypermodernité nous a léguée pour comprendre que le futur n’a jamais été autant déterminé par les décisions du présent que nous choisirons de prendre ou de ne pas prendre.

Les individus hypermodernes « pratiquant l’objectivité érudite »[38] et contemplant leur propre contemplation feraient bien de se souvenir de l’avertissement du jeune Marx : « la question de savoir s’il y a lieu de reconnaître à la pensée humaine une vérité objective n’est pas une question théorique, mais une question pratique. C’est dans la pratique qu’il faut que l’homme prouve la vérité, c’est-à-dire la réalité et la puissance de sa pensée dans ce monde et pour notre temps »[39]. Or, la pratique d’observations critiques du sport ne consiste pas seulement, à publier des ouvrages savants sur l’histoire du sport et de l’olympisme, des thèses universitaires que personne ne connaît, des études économiques financées par les institutions elles-mêmes, en dehors de toute objectivité ; mais en revanche à participer concrètement à la réflexion critique des organisations du sport, de ses institutions, de ses dirigeants, des enjeux sociaux, des orientations  éducatives et des médias du sport afin d’initier des débats et d’imaginer d’autres alternatives économiques et sociales répondant aux attentes de tous les individus passionnés par cet environnement.

Le futur de l’hypermodernité se joue là : dans sa capacité à faire triompher l’éthique de la responsabilité sur les comportements irresponsables, à retrouver le sens des actions, à refuser de la marchandisation incontrôlée, à intégrer les dimensions sociétales et à promouvoir une vision durable des projets.

Il faut vite remplacer la formule « Aie le courage d’être toi-même » par la maxime des Lumières « Sapere aude » – « Aie le courage de te servir de ton entendement ! »

10. Bibliographie – Ouvrages cités

  • ARENDT HANNAH, La condition de l’homme moderne, 1958
  • BOLTANSKI Luc, CHIAPELLO Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999
  • CASTEL Robert, L’individu hypermoderne, 2006, La face cachée de l’individu hypermoderne : l’individu par défaut (pages 117 à 128)
  • DE GAULEJAC Vincent, « L’idéologie managériale comme perversion sociale », in Perversions, érès, p. 189-206, 2006
  • DE GAULEJAC Vincent, « L’injonction d’être sujet dans la société hypermoderne : la psychanalyse et l’idéologie de la réalisation de soi-même », Revue française de psychanalyse 4/2011
  • DE TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique, Livre I 1835, Livre II 1840
  • DEBORD Guy, La société du spectacle, 1967
  • ELLUL Jacques, La parole humiliée, 1981
  • FERRY Luc, L’innovation destructrice, 2014
  • FOUCAULT Michel, Surveiller et punir – Naissance de la prison, 1975
  • FOUCAULT Michel. Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Gallimard, 2004
  • FROMM Erich, Avoir ou être : un choix dont dépend l’avenir de l’homme, (« Titre original : To have or to be ? »1976)
  • FROMM Erich, La Peur de la liberté, (titre original : Escape from Freedom, également connu sous le nom de The Fear of Freedom), 1941
  • GRAMSCI Antonio. Cahiers de prisons, 1948
  • LIPOVETSKY G, Charles S. Les temps hypermodernes; 2004
  • LUKÀCS Georg, Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste, Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, p. 65
  • LYOTARD Jean-François, L’Inhumain, 1998
  • LYOTARD Jean-François, La Condition postmoderne : Rapport sur le savoir, 1979
  • MARCUSE Herbert, L’homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée1, publié en anglais en 1964 aux États-Unis puis, traduit de l’anglais par Monique Wittig et l’auteur en français, en 1968 en France
  • MARCUSE Herbert. L’homme unidimensionnel – Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, 1964 (1968 pour la traduction française)
  • MARX Karl, « Thèses sur Feuerbach », in Karl MARX et Friedrich ENGELS, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1968, pp. 31-32
  • NIETZSCHE Friedrich Wilhelm, Aurore – Réflexions sur les préjugés moraux, 1881
  • NIETZSCHE Friedrich Wilhelm, Humain, trop humain. 1878
  • ORWELL George, 1984, 1949
  • ROSA Hartmut, Accélération. Une critique sociale du temps, version originale allemande 2004, traduction française 2010
  • SARTRE Jean-Paul, L’être et le néant, 1943
  • SCHUMPETER Joseph, Capitalisme, Socialisme et Démocratie publié en anglais aux États-Unis en 1942, traduit en français en 1951
  • SENNET Richard, La culture du nouveau capitalisme, 2006
  • STRENGER Carlo, La Peur de l’insignifiance nous rend fous : Une quête de sens et de liberté pour le XXème siècle, 2011
  • VERGARA Francisco, Bentham et Mill, « la qualité » des plaisirs. Revue d’études benthamiennes, 2011
  • WEBER Max, Sociologie du pouvoir – Les types de domination, 2007

Table des matières

Fragmentation des identités sociales dans les organisations du sport

Le sport et l’individu hypermoderne

1.      Avant-propos

2.      De la post modernité à l’hypermodernité : Les mutations

Le progrès pour tous n’est pas au rendez-vous !

3.      Un égocentrisme social

4.      L’individu hypermoderne et le management

5.      L’individu hypermoderne et l’entrepreneuriat

6.      L’individu hypermoderne et la communication

Le sens des priorités est inversé !

7.      Les illusions libérales et le pouvoir social

8.      Critiques de l’individu hypermoderne

De qui a-t-on peur ?

9.      Conclusio

10.        Bibliographie – Ouvrages cités


[1] De Gaulejac Vincent, « L’injonction d’être sujet dans la société hypermoderne : la psychanalyse et l’idéologie de la réalisation de soi-même », Revue française de psychanalyse 4/2011

[2] Castel Robert, L’individu hypermoderne, 2006, La face cachée de l’individu hypermoderne : l’individu par défaut (pages 117 à 128)

[3] Schumpeter Joseph, Capitalisme, Socialisme et Démocratie publié en anglais aux États-Unis en 1942, traduit en français en 1951. L’idée s’inspire de la pensée du philosophe Friedrich Nietzsche (1844-1900) et de la formulation proposée pour la première fois par l’économiste Werner Sombart (1863-1941). Bien qu’étant conservateur, Schumpeter tira une grande partie de sa compréhension de la « destruction créatrice » des œuvres de Karl Marx. (Source Wikipédia)

[4] Ferry Luc, L’innovation destructrice 2014

[5] Les lois naturelles sont les « lois de la nature », soient telles que des démarches scientifiques (en particulier inspirées par le principe de causalité) s’efforcent de les révéler et décrire, notamment dans leur régularité et universalité, soient telles qu’elles s’imposent à tout homme qui ne pourrait s’y soustraire dans aucune de ses actions ou décisions, particulièrement dans l’ordre du politique. Il s’agit ainsi d’un concept de la philosophie politique bien que la notion de « loi de la nature » soit utilisée dans l’épistémologie des sciences classiques, remise en cause au XXe siècle. (Source : Wikipédia)

[6] Boltanski Luc, Chiapello Eve, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999

[7] Lyotard Jean-François, La Condition postmoderne : Rapport sur le savoir, 1979

[8] Lipovetsky G, Charles S. Les temps hypermodernes; 2004

          [9]  Guy Debord, La société du spectacle, 1967

[10] Lyotard Jean-François, L’Inhumain, 1998

[11] Vergara Francisco, Bentham et Mill, « la qualité » des plaisirs. Revue d’études benthamiennes, 2011

[12] Rosa Hartmut, Accélération. Une critique sociale du temps, version originale allemande 2004, traduction française 2010

[13] Sartre Jean-Paul, L’être et le néant, 1943

[14] Strenger Carlo, La Peur de l’insignifiance nous rend fous : Une quête de sens et de liberté pour le XXème siècle, 2011

[15] Marcuse Herbert, L’homme unidimensionnel, Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée1, publié en anglais en 1964 aux États-Unis puis, traduit de l’anglais par Monique Wittig et l’auteur en français, en 1968 en France

[16] Castel, op.cit.

[17] Arendt Hannah, La condition de l’homme moderne, 1958

[18] Un accord gagnant-gagnant (Win-Win en anglais) est un accord par lequel chaque partenaire se préoccupe aussi de l’intérêt de l’autre, d’une façon également favorable à son propre intérêt. Il ne s’agit pas de rechercher le meilleur compromis de partage des gains, mais de trouver un accord qui augmente les gains de chacun.

Un jeu gagnant-gagnant est conçu dans ses règles de telle façon que ce mode de pensée soit favorable. Cette approche ne repose pas tant, alors, sur la philanthropie des partenaires, que sur un type de stratégie adapté aux règles et étudié notamment par la théorie des jeux.

Dans une négociation, une stratégie gagnant-gagnant cherche une solution favorable à tous les participants. (Source Wikipédia)

[19] De Gaulejac Vincent, « L’idéologie managériale comme perversion sociale », in Perversions, érès, p. 189-206, 2006

[20] Orwell George, 1984, 1949

[21] Ellul Jacques, La parole humiliée, 1981.

[22] De Tocqueville Alexis, De la démocratie en Amérique, Livre I 1835, Livre II 1840

[23] Weber Max, Sociologie du pouvoir – Les types de domination, 2007

[24] Gramsci Antonio. Cahiers de prisons, 1948

[25] Marcuse Herbert. L’homme unidimensionnel – Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, 1964 (1968 pour la traduction française)

[26] Foucault Michel. Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France 1978-1979, Paris, Gallimard, 2004.

[27] Sennet Richard, La culture du nouveau capitalisme, 2006

[28] Foucault Michel, op.cit.

[29] Foucault Michel, Surveiller et punir – Naissance de la prison, 1975

[30] Foucault, op. cit.

[31] Foucault, op. cit.

[32] Nietzsche Friedrich Wilhelm, Aurore – Réflexions sur les préjugés moraux, 1881

[33] De Tocqueville Alexis, De la démocratie en Amérique, Livre I 1835, Livre II 1840

[34]  Nietzsche, op. cit.

[35] Fromm Erich, La Peur de la liberté, (titre original : Escape from Freedom, également connu sous le nom de The Fear of Freedom), 1941

[36] Fromm Erich, Avoir ou être : un choix dont dépend l’avenir de l’homme, (« Titre original : To have or to be ? »1976), 1978

[37] Nietzsche Friedrich Wilhelm, Humain, trop humain. 1878

[38] Lukàcs Georg, Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste, Paris, Les Éditions de Minuit, 1960, p. 65.

[39] Marx Karl, « Thèses sur Feuerbach », in Karl MARX et Friedrich ENGELS, L’Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1968, pp. 31-32.

CONTROVERSE : DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT RUGBY

Sommaire
CONTROVERSE
DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT RUGBY
1- RÉFLEXIONS SUR L’ÉTAT DU RUGBY FRANÇAIS: NÉANT
1.1- Un état des lieux à faire
1.2- Une des causes principales : les statistiques médiatiques
1.3- À quoi assistons-nous : que ce soit durant les weekends de TOP 14 ou pendant les
matches internationaux de l’Équipe de France ?
1.4- Et quelles propositions ?
2- AVANT PROPOS
3-INTRODUCTION
3.1- Performance sportive contre performance sociétale
3.2- Une gouvernance partenariale
3.3- Quatre Hypothèses de travail
4- ANALYSE DE LA CHAÎNE DE VALEUR DANS LE RUGBY PROFESSIONNEL
4.1- Vision
4.2- Projet sportif
4.3- Management organisationnel – Marketing – Exploitation
4.4- Les enjeux du partage de la valeur ajoutée
4.5- Quelle valeur créée, perçue ou détruite et pour qui ?
4.6- La création de valeur
5- PROMOTEURS ET PRÉBANDIERS À LA FOIS
5.1- Les institutions nationales du Rugby – FFR – LNR et DNACG
5.2- Les institutions nationales du Rugby – FFR
6- LES CONTRIBUTEURS À LA CRÉATION DE VALEUR
6.1- Les supporters
6.2- Les sponsors
6.3- Les diffuseurs
6.4- Les produits dérives et le merchandising
6.5- Synthèse des produits d’exploitation
7- PARTIES PRENANTES INTERNES AU CLUB
7.1- Les joueurs salariés
7.2- Les staffs techniques
7.3- Les salariés de l’administration
7.4- Les honoraires agents sportifs et médicaux
7.5- L’État et les organismes sociaux
7.6- Les actionnaires et les investisseurs
7.7- Les Clubs
7.8- Synthèse des résultats
8- PARTIES PRENANTES EXTERNES AU CLUB
8.1- Les fournisseurs et les prestataires de services
8.2- Les institutions locales et régionales
8.3- Les citoyens locaux et régionaux
9- SYNTHÈSE
10- CONCLUSION
Sources

1-    RÉFLEXIONS SUR L’ÉTAT DU RUGBY FRANÇAIS: NÉANT

Pour initier ma réflexion sur la déconstruction de la chaîne de la valeur du Rugby professionnel, je rappellerai un texte que j’ai rédigé, il y a 3 ans déjà, et qui nous immergera dans le contexte, sportif, social et économique du Rugby français.

« Néant » comme le titre à « la une » du journal L’Equipe, du Dimanche 19 Novembre 2017, au lendemain de la défaite de l’équipe de France de Rugby contre celle d’Afrique du sud, score 18-17 pour celle-ci.

Imaginons donc le titre de « la même une » si le score fut inversé !! Exceptionnel, sublime, éblouissant, extraordinaire … et j’en passe !!

Et quelles réflexions, analyses pertinentes et intelligentes auraient été énoncées pour justifier de tels déferlements de commentaires tous plus contradictoires les uns que les autres ?

1.1-   Un état des lieux à faire

Que constatons-nous aujourd’hui, sachant que ces évidences auraient pu être portées depuis bientôt 30 ans ?  

Le Rugby se joue en équipe au service des individus et non le contraire. Un principe de base qui tend à être inversé sous la pression des dirigeants, des médias et du monde économique.

Mais surtout, la pratique du Rugby procède de trois qualités depuis longtemps oubliées, époque du « french flair », en faveur du collectif.

Ces trois qualités que sont la vitesse d’exécution, la haute technicité des attitudes, des mouvements et des réflexes, le tout associé à l’intelligence situationnelle des joueurs. Ces aptitudes appartiennent aux fondamentaux du joueur de Rugby depuis l’origine de sa pratique. Un corollaire direct de ces qualités est le plaisir du jeu, de le voir, mais surtout pour les joueurs, de le pratiquer.

Je veux, je souhaite, par cet article revenir sur quelques principes éthiques de comportement, rappeler quelques évidences sur la pratique du Rugby tel que nous le rencontrons dans certains pays, comme le Japon et l’Argentine dans lesquels le Rugby est un sport « neuf ».  

La France, à l’opposé de la plupart de ces pays, s’est égarée dans le choix des orientations retenues depuis plusieurs décennies, en se reposant en grande partie sur les notions de force, de puissance physique, d’impact, de densité, de taille et de poids.

Tout cela pour « produire un nouveau Rugby », proposer le soi-disant « meilleur championnat », lequel, en réalité, se voulait être le plus spectaculaire et non le meilleur. 

À cause de l’attrait financier du championnat français, celui-ci ayant pour but de valoriser les droits audiovisuels, de drainer de nouveaux sponsors et d’attirer les spectateurs devant leur petit écran, promu par des instances nationales guidées par les seuls enjeux économiques et politiques, le championnat ne laisse même plus la place aux jeunes joueurs des terroirs, et force est de constater la déferlante de stars venues de tous horizons aux postes clés des grands Clubs.

Pourtant, parfois, portés par les médiologues de tout poil, l’arrivée de jeunes joueurs nous est toujours présentée comme la panacée, comme si tous les dysfonctionnements pouvaient disparaître avec l’apparition d’une nouvelle génération. Combien d’entre eux ont fait leur preuve au niveau international ? Peu, très peu.

Après quelques dizaines de minutes de jeu en TOP 14, titulaires à temps partiel, et aussitôt « starisés », nous les voyons disparaître aussi vite que venus, ou finalement perdre leur inventivité, et tomber dans les travers des orientations données depuis des décennies.

L’équipe de France, dans tout ce cirque médiatique, est bien vite oubliée. Les Clubs veulent des victoires, quitte à freiner le jeu, à limiter les risques, à mettre les stars sur le terrain et garder les jeunes pousses dans leur pot, et quand elles en sortent, elles sont bridées par des systèmes de jeu fermés qui reposent sur la puissance et la force, car l’impact est médiatique, l’évitement ne l’est pas.

1.2-       Une des causes principales : les statistiques médiatiques

En cause, les médias, les journalistes, les prétendus experts au service d’un produit de marketing qu’il s’agit de vendre aux sponsors, aux spectateurs et aux futurs abonnés. 

Il n’est en effet aucunement besoin de présenter et d’abreuver le grand public, naïf ou connaisseur, des théories, des analyses de jeu complexe, argumentées seulement par des étendues de chiffres et de stratégies indéchiffrables, avec pour seul objectif d’assujettir le spectateur à son programme chèrement payé, quand en vérité, les tactiques en place sont aussi pauvres et brèves.

Cette éclosion des analyses chiffrées dans le Rugby a généré l’apparition de praticiens, d’experts en tout genre, de pseudo-journalistes sportifs, de théoriciens de tout, de médias attirés par l’argent, tous au service d’un sport qu’ils ont contribué à amener dans l’état ou il se trouve.

Portés par la communication marketing, en utilisant les convoitises des sponsors, des consommateurs abonnés ou spectateurs, en standardisant les orientations promues, les médias sportifs et leurs actionnaires ont créé, au sens de Herbert Marcuse « l’homme unidimensionnel sportif ». Les individus, acheteurs d’abonnement de stade ou de programmes sportifs réagissent comme des suiveurs de modes, et subissent une aliénation réelle devant un spectacle qu’ils pensent extraordinaire parce qu’on leur rebat les oreilles et emplit les yeux, et parce qu’ils le paient chaque semaine, chaque mois ou à la demande. Ces présumés journalistes et experts n’agissent que comme des « vendeurs » de représentations sportives, justifiant ainsi les coûts exorbitants des droits audiovisuels qu’ils faut bien replacer auprès des futurs abonnés. Les conflits d’influence apparaissent à chaque émission, à chaque expression avec pour objectif de présenter le produit sportif dans son plus bel « emballage » médiatique, dans la plus pure application des pratiques de communication publicitaire.    

 « L’homme unidimensionnel sportif » s’est aussi approprié le monde de l’esthétique. Depuis la prise de pouvoir de l’économie libérale, la culture sportive n’a pour seul et unique objectif : proposer du dérivatif. Il suffit de voir les usages intempestifs des supports sportifs, des évènements relatant les compétitions qui sont destinées à la promotion publicitaire des biens de consommation et des marques de produits de grande diffusion.

1.3-          À quoi assistons-nous : que ce soit durant les weekends de TOP 14 ou pendant les matches internationaux de l’Équipe de France ? 

À rien de plus qu’aux conséquences des choix déterminés par tous les faux scientifiques du Rugby. 

La forme de pensée promue par cette société économico-sportive considère que toutes les réflexions intellectuelles différentes, toutes les prises de recul relatives à la production de savoir ne sauraient remettre en cause l’ensemble des discours ambiants. La forme du langage ainsi utilisée, dénuée de toute charge négative, perpétue des pratiques communicationnelles qui visent à désigner des mots, des expressions, des savoirs, orientés vers une forme de jeu qui renvoie aux objectifs médiatiques, et tue, de ce fait, toutes les pensées critiques. Ainsi est créé un univers d’où sont exclues toutes les nouvelles idées censées enrichir la vision critique de l’environnement du Rugby.

Les mots énoncés pour le dire suffisent à eux-mêmes et reflètent la pratique de ce jeu-là, soutenue par les termes successifs de conflit, hostilité, collision, choc, télescopage, lutte, combat, intensité, violence, guerrier, acharnement, commotion, dur au mal, tous les adjectifs qualifiant les plaquages durs, le tout comparable à des affrontements de rue plutôt qu’à la pratique d’un jeu de ballon.

Au-delà des mots employés, s’ajoutent depuis quelques années, les « contrôleurs de gestion » du Rugby, producteurs de statistiques, plus savants les uns que les autres, au service de tous les pseudos experts et techniciens, qui ne parlent plus que de mètres avancés, de ballons portés, de mètres parcourus, de plaquages manqués, de ballons perdus.

L’on n’écoute plus que cela et en découle la pratique d’un sport loin des attendus, avec des matches caricaturant les orientations imposées, une fréquentation des stades qui stagne depuis 10 ans, mais toujours accompagnée des élans lyriques de la part des journalistes et experts du Rugby.

Sur tous les terrains du Top 14, des actions de jeu hachées par les fautes de mains incessantes, des ballons mal contrôlés ou des passes mal ajustées, des séquences dignes des sports de combat, un temps de jeu effectif très en retrait des standards internationaux, des phases de jeu lentes, des transmissions au ralenti, des affrontements féroces, des chocs violents : l’ensemble de tout cela est loin des envolées attendues de la part de la pratique de ce sport.

À la lumière des qualités développées pour les joueurs, issues des réflexions prônées par les  apparents experts et conseillers, nous retrouvons sur les terrains de jeu, la mise en œuvre de celles-ci : un sport basé sur la force, le poids, la densité, les collisions, pratiqué au rythme des qualités physiques déployées. Des avants de déplaçant lentement, avec une technique rustre, et dont le seul objectif est d’enfoncer l’obstacle qui se présente devant eux, voire de tomber au sol avec pour but de protéger le ballon plutôt que de le faire vivre. Des demis lents dans les transferts de jeu, dans les variations d’orientation et d’une diversité d’options indigentes. Des trois-quarts avec le même point commun que les avants, à savoir l’affrontement direct, une technique indigne du niveau international, ne maîtrisant pas les gestes fondamentaux, assortie d’une lenteur d’exécution patente, facilitant la réorganisation défensive sans aucune difficulté.  

Pour résumer, nous pratiquons un Rugby avec la vitesse du plus lent, l’affrontement du plus lourd et l’intelligence du plus démuni.

Avec pour résultat : un championnat dans lequel le nombre de commotions explose au détriment de la santé des joueurs.

1.4-       Et quelles propositions ?

Tout d’abord, il y a la remise à plat des instances nationales. Il s’agit de redéfinir les missions de chacune d’entre elles qui doivent être exercées dans un environnement serein, loin des enjeux économiques et politiques. Leur objectif devrait être seulement au service des jeunes joueurs, des Clubs, du public, de la promotion de ce sport-là, ici le Rugby, et plus globalement de l’intérêt général centré sur l’éducation, la santé et l’humilité pour toute la jeunesse concernée.

Ensuite, nous avons le retour sur les bases d’un Rugby orienté vers le plaisir de jouer, de pratiquer un jeu fait d’envolées spectaculaires, un jeu de vitesse et d’intelligence du mouvement, mais aussi un jeu marqué par le respect de l’adversaire et de tolérance, empreint d’humilité. Je prône un retour aux valeurs authentiques portées par ce sport et non aux simulacres de valeurs médiatiques énoncées depuis quelques décennies.

Les conditions réunies pour un tel projet de jeu passent par les trois qualités évoquées plus haut, à savoir, la vitesse d’exécution, la haute technicité des attitudes, des mouvements et des réflexes, le tout associé à l’intelligence situationnelle des joueurs.

Cela conditionne la réorganisation de la formation initiale chez les plus jeunes, parmi lesquels il faudra détecter les prémices de ces qualités-là, leur apporter les fondamentaux de ces pratiques et surtout les mettre très tôt en situation réelle de jeu. Ils pourront alors développer ces capacités identifiées comme incontournables et vers lesquelles tout joueur devra s’évertuer à les renforcer afin d’être capable de s’adapter à toute situation de jeu nouvelle et imprévue.  

Ainsi nous retrouverons des avants à la dextérité digne des plus grands, des transmissions rapides et précises, des passes ajustées dans n’importe quelle situation, des joueurs focalisés sur la conquête du ballon et non la destruction de l’adversaire, des joueurs qui proposent de nombreuses alternatives, disposant d’une panoplie de solutions techniques applicables à des contextes de jeu inédits et déroutants.

Nous admirerons des demis qui maîtrisent toutes les variations de combinaisons possibles, les anticipent, les réalisent avec le maximum de vitesse, dominant les gestes techniques les plus complexes ou remarquables, toujours au service d’un partenaire et du collectif.

Nous serons fascinés par des trois-quarts (arrière compris) préparés à toutes les initiatives possibles, qui favorisent les décalages, l’évitement, l’engagement dans les espaces, s’engouffrant dans les intervalles crées, toutes ces techniques en mouvement pratiquées avec la plus grande vitesse, la vélocité nécessaire et la précision requise qui ont pour objectif de déstabiliser les adversaires, de les éviter, de les dépasser pour parvenir derrière la ligne d’embut.

Il s’entend que la base de la formation doit s’organiser autour de la répétition des conditions réelles de match afin de permettre aux joueurs d’emmagasiner des situations de jeu inconnues, de mémoriser des comportements appris, de faire preuve d’inventivité afin de proposer des positions aléatoires, seules à même de désorienter l’adversaire. Ces jeunes joueurs seront alors animés par une inspiration sans cesse renouvelée. De plus ils seront légitimés par des postures, des attitudes et des réflexes singuliers et non conformistes.

J’ajouterai que cette formation doit s’appuyer sur des valeurs de respect, d’humilité, de tolérance, de santé des joueurs, de plaisir de jeu au service du collectif et les faire partager à tous les staffs techniques, administratifs et dirigeants – sans oublier les adversaires et les arbitres.

Imaginons un Rugby futur que nous pratiquerions avec la vitesse du plus rapide, l’évitement des plus virtuoses et l’intelligence situationnelle des meilleurs stratèges.

Tout cela suggère une déconnexion entre les enjeux économiques, médiatico-politiques de la part des dirigeants, des instances nationales et des Clubs. Le Rugby n’est pas au service des intérêts personnels et financiers mais doit être vu dans l’intérêt général des jeunes pratiquants.

J’entends aussi rejeter cette nouvelle vision purement comptable du Rugby, sous formes de statistiques diverses tel que le pratiquent les « contrôleurs de gestion », producteurs de données et de résultats, qui n’ont de valeur que pour ceux/celles qui les produisent.  Ce sont des données qui se révèlent donc inutiles si ce n’est pour les médias et les experts, donnant la vision d’un sport tel que le Rugby (et d’autres), gérés comme le gouvernement qui administrerait la France dans l’attente de la parution des statistiques.

Je rappelle que « le contrôle de gestion », « la comptabilité » et « les statistiques » ne sont que des outils et que comme tels, ils doivent être destinés à des usages spécifiques, au service d’une politique d’ensemble, d’une vision, d’une stratégie de Club et d’une ambition pour un projet de jeu. Sans ces prérequis, tous ces outils, les personnes qui les produisent et les analyses ne font que du bruit dans le vide des organisations du sport.

Un autre aspect de cet environnement relatif au Rugby, mais aussi à d’autres sports mérite une attention particulière. La société médiatique récente n’a pas réduit – elle a plutôt multiplié – les fonctions parasitaires et aliénantes : la publicité, les relations publiques, la communication, l’endoctrinement et le gaspillage organisé. Tous ces paramètres ne sont plus désormais que des dépenses improductives, mais elles intègrent les coûts productifs de base. Ce sont ces mêmes coûts que la société médiatique fait assumer, par duplicité, aux futurs abonnés modestes .

« La pensée unidimensionnelle » est rationnellement récupérée par les faiseurs de politique sportives et par leurs fournisseurs d’informations de masse, dans un univers spéculatif, plein d’hypothèses, qui trouvent en elles-mêmes leur justification et qui, répétées de façon incessante et exclusive, fonctionnent comme des somnifères de la pensée, associées à des formules sous forme de « slogan » publicitaire.

La pensée individuelle, « noyée dans la communication de masse », selon Herbert Marcuse,pointe ainsi le double rôle des médias : informer et ou divertir, conditionner et ou endoctriner. Les comportements et les pensées « s’unidimensionnalisent » par la publicité, l’industrie des loisirs et de l’information. Les conséquences sont des discours de journalistes, experts et autres conseillers qui nous vendent leurs théories, leurs stratégies sportives et entretiennent ainsi le système médiatique dans une déchéance culturelle qui résulte de la communication de masse. Celle-ci a « marchandisé » tous les domaines culturels mais aussi les différents sports, et réduit à néant tout pouvoir de subversion propre à notre vision du Rugby. Se pose alors la question de la production superflue, question la plus immorale, désormais identifiée comme vitale pour attirer les futurs abonnés téléspectateurs ou spectateurs dans les stades.

Ces multiples réflexions doivent être menées avec toutes les bonnes volontés concernées, sans parti pris, ouvertes sur les pratiques d’autres horizons, et appuyées par des considérations altruistes et généreuses.

Nous ne sommes pas encore sortis d’une pandémie de SARS-CoV-2. Elle a déjà remis en cause les modèles économiques installés. Ses conséquences futures vont remettre en cause tous les comportements passés et nous obliger à repenser le futur du Rugby, en reconstruisant de nouveaux projets centrés autour d’une vision qui devra, d’abord, intégrer les dimensions de responsabilité, sociétale et durable autour d’enjeux sportifs au service de ces missions-là.

2-    AVANT-PROPOS

Une organisation, quel que soit son secteur d’activité, est performante lorsqu’elle réussit à établir une correspondance entre sa chaîne de valeur, celle de ses clients, celle de ses prestataires et fournisseurs, ses salariés et managers, ses dirigeants, ses actionnaires et les institutions publiques : soit finalement  toutes les parties prenantes à la valeur créée par les organisations.

La profitabilité de la chaîne de valeur des organisations dépend donc de la consistance et de l’équilibre des activités globales dans laquelle s’insère la production des différentes composantes. Replacé dans la  construction de la vision stratégique d’une association humaine et collective à mission économique, sociale et responsable, le concept de la chaîne de valeur élargie conduit à définir l’impact durable, sociétal et environnemental de ces acteurs économiques comme l’accroissement de la valeur créée par le commun, écologique et sociétal, que son action permet.

Un acteur social crée de la valeur à partir de ressources partagées qui définit  la  valeur ajoutée qui ne peut seulement se traduire que par une marge bénéficiaire. S’y ajoute aussi un enrichissement du commun, caractérisant l’impact social.

Synchroniquement, les activités économiques ne peuvent se résumer à l’exploitation des ressources naturelles collectives pour produire des bénéfices singuliers. Néanmoins il existe aussi par la production, des alternatives durables afin d’en limiter les impacts environnementaux. 

Ces raisonnements peuvent être aussi appliqués au service public afin de ne considérer la dépense publique, non plus sous l’aspect exclusivement de coût, mais de traduire, par le concept de chaîne de la valeur, la contribution à la création de valeur sur un espace défini, sur une agglomération, sur un territoire : cela étant, il est entendu que ces trois topographies sont destinées à l’ensemble des citoyens. 

De par mon activité de formateur et intervenant dans l’environnement du sport, porté par des pratiques pédagogiques innovantes, par la volonté de rendre accessible au plus grand nombre une approche systémique appliquée à l’apprentissage dans l’univers du sport (*1), j’ai souhaité contribuer au débat sur l’application du concept de chaîne de la valeur dans l’écosystème du Rugby professionnel.

J’ai essayé de démontrer que la vision purement mécanique de la valeur aboutit à des contre-performances économiques, sociales et environnementales. Pure illusion d’économiste, le management du secteur du sport professionnel, du Rugby en particulier, à la façon d’un marché de consommateurs que l’on conditionne, pose aujourd’hui la question de la transformation de la vision globale du secteur analysé, et de la réalisation d’une véritable démocratie participative et sportive.

Si les données économiques et financières conservent une image très austère et technique, elles sont en réalité, aussi un système de représentation du monde qui détermine la vision et la mission d’une organisation.

Par le travail que je vous propose, j’ai tenté d’illustrer l’influence du système économique sur le comportement des acteurs économiques et sportifs. Je propose de considérer la production d’externalités sociales négatives comme une dette auprès des Clubs. Lorsque des Clubs recrutent des salariés et des managers avec des rémunérations indignes, associées à des contrats de travail précaires, l’organisation sportive fait une sorte d’emprunt social. C’est un passif social qui devrait être intégré comme tel dans le bilan des Clubs. La nécessité de proposer une réflexion sur la déconstruction de la chaîne de la valeur dans l’écosystème du Rugby professionnel m’a conduit à établir un diagnostic de cette chaîne de la valeur,  d’en établir une synthèse et d’exposer quelques recommandations portant sur les enjeux d’un développement du sport et du Rugby en particulier, intégrant les dimensions de responsabilités, sociétales et durables afin de contribuer à une valorisation des externalités produites au bénéfice de toutes les parties prenantes.

3-    INTRODUCTION

Le Coronavirus (ou Covid-19) révélateur de la fragilité de la filière business sportif et en particulier de la chaîne de valeur du Rugby professionnel ?

Il semble en effet que les Clubs professionnels de Rugby ne sortiront pas indemnes de la crise, et, à l’image de la société, il y aura sans doute de nouvelles normalités. Reste à savoir si celles-ci tireront le Rugby français encore plus vers le bas ou encore plus dans le rouge qu’il ne l’était avant la crise, en particulier d’une chaîne de valeur incompatible avec les critères de responsabilité, de facteurs de risque, d’éthique, d’engagement sociétal et de partage de la richesse créée.

Afin de démontrer mon raisonnement, je m’appuierai sur les données économiques publiées par la Direction nationale d’aide et de contrôle de gestion, dénommée – DNACG – relativement aux années 2015/2016 à 2018/2019 – soit 4 saisons consécutives.

Pour mieux étayer mes arguments, je proposerai mon diagnostic de la chaîne de valeur intégrée du Rugby et projetterai mes réflexions sur les différents niveaux de production et de capture de la valeur ainsi créée.

Avant mes développements, je rappellerai le contexte des données économiques collectées et du modèle de la chaîne de valeur.

La DNACG publie à chaque fin de saison les résultats consolidés de l’ensemble des Clubs de Rugby, TOP 14 et PRO D2. Deux remarques s’imposent à ce niveau-là, à qui veut travailler sur ces informations à caractère économique mais aussi publique.

La première porte sur une insuffisance notoire desdites informations, trop agrégées, incomplètes, insuffisamment détaillées et regroupées de manière incohérente. La seconde porte sur la fréquence et la date de parution : c’est-à-dire une seule fois par an et  1 an après la fin de la saison – alors que les comptes des Clubs sont arrêtés au 30 juin de chaque année et présentés dans les 3 mois suivants.

J’ai emprunté le modèle de la chaîne de valeur, concept développé par Michael Porter en 1985, consistant à simplifier l’organisation d’un Club, comme un enchaînement d’activités interconnectées qui développent chacune une valeur plus ou moins stratégique et importante pour ledit Club. Elle peut être utilisée pour décrire les combinaisons d’activités mises en place dans le Club en vue de créer un avantage concurrentiel et de proposer une offre commerciale intéressante pour l’ensemble des parties prenantes.

Dans une filière « sport intégré », les chaînes de valeur de chacun des acteurs, Clubs, joueurs, staff technique, managers, salariés, sponsors, spectateurs, diffuseurs, prestataires et fournisseurs, institutions, actionnaires et financeurs, se coordonnent et s’imbriquent pour aboutir à la vente de différentes prestations réalisées sous forme d’évènements et de spectacles auxquels sont associés la commercialisation de produits dérivés.

Sans l’ensemble de ces acteurs, il n’y a pas de produits, ni de prestations finies  accessibles pour les clients. Et chacun des acteurs contribue et apporte une partie de la valeur.

En somme et en termes de management organisationnel, l’environnement constitue un écosystème dans lequel se meuvent des facteurs socio-économiques qui influent sur la vie du Club : la concurrence, l’État, la législation sociale, financière et commerciale, les groupes de pression, lobbies, les syndicats, les associations de consommateurs et les institutions. Autrement dit, ces composantes ne sont pas isolées : elles forment les parties prenantes de la chaîne de valeur intégrée ; elles s’imbriquent et structurent un environnement à cinq pôles :

  • Un pôle sociétal
  • Un pôle sportif
  • Un pôle entreprise
  • Un pôle investisseur
  • Un pôle institutionnel

J’ajoute que l’identité de l’environnement des Clubs n’est pas statique. L’environnement  que nous venons de définir change de nature : il est turbulent.

La turbulence entraînera des modifications dans l’environnement qui auront un impact sur l’organisation des Clubs. Les causes des turbulences, généralement relevées dans la littérature, sont  la complexité, l’incertitude et le dynamisme.

La complexité correspond à l’hétérogénéité et à l’étendue des activités d’une organisation ou d’un Club de sport.

L’incertitude est le manque d’informations sur des facteurs environnementaux rendant impossible la prévision de l’impact d’une décision spécifique sur l’organisation des Clubs.

Quant au dynamisme, il entraîne l’absence de modèles, en renforçant le caractère imprédictible de variations des facteurs constituant l’environnement.

Le dynamisme peut se trouver représenté par l’instabilité du marché, la modification de la structure concurrentielle ou l’amélioration des technologies.

3.1-    Performance sportive contre performance sociétale

Dans certains pays, le sport spectacle est un business comme un autre. Les acteurs économiques y investissent dans le but de créer de la valeur financière. C’est, par exemple, le cas en Amérique du Nord où les principales compétitions sportives sont organisées en ligues fermées : ce qui évite le spectre de la relégation et ses conséquences financières. En France, les 14 Clubs du TOP 14 et les 16 Clubs de PRO D2 ont le statut de sociétés commerciales. Mais si formellement, le cadre juridique est tout à fait comparable à celui des entreprises privées classiques des autres secteurs de l’économie, la réalité économique actuelle des Clubs est assez différente.

Peu de propriétaires acceptent aujourd’hui de combler continuellement les déficits des Clubs. La régulation mise en place par la DNACG a pour objectif l’équilibre financier. La performance sportive est prédominante mais la dimension financière ne peut être une simple variable d’ajustement, en particulier sans vision à long terme. L’objectif d’un Club ne peut être limité à celui d’optimiser les résultats sportifs sous la contrainte de l’équilibre financier, mais de proposer et d’imaginer une réponse à d’autres valeurs, avec pour ambition de porter un projet sociétal, responsable et durable. C’est un modèle qui devra transformer la vision des Clubs de Rugby professionnel et intégrer toutes les notions de complexité dans leur approche managériale.

3.2-          Une gouvernance partenariale

Au sein des Clubs, diverses parties prenantes évoluent avec des degrés d’influence différents. L’économie du Rugby professionnel tourne autour de la valorisation de quatre actifs immatériels : le pôle sportif qui constitue le « capital sportif » représenté par les effectifs, par le talent des joueurs associé aux managers sportifs du Club ; le pôle sociétal qui constitue le « capital sociétal » composé des spectateurs, de la population régionale,  des collectivités, du Centre de formation et des téléspectateurs ; le pôle entreprise qui constitue le « capital attractivité » rassemblé autour des sponsors pour contribuer au développement de la marque du Club par sa notoriété et son image ; le pôle investisseur représentant le « capital financier », bâti autour des associés, des actionnaires potentiels et des prestataires financiers dans le dessein de pourvoir au développement du Club.

3.3-          Quatre Hypothèses de travail

L’hypothèse globale que je souhaite démontrer repose sur une analyse des faits qui me permettent d’énoncer quatre sous-hypothèses :

1. Que les institutions nationales, chargées d’orienter l’économie du Rugby, ont promu un modèle financier du Rugby basé d’abord sur les aspects purement sportifs pour s’emparer des ressources produites, au détriment de toute éthique sportive et sociétale. Ces mêmes institutions ont permis à une minorité d’acteurs du sport de s’approprier la valeur créée par les Clubs, au détriment des actionnaires, des salariés de l’administration, des prestataires, des fournisseurs et des parties prenantes externes. 

2. Par ailleurs, ce modèle économique, dès sa promotion portait en lui les germes de l’échec à long terme, fondé sur une accumulation de facteurs de risques. Ces risques sont liés aux aléas sportifs, intrinsèques à l’activité, des risques liés à la dépendance de la principale source de revenu (plus de 50%) que sont les ventes auprès des sponsors, eux-mêmes conditionnés aux aléas des résultats sportifs.

3. J’ajoute que l’appropriation de la valeur créée par les Clubs par le pôle sportif ne laisse que très peu de ressources pour les autres parties prenantes internes aux organisations en place qui pourraient conduire d’autres orientations équitables intégrant l’ensemble de la chaine de la valeur.  

4. En dernier lieu, le rapprochement entre, d’une part les enjeux économiques dictés par des aléas sportifs récurrents et les ressources requises pour y faire face, édifie le fondement de divergences propices à des modes de management des Clubs qui réconcilieraient toutes les parties prenantes.

4-    ANALYSE DE LA CHAÎNE DE VALEUR DANS LE RUGBY PROFESSIONNEL

Mon analyse s’appuiera sur une organisation de la chaîne de la valeur du Rugby professionnel, représentée à la fin du paragraphe. Il s’agit de l’ensemble des activités produites dans un Club par les divers pôles de management.

Je prends comme hypothèse que la répartition de la valeur créée dans cette filière sportive n’est pas répartie équitablement et que la capture de celle-ci se fait uniquement au profit de quelques acteurs, au détriment de la plupart des autres parties prenantes.

Ma démonstration partira de la vision portée par les instances dirigeantes de Clubs jusqu’à la finalisation de la communication affichée par les Clubs et les institutions

4.1-          Vision

La mondialisation du Rugby n’a pas empêché les supporters, mais aussi une partie de la population attachée à ses repères, de continuer à vivre le Rugby localement. Ce décalage n’a pas produit les mêmes effets pour les supporters d’équipes des grandes villes françaises, qui sortent gagnantes de la compétition sportive et financière, que pour les supporters des équipes de Rugby des plus petites villes qui luttent pour le maintien en TOP 14.

La libre circulation des joueurs, entraînant une forte mobilité dans les plus petits Clubs professionnels, a introduit un décalage entre les supporters attachés à leur Club et les joueurs de Rugby qui ne font que passer. Cette attitude est source de critiques envers cette forme de Rugby qui révèle un décalage entre la vision des supporters, attachés aux valeurs traditionnelles, et la réalité du Rugby actuel.

Confortés par des perspectives de croissance démesurée, les dirigeants de tous les Clubs, petits ou grands, ambitieux ou raisonnables, ont totalement négligé le fondement sociétal d’un Club professionnel. Le constat présent nous porte à la connaissance d’une vision simpliste affichée, qui se résume d’une part à respecter les équilibres financiers (DNACG oblige) et d’autre part, à assurer le développement des centres de formation afin d’y produire les futurs joueurs professionnels de demain – sources de nouveaux revenus.

Par ailleurs, je rappelle que la vision, comme la mission ou la vocation, procèdent comme des éléments fondateurs d’une organisation ou d’un Club. Ils sont stables et solides. Sur ceux-ci, le déploiement organisationnel va se dérouler étape par étape. Ces étapes sont planifiées sur le court et long terme, tels que les buts et les objectifs.

Trois piliers se trouvent à la base de toute planification. Ils influenceront le futur d’un Club ainsi que les décisions qui seront prises :

  • La vision
  • La mission
  • Les valeurs

Ensemble, ils constitueront l’ADN des Clubs.

Du point de vue interne, la vision, la mission et les valeurs :

  • Déterminent une ligne de conduite ;
  • Facilitent la prise de décision ;
  • Favorisent la mobilisation et l’optimisation des ressources.

Du point de vue externe, ils caractérisent :

  • La marque unique et différenciante du Club ;
  • La crédibilité auprès de l’ensemble des parties prenantes ;
  • La présence d’une orientation précise ;
  • Une démarche mobilisatrice intégrant toutes les parties prenantes.

Aujourd’hui, une telle vision restrictive, ne peut que conduire le Rugby dans une impasse, mise en évidence par les conséquences de la pandémie actuelle.

Cet ADN des Clubs déterminera la structuration de la chaîne de valeur intégrée du Rugby professionnel et orientera l’approche de la capture de celle-ci aux bénéfices des différentes parties prenantes.

4.2-          Projet sportif

Tous les grands Clubs de Rugby ont un projet sportif sur le court et le long terme. Le projet sportif, déterminé par la vision du Club, permettra les prises de décisions différentes selon les horizons retenus.

En effet, avoir une vision à long terme, sur 10 ou 15 ans, définira les grandes tendances de l’évolution du Club. Y compris dans un contexte économique fluctuant et incertain, soumis à des aléas plus ou moins importants, le projet devra s’adapter. Celui-ci constituera la direction à suivre.

L’horizon à moyen terme, entre 2 et 5 ans doit être plus défini, avec un vrai projet structurant, accompagné des ressources et des capacités à mettre en œuvre.

Enfin, le projet à court terme, sur la saison à venir, assigne concrètement les actions opérationnelles à mettre en œuvre.

Le projet sportif traduira la vision limitative des dirigeants, qui, mobilisés par les enjeux économiques, restreindront leur dessein à la focalisation sur les résultats et la performance du pôle sportif.

Un projet sportif, qui ne vise que les seuls résultats, est confronté aux aléas inéluctables du jeu et ne survit que par des décisions stimulant un management inflationniste et néfaste quant au devenir du Club.

Les orientations du projet sportif nous permettent de comprendre comment la valeur sera répartie dans le temps au bénéfice des divers acteurs du processus décisionnel.

4.3-          Management organisationnel – Marketing – Exploitation

Les actions pilotées par le Management organisationnel traduisent aussi la vision prônée par les Directions de Clubs. Le constat que je peux déduire me laisse à penser que la majeure partie des pratiques se concentre vers les prises de décisions ayant trait, en priorité, aux joueurs et au staff, aux infrastructures, aux équipements et aux opérations d’audit et de contrôle – conformément aux exigences de la DNACG.

Alors quelle interprétation et quelle analyse peut-on réaliser de la chaîne de valeur intégrée du Rugby professionnel, selon, dans un premier temps, la capacité des Clubs à créer de la valeur, et dans un autre, comment celle-ci est-elle distribuée pour l’ensemble des parties prenantes ?

En vue de démontrer mon hypothèse, je m’appuierai sur  la répartition de la valeur ajoutée, qui une fois créée, doit être partagée entre les différents bénéficiaires.

4.4-          Les enjeux du partage de la valeur ajoutée

Le partage de la valeur ajoutée a des conséquences sur les différents bénéficiaires. Elle est :

  • Affectée aux salariés : leur pouvoir d’achat s’améliore. Elle permet également le recrutement de nouveaux salariés qui a pour effet d’acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles capacités, mieux rémunérées.
  • Allouée aux Clubs : la valeur ajoutée permet de fortifier la capacité de développement et d’augmenter la part d’autofinancement de ses investissements.
  • Distribuée aux propriétaires des Clubs : elle accroît l’importance de leurs dividendes et permet de renforcer leur attractivité vis-à-vis d’investisseurs potentiels.
  • Créée par les Clubs : la valeur ajoutée contribue à l’augmentation du PIB, par la collecte d’impôts, de taxes et de cotisations, destinés à garantir le bon fonctionnement des infrastructures, à la qualité des prestations sociales et à pourvoir au développement régional. 
  • Collectée par les banques : la valeur ajoutée épargnée pourra être prêtée plus facilement à l’ensemble des Clubs qui ont besoin de financement.

Pour l’ensemble des Clubs du TOP 14, la valeur ajoutée affiche une très faible progression entre les saisons 2015/2016 et 2018/2019 passant de 208 009 K€ à 227 322 K€, mais dont la part dans la totalité des produits d’exploitation diminue de plus de 4%, soit 14 000 K€.  

Après avoir décomposé et analysé les données économiques de la DNACG, j’exprimerai les choix et les décisions prises par les Directions en évaluant les conséquences sur les différents acteurs de la chaîne de valeur, en me posant la question pour chacun d’eux :

4.5-          Quelle valeur créée, perçue ou détruite et pour qui ?

4.6-          La création de valeur

Le projet économique des Clubs peut être décrit comme une logique d’organisation à des fins de création de valeur pour l’ensemble des clients, de capture de valeur pour les Clubs et pour leurs partenaires. Création et capture de valeur sont donc au centre de la vision et des missions assignés aux différents Clubs. Considérée comme un concept important de management des organisations (en particulier sportives), la valeur créée et capturée conditionne l’ADN des Clubs comme vu précédemment, tant vis-à-vis des parties prenantes internes qu’externes.

Les nombreuses décisions en matière de management des Clubs sont corrélées aux directives prises de création de valeur et de capture de valeur. Les innovations, les services proposés, l’exploration de nouveau segment de marché concernent plutôt la création de valeur, tandis que le fait de profiter d’un fort pouvoir de négociation sur les parties prenantes internes et externes relèvent de la capture de valeur.

Le prix qu’un supporter, un fan, un sponsor, un citoyen, un diffuseur est prêt à payer pour un service ou un produit est une échelle de la valeur créée tandis que le bénéfice qui en est retiré est une mesure de la valeur capturée.

Les premiers bénéficiaires de la création de valeur reviennent à l’ensemble des employés, sportifs et administrations. Dans l’intention de disposer de salariés requis, formés, stables, motivés par leur emploi, ayant les capacités fondamentales, il est prioritaire pour les Clubs qui souhaitent conserver les compétences d’apporter des réponses aux différents acteurs. Cette valeur ne comprend pas que le salaire, mais intègre des éléments subjectifs comme le sentiment d’appartenance, la sécurité de l’emploi, l’accomplissement au travail et les perspectives d’avenir. La détermination de la valeur créée pour les salariés nécessite donc de distinguer la rétribution perçue, du salaire objectif. A contrario, toutes ces distinctions s’additionnent pour constituer toutes conditions requises afin de produire une valeur jugée suffisante qui doit contribuer à la satisfaction de tous les clients.

Relativement aux actionnaires, les Clubs ont une injonction : Il s’agit de la contrepartie aux apports de fonds, aux risques pris, servie en termes monétaires par des dividendes. La valeur attribuée aux titres par les actionnaires est influencée par l’image des Clubs, les résultats sportifs et économiques, une vision à long terme, les risques actuels et futurs qu’ils présentent et les projets de développement.

Pour les autres parties prenantes intéressées à la performance comme les fournisseurs, le volume de vente, le délai de paiement, l’innovation recherchée, le développement des savoir-faire, la coopération et l’appartenance, l’intégration à des projets de médiatisation et de notoriété, la valorisation des relations commerciales et la fidélisation caractérisent la contribution à leur valeur qui répondront par plus de qualité, de réactivité, de flexibilité et des tarifications optimisées.

Pour les collectivités, les Clubs constituent un écosystème dans lequel les institutions sont intégrées, qui, bénéficiant de taxes et d’impôts locaux, proposeront leurs prestations de services, aideront à des efforts de préservation de l’environnement, à des implantations d’installations, à des comportements citoyens et à la participation à la vie collective.

Je retiendrai, parmi l’ensemble des parties prenantes, les protagonistes suivants sous quatre modalités :

  • Les promoteurs du modèle du Rugby professionnel 
  • Les contributeurs à la création de valeur
  • Les parties prenantes internes des Clubs
  • Les parties prenantes externes aux Clubs

5- PROMOTEURS ET PRÉBANDIERS À LA FOIS

5.1-          Les institutions nationales du Rugby – FFR – LNR et DNACG

À côté des parties prenantes principales, j’entends les actionnaires, les joueurs et les spectateurs, on peut identifier d’autres parties prenantes telles que les instances dirigeantes, la Fédération Française de Rugby (FFR) et la Ligue Nationale de Rugby (LNR). La ligue professionnelle garantit aux Clubs la majorité des revenus issus des droits TV et leur impose un minimum de règles de gestion par le biais de la DNACG.

Dans l’objectif de limiter les pertes opérationnelles subies par un certain nombre de Clubs de Rugby, la DNACG a mis en place depuis 2012 de nouvelles réglementations visant  à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs. La vocation essentielle de la DNACG est d’assurer l’équité sportive et économique des championnats TOP 14 et PRO D2, afin d’éviter que la compétition puisse être faussée par des Clubs qui engageraient des charges trop élevées sans justifier des ressources nécessaires à leur financement. Il s’agit également de contribuer à la pérennité économique et sportive des Clubs, ce qui est d’autant plus indispensable dans une période d’incertitude économique, faisant suite à une décennie de forte croissance du Rugby professionnel. Au-delà de cela, et depuis sa création en 1999, la DNACG contribue à assurer une mission d’aide aux Clubs, symbolisée par le « A » de son sigle. Cette approche, qui était tout particulièrement nécessaire dans une période de professionnalisation du Rugby, reste toujours utile, notamment pour les Clubs promus de divisions inférieures ou dans des situations économiques complexes comme celles faisant suite à la pandémie actuelle.

Le mode d’allocation des revenus issus des droits TV, bien qu’égalitaire et fonction des résultats des compétitions procure un avantage concurrentiel pour les Clubs ayant déjà atteint un certain niveau de développement économique, créant ainsi une concurrence inéquitable avec les autres Clubs. Ce modèle économique produit un processus inflationniste, autant sur le prix des joueurs que sur leurs salaires. C’est néfaste à l’équité sportive et à la pérennité des Clubs. Par leurs décisions, la LNR et la DNACG amplifient indirectement les risques économiques par la dépendance aux revenus apportés par les sponsors. Et elles altèrent la qualité des prestations commercialisées en diminuant l’incertitude sur l’identité du vainqueur des compétitions nationales ou internationales, tout en autorisant quelques Clubs à capturer la plus grande part des revenus générés.

Une prise en compte des dérives inflationnistes et des risques liés à des surendettements justifierait de limiter le montant de dette des Clubs et leur permettre de se financer par recours à des capitaux propres.

5.2-          Les institutions nationales du Rugby – FFR

Avant de comprendre le mode de création de valeur et sa réparation pour l’ensemble des Clubs du TOP 14, je voudrais me focaliser sur l’interprétation des résultats économiques de la FFR. Celle-ci est un acteur majeur de la chaîne de valeur du Rugby français et, à ce titre, mérite une attention particulière.

Je précise que toutes les données utilisées sont issues du rapport du Commissaire aux Comptes de la FFR, publié le 19 Novembre 2019.

Je m’appuierai dans un premier temps sur le Compte de Résultat de la FFR.

Je débuterai mon analyse par les Produits d’exploitation de la FFR, durant la période du 1er  Juillet 2015 au 30 Juin 2019, soit 4 saisons, définies comme :

  • 2016
  • 2017
  • 2018
  • 2019

Ce premier graphique nous montre une forte érosion des produits d’exploitation qui passent de 119 367 K€ à 102 514 K€, soit une diminution de près de 20%, en Euros courant.

Un des facteurs importants de baisse porte sur les Recettes matches en France, qui perdent 8 500 K€, sur la même période et ne représentent plus que 16,5% du total des produits contre 21,3% en 2015/2016.

Une autre curiosité apparaît, celle d’une forte augmentation des Reprises sur provisions qui passe de 68 K€ à 2 737 K€, soit une variation à la hause de 2 669 K€, qui vient atténuer la dégradation des activités.

L’analyse des charges d’exploitation représentées par les graphiques ci-dessous et portant sur l’ensemble des Achats + Sous-traitance + Services extérieurs montre une stabilité dans le temps et s’établit à près de 34% des produits.

On peut détailler certaines catégories de dépenses comme celles relatives à l’Habillement-Equipement et les Frais médicaux qui constituent la plus grande partie des dérives, soit respectivement + 280 % à hauteur de 4 349 K€ et 273% pour un montant de 5 588 K€.

De même, l’observation du poste Frais de déplacements indique une forte augmentation en valeur absolue, passant de 19 533 K€ à 20 995 K€ sur une période pendant laquelle l’activité a diminué de 20% ! Mais surtout tout cela montre une très forte augmentation de ces dépenses corrélées aux produits d’exploitation progressant de 16,4 % à 20,5% des activités soit une variation de + 25% !

Parmi les frais de déplacements, le poste de dépenses pour Vie fédérale attire l’attention par une variation de + 156% à hauteur de 1882 K€.

Relativement aux charges de personnel, on peut constater une très importante dérive : elles passent de 19 469 K€ à 26 339 K€, soit 35% de plus, tandis que le total des activités baissait de 20% ! Et ce total représente 25,7% de celles-ci (charges du personnel), soit une dérive de + 58% par rapport à la saison 2015/2016.

Au regard des données brutes relatives aux charges salariales, on assiste à un changement de structure de la FFR qui se traduit par une très forte progression du nombre de Cadres, passant de 61 à 106 personnes soit près du double, constituant la principale cause de l’augmentation importante des effectifs.

L’analyse détaille des charges de personnel retient l’attention dans le sens où la masse salariale des personnels titulaires avec les Charges Sociales (CS) passe de 10 429 K€ à 15 069 K€ soit une progression significative de + 144% et passe de 52,6% à 57,2% de la totalité de salaires.

Le salaire moyen, avec les charges, par titulaire passe de 50,9 K€ à 61,1 K€ annuel, soit 2890 € brut mensuel en 2015/2016 et 3 680 € brut mensuel en 2018/2019.

Alors que le nombre de joueurs sous contrat FFR est passé de 33 à 39 (soit + 18 %), la masse salariale – avec les charges de celle-ci – évolue de 9 220 K€ vers 11 269 K€ soit + 22% : ces chiffres traduisent une stagnation des salaires relatifs aux sportifs. Plus significatif, la part des salaires des joueurs dans le total des salaires chargés passent de 47,4% à 42,8%, soit une baisse de – 10% !

Les salaires mensuels moyens avec les charges des sportifs correspond à 190,2 K€, soit 10 800 €/mois en 2015/2016 pour 209,8 K€ soit 12 700 € /mois en 2018/2019.

La comparaison du coût des salaires + CS par catégorie nous éclaire beaucoup mieux sur l’origine des dérives de ce poste-là.

En effet, on peut constater que les salaires annuels des salariés et des joueurs sont quasiment stables sur la période 2015/2016 à 2018/2019. Par reflet, cela démontre que les dérives analysées ont pour cause une très forte capture de la masse salariale par les hauts dirigeants, pour lesquels les salaires + CS annuels sont passés de 37 K€/an en 2015/2016 à 194 K€/an soit une variation de 525% !!

Les résultats présentés ci-dessous nous affichent une perte de valeur ajoutée de 4 % par rapport à la totalité des produits d’exploitation, ce qui représentent une perte de valeur ajoutée de l’ordre de 40 000 K€. Celle-ci est passée de 58 635 K€ en 105/2016 à 46 567 K€ en 2018/2019, soit une baisse de 20%.

Par ailleurs, nous pouvons remarquer que, pendant la même période, la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 33,2% à 56,6% soit une dérive significative + 70% !!

J’ajoute que la participation aux résultats pour l’ensemble des salariés, qui était de 506 K€ pour la saison 2015/2016, est égale à « 0 € » pour les 2 dernières saisons 2017/2018 et 2018/2019.

Nous pouvons en déduire qu’en raison de la répartition des coûts des salaires, cette dérive a pour origines principales :

  • Un recrutement de cadres largement au-dessus des moyens de la FFR
  • Une rémunération des hauts dirigeants que la FFR ne peut supporter.

Je porte une attention particulière sur la constitution des résultats d’exploitation et du résultat net.

En effet le résultat d’exploitation va passer de 6 724 K€ positif, soit 5,6% du total des produits, à une perte de 1 502 K€, soit – 1,5% des activités.

L’analyse approfondie de la réalisation du résultat d’exploitation pour la saison 2018/2019, amène à prendre en considération des opérations que l’on ne peut pas qualifier de courantes et donc purement exceptionnelles, par conséquent non récurrentes.

Un retraitement de ces opérations conduit au résultat d’exploitation suivant :

  • La neutralisation de la reprise sur provisions, à hauteur de 2 737 K€, considérées comme un produit d’exploitation montre un Résultat d’exploitation négatif pour 4 239 K€, soit 4,1% du total des activités, bien loin du résultat publié !

Quant au résultat net affiché, il va passer de 3 753 K€ positif, soit 3,1% du total des produits, à un bénéfice de 211 K€, soit 0,2% des activités.

Comment passe-t-on d’un résultat d’exploitation négatif à un résultat net positif ?

De même, l’analyse approfondie de la réalisation du résultat net pour la saison 2018/2019, amène à prendre en considération des opérations que l’on ne peut pas qualifier de courantes et donc purement exceptionnelles, a fortiori non récurrentes.

Un retraitement de ces opérations conduit au résultat net suivant :

  • La neutralisation du résultat financier positif de  882 K€, en fait une reprise sur provision, c’est-à-dire le même retraitement pour un résultat exceptionnel positif de 76 K€, en fait une reprise sur provision, là aussi et enfin, un crédit d’impôt de 753 K€. L’ensemble des corrections conduit à un résultat net négatif pour 4 239 K€, soit 4,1% du total des activités, bien loin du résultat positif publié !

Cette première analyse, à partir des données d’exploitation retracent bien les orientations de la FFR sur les 4 dernières saisons.

Comment alors interpréter les données issues du bilan de la FFR sur cette même période, soit de 2015/2016 à 2018/2019 ?

Le graphique ci-dessous nous montre l’évolution des ressources nettes de la FFR, le besoin en fonds de roulement nécessaire et l’impact sur la trésorerie.

Les ressources nettes passent de 5 049 K€ à des ressources négatives de – 5 142 K€ pour la saison 2018/2019. Associé à une forte augmentation du Besoin en fonds de roulement qui passe de – 10 781 K€ à 15 572 K€, la trésorerie diminue de 20 714 K€, correspondant à 20% du total des produits soit 2,5 mois d’activités ou à 80% de masse salariale annuelle :

On peut constater une forte augmentation des investissements, au même moment où l’activité de la FFR diminuait de 20%, pénalisant la trésorerie.

Ces investissements ont porté sur la conception d’un nouveau site internet pour une valeur de 1 120 K€ et sur la rénovation et les coûts d’installation du Centre National du Rugby pour un montant de 3 239 K€.

Au regard de l’ensemble des résultats économiques et financiers de la FFR, il est nécessaire de mettre en regard ses performances, en particulier de ses hauts dirigeants.

Pour rappel :

  • Les résultats sportifs  de l’Equipe de France
  • La qualité du jeu pratiqué
  • Des litiges avec des fournisseurs nécessitant un montant important de provisions, à hauteur de 4 000 K€.
  • Le paiement de litiges sociaux à hauteur de 1 000 K€.
  • La condamnation de La Fédération française de Rugby (FFR) à verser 3 360 K€ à une collectivité pour l’abandon en 2016 du projet de Grand Stade au sud de Paris.
  • La demande d’indemnité pour l’abandon du projet du Grand stade pour un montant de 19 000 K€, très peu provisionnée.
  • La perte de sponsors historiques du Rugby français, tel que BMW, pour une perte de 4 700 K€/an.
  • L’évolution des recettes issues des matches internationaux en baisse 32% par match et de 7 833 K€ pour la totalité des recettes issues des matches internationaux.
  • Les recettes issues des cotisations passent de 8 145 K€ à 4 057 K€, soit une baisse de 4 088 K€ et de 50 % !!
  • Et ce, pour une cotisation par licencié qui passe de 18,59 € à 14,41 €, soit une nouvelle baisse de plus de 22%.
  • Cette dernière est associée à une décrue du nombre de licenciés qui passe entre 2015/2016 et 2018/2019 de 438 144 à 281 554 licenciés soit, là aussi une baisse de plus de 36%.
  • Ensuite, on constate une perte de 16 000 gamins dans les Ecoles de Rugby depuis 2012.

Je conclurai cette première partie sur le rôle résumé des institutions nationales du Rugby français assuré par la FFR. Au vu des performances de l’organisation FFR et de ses résultats économiques, je peux conclure que cette institution, garante de l’organisation du Rugby français ne contribue pas à la création de valeur de son propre sport, mais capture la valeur produite à son propre profit.

6-    LES CONTRIBUTEURS À LA CRÉATION DE VALEUR

6.1-          Les supporters

Les clients des Clubs, constitués des supporters et des abonnés, représentent une source de revenu importante dans l’économie du Rugby professionnel. Les Clubs déploient l’utilisation des outils du marketing expérientiel dans l’intention de développer les recettes liées au merchandising en jouant sur l’attachement sentimental du supporter au Club ou à son identification à un joueur vedette, et en essayant de faire en sorte que le stade devienne un lieu de vie. Ce faisant, la dimension sociétale du Club dans son propre écosystème est oblitérée.

Chaque activité du Club contribue à la valeur créée. Celle-ci doit être perçue par les supporters comme répondant à leurs attentes. Valeur subjective s’il en est. En outre, si le client ne perçoit pas assez de valeur, il pourra choisir et s’orienter vers d’autres loisirs sportifs ou culturels qui répondront mieux à ses espérances.

Le supporter est supposé acheter des prestations de spectacles sportifs qui présentera la différence entre la valeur perçue et le prix à payer comme la plus favorable.

De nombreux Clubs se posent la question de savoir si un supporter est un client comme un autre ou pas. Les supporters, par tradition, sont un peu plus que de simples clients car, typiquement ils s’identifient de manière très particulière aux valeurs du Club. Le  Club en retour s’assure de leur fidélité.

Par l’approche « Rugby business », les Clubs tendent de plus en plus à traiter le supporter comme un client. Cela se fait de plus en plus ressentir du côté des fans. Être considéré comme un simple client peut dévaluer le concept de supporter et augmenter l’impression de n’être qu’une source de profits commerciaux, c’est une disposition péjorativement ressentie par les supporters.

D’une certaine façon, le supporter recherche dans son Club d’autres relations que proprement commerciales. Une qualité de service optimale doit répondre à ses attentes. Les supporters sont donc des acteurs cruciaux dans la vie de chaque Club. Leur rôle au sein du Club ne peut pas être sous-estimé tant ils peuvent influencer ou affecter l’ensemble de la structure dudit Club de Rugby.

Par conséquent, la valeur perçue par les supporters intègre une forte valeur d’estime, correspondant à l’image apportée par les prestations, tant par leur disponibilité, leur qualité que par leurs aspects affectifs produisant implicitement la valeur ressentie desdites prestations. Celle-ci, subjective, est influencée par la presse, les associations de consommateurs, les réseaux sociaux et les groupes de supporters.

La « satisfaction du supporter » permet sa fidélisation. Cela influence et réduit le coût des transactions pour la recherche de nouveaux supporters.

La valeur ainsi créée pour le supporter est déterminée par la chaîne de valeur intégrée, de la proposition du spectacle sportif jusqu’à son exploitation dans le Stade (avant, pendant et après l’événement lui-même) et qu’elle n’intègre pas que des dimensions tarifaires.

Les informations économiques, issues du dernier rapport de la DNACG pour la saison 2018/2019, à notre disposition traduisent une stagnation des revenus résultant de la billetterie et ce, depuis les 3 dernières saisons : elle représente 11% du total des revenus.

Si l’ensemble des recettes représentent 351 673 K€ sur la saison 2018/2019, en progression de 49 106 K€, soit 16% sur la période analysée, les « recettes matches », à hauteur de  46 996 K€ ont diminué de – 4 217 K€, ce qui représente – 8%. Les recettes matches ne représentant plus que 13% du total des revenus contre 17% pour la période 2015/2016, soit un recul de plus de 20%.

Nous pouvons constater le même comportement pour les recettes matches par Club avec une baisse de 8% sur la période en euros € constants.

Récapitulatif des moyennes de spectateurs en Top 14 par Club et par saison depuis la saison 2009-2010 jusqu’à la saison 2018-2019

Malgré le développement, l’adaptation et les travaux réalisés dans les stades de Rugby, malgré la médiatisation portée par la course aux « stars du Rugby », le nombre de spectateurs par matches s’immobilise autour d’une moyenne en dessous de 14 000 par match, desquels, nous devons déduire le nombre de « spectateurs non payants », pour un taux de remplissage moyen de 70%.  

Au vu des tarifs moyens pratiqués, soit 25 € par spectateur et par match, on peut facilement en déduire que la perception par les supporters montre une différence significative entre la valeur perçue et le prix à payer, limitant leur engagement et leur passion. 

6.2-          Les sponsors

Les revenus agrégés du sponsoring et de la publicité représentent 170 054 K€ soit 48 % du total des produits. Ils sont en augmentation de 17 % entre la saison 2015/2016 et la saison 2018/2019.  

Comment analyser la valeur perçue par les sponsors ? En sachant que ces revenus constituent la première source de produits pour l’ensemble des Clubs du TOP 14.

On peut constater que le poids de ces revenus constitue une forte dépendance aux décisions des partenaires et par là, une obligation vitale pour les Clubs de proposer les meilleures activations marketing pour ces sponsors.

Le peu d’informations sponsoring à ma disposition ne m’empêche pas d’émettre quelques hypothèses de manière à démontrer que les démarches proposées par les Clubs ne répondent pas aux attentes des sponsors.

La vision des Clubs de Rugby professionnel, principalement orientée performance et résultats sportifs, n’offre que peu d’attractivités et d’alternatives aux yeux des annonceurs. En raison de résultats sportifs aléatoires, non récurrents, les Clubs offrent peu de visibilité et de notoriété aux sponsors, en particulier lors de période de résultats négatifs ou lors de des non-participations aux phases finales ou européennes.

En TOP 14, de rares Clubs affichent une sécurité quant au niveau des résultats sportifs. De cet état de fait, le peu de Clubs qui bénéficient d’une importante exposition médiatique, réduisent les arguments pour les annonceurs, qui devraient pouvoir profiter d’importantes retombées médias.

L’intégration récente des notions de ROI (retour sur investissement) dans les opérations de partenariats sportifs contraint les Clubs à de grandes campagnes d’activation, en regard d’optimiser les enjeux de notoriété et d’image de marque pour les annonceurs. La seule visibilité ne suffit plus pour les partenaires. Les activations, avec des objectifs et des indicateurs précis, jouent un rôle croissant dans la définition et l’exécution des accords de sponsoring.

Face à ces exigences de ROI (retour sur investissement) de la part des annonceurs dans le dessein de justifier de la rentabilité de leur investissement substantiel pour acquérir des droits et activer leurs partenariats, les Clubs doivent de se doter d’outils de monitoring pour suivre au mieux les retombées. Tous les partenaires cherchent à calculer le plus finement possible leur retour sur investissement.

À travers différents métriques – indicateurs de performance, enquêtes d’opinion, enquêtes online lors des événements, mesures de ventes sur un secteur géographique précis, feed-back des réseaux sociaux -, les annonceurs pourront apprécier la pertinence d’un contrat de sponsoring, ayant pour objectif de renouveler le contrat de partenariat, conditionné par les réponses apportées par les Clubs.

Nous pouvons déjà constater que les conséquences de la pandémie anticipent une baisse de 25 à 30% des revenus provenant des sponsors.

Une question se pose alors : comment se fait-il que les retombées du sponsoring soient si peu évaluées et offrent si peu de visibilité pour les annonceurs au point de sacrifier 25 à 30% de leur budget ?

6.3-          Les diffuseurs

La contribution totale des droits audiovisuels au total des produits se monte à 69 086 K€, soit 20% du total des revenus, pour une augmentation de 11% sur la même période.  

CANAL+

Le groupe historique de télévision payante Canal+ a confirmé qu’il allait « tailler à la hache » dans ses effectifs en France, où il est confronté à une double concurrence : celle de BeIN Sports, de SFR et de Mediapro dans le sport.

De plans de restructuration après d’autres, Canal+ continue de réduire ses effectifs à hauteur d’environ 500 collaborateurs sur les 2.600 qu’il compte en France ; réduction  appelée comme il se doit « projet de transformation ». Les objectifs sont la compression du nombre de salarié en réduisant les coûts et la distribution afin de verser un maximum de dividendes au détriment des salaires.  

Depuis 2015, les précédents plans d’économie n’ont pas suffi à enrayer les difficultés de Canal+. Attaquée sur tous les fronts, la société voit le nombre d’abonnements individuels directs reculer et a perdu près de 2 millions de fidèles sur cette période, à 4,5 millions d’abonnés. Les difficultés s’accumulent face aux concurrents.

Je peux déduire que sur cette marche des diffuseurs, il semble que la rentabilité soit loin du compte au regard des investissements consentis dans l’achat des droits de diffusion. La concurrence entre les opérateurs, celle des nouvelles plateformes comme Amazon et Netflix et les tendances des consommateurs vers le streaming, constituent de nouveaux risques de dégradation du montant tarifé des droits audiovisuels perçus par les Clubs.

6.4-          Les produits dérives et le merchandising

Le poids économique des produits dérivés et du merchandising, ajouté aux autres produits, culmine à hauteur de 16 526 K€, soit 5% de l’ensemble des revenus, pour une progression qui a doublé sur la période. Il est à noter le faible poids économique des activités de merchandising pour les Clubs du TOP 14.   

Mais au-delà des recettes réalisées, il est important de comprendre la Marge Commerciale sur les ventes des produits dérivés. Dans les faits, pour chaque produit vendu, le Club n’encaisse environ que 10% de la recette finale. 30% va au distributeur, 30% à l’équipementier, 10% au fabricant (ainsi qu’aux frais de logistique) et aux Etats, via les taxes.

Je peux en déduire que la contribution des produits dérivés aux bénéfices des Clubs représente seulement un apport marginal à la performance économique, estimé à 0,5%.

L’intégration de compétences, de capacités et de savoir-faire dans les métiers de la supply chain constitue un défi pour l’amélioration des résultats financiers issus de la commercialisation des produits dérivés.

6.5-          Synthèse des produits d’exploitation

De par la dépendance auprès des partenaires et des droits TV (soit près de 70% du total des revenus d’exploitation du TOP 14), il est facile d’imaginer que le modèle économique du Rugby ne présente pas toutes les garanties de survie à une pandémie telle que nous la vivons, mais au-delà, il est dans l’impossibilité de faire face à la défaillance de certains sponsors ou d’échec sportif.

Il est à noter que le TOP 14 dépend pour 7 747 K€ de subventions, soit 2% des revenus, et de 24 493 K€ d’autres produits, soit 7%. Ces 2 postes représentant malgré tout près de 10 % e l’ensemble.  

Par-delà les particularités propres à chaque contributeur de revenus des Clubs, je remarque que l’ensemble de ces acteurs économiques se comportent de manière à rendre dépendants financièrement la totalité des Clubs. En effet, hormis les recettes de billetterie et de produits dérivés, les sommes d’argent dues aux Clubs constituent un risque majeur sur leur financement d’exploitation. Le total des créances dues, soit 88 052 K€, accable les Clubs par des retards de paiement récurrents, qui représentent 90 Jours de crédit clients, soit 3 Mois de délai en moyen de paiement, alors qu’une loi, dit LME de 2008 (Loi de Modernisation de l’Économie du 4 août 2008) limite lesdits délais de paiement à 45 Jours ! Sachant que les recettes générées de la billetterie et des produits dérivés constituent 18% en moyenne, il est facile d’imaginer la position des Clubs face à une telle dépendance financière à court terme et les conséquences en termes économiques, d’image et des conditions d’exploitation.

7-    PARTIES PRENANTES INTERNES AU CLUB

7.1-          Les joueurs salariés

L’analyse des données à notre disposition, peu explicites, nous conduit à plusieurs constats.

Pour la saison 2018/2019, la part des salaires et charges sociales consolidé pour tous les Clubs du TOP 14 est valorisée à 242 391 K€, en croissance de 27,2% par rapport à la saison 2015/2016 et représente 69% du total des revenus des Clubs, contre 66% pour la saison 2015/2016.

Cette dérive des salaires est à mettre en relation avec l’évolution des revenus qui ne progressent que de 17,7%.

Ce qui signifie que l’ensemble des salaires versés absorbent 107% de la valeur ajoutée produite par les Clubs.

La décomposition des salaires par catégorie de salariés est plus significative. Le poids des salaires des joueurs professionnels correspond à 77,5 % de la masse salariale totale et capture 83% de la Valeur ajoutée produite.

Il est à mentionner que la masse salariale de tout le domaine sportif « joueurs et staffs » correspond à  91 % du total des salaires et absorbe 97% de la valeur ajoutée créée par les Clubs.

 30% des joueurs les mieux payés capturent plus de 50% de la masse salariale.

Bien qu’une moyenne ne soit pas représentative des salaires des joueurs, selon une estimation de 500 joueurs professionnels en TOP 14, le salaire moyen annuel avec les charges sociales par joueur, s’élève à 376 K€ soit près de 31 300 € par mois.

Aucun secteur d’activité ne peut supporter un groupe de salariés, y compris pour des joueurs à forte notoriété d’absorber 91% du total des revenus et 97% de la valeur ajoutée.

Un des secteurs d’activité avec lequel nous pouvons établir des correspondances est celui de la production audiovisuelle. Établissons quelques comparaisons.

Ledit secteur d’activité réalise autour de 3 000 M€ de chiffre d’affaires : on saisit que c’est 10 fois plus que celui du Rugby. Au regard de ces recettes, la part des salaires représente 730 M€ environ (soit 25% du CA produit). Pour une valeur ajoutée de 2 550 M€, les salaires pèsent 40 % de la VA créée. (Source : Étude sur le tissu économique du secteur de la production audiovisuelle – CSA 2017)

La comparaison entre les deux secteurs d’activité, similaires par leurs finalités et par les publics visés, nous permet de mieux comprendre la structure économique des Clubs et de démontrer en quoi le modèle du Rugby ne peut résister à aucune crise, a fortiori à une pandémie mettant à l’arrêt toutes les activités de spectacles sportifs. 

7.2-       Les staffs techniques

L’ensemble des staffs techniques représente 13,5 % de la masse salariale, qui ponctionne 14% de la valeur ajoutée. Avec une hypothèse de 15 Personnes de staff technique par Club, le salaire moyen avec les charges sociales s’élève à 164 000 € par an, soit 13 600 € environ par mois.

Nous pouvons là aussi comparer avec les salaires des ingénieurs par exemple dont le revenu annuel moyen est compris entre 30 000 € et 100 000 €, selon l’ancienneté.

7.3  Les salariés de l’administration

L’ensemble des salariés de l’administration consomment 9 % de la totalité de la masse salariale, soit 10% de la valeur ajoutée.

Peu d’informations sur ces personnels-là, et pour cause me semble-t-il !

J’émets là aussi, l’hypothèse de 80 administratifs par Club de TOP14, ce qui nous amène à des salaires annuels avec les charges sociales de 20 000 €, soit 1660 € mensuels. Sachant que les dirigeants et les cadres perçoivent des salaires nettement supérieurs, cela nous laisse des revenus moyens par employé largement en dessous du SMIC.

On pourra deviner le peu de reconnaissance de cette catégorie de salariés, ayant toutes les responsabilités opérationnelles, administratives et commerciales de la production de spectacles sportifs.

7.4-       Les honoraires agents sportifs et médicaux

Les honoraires d’agents représentent près de 3,1% du total des revenus, pour un montant de 11 032 K€, en forte dérive de 23% par rapport à la saison 2015/2016 et capturent 5% de la valeur ajoutée produite.

Finalement, le Rugby, ce n’est pas que du Rugby, mais des joueurs considérés comme des marchandises et des produits financiers. Des marchandises que tous les agents sportifs du monde essayent de monnayer le plus cher possible afin de produire un maximum de commissions.

7.5-       L’État et les organismes sociaux

Le poids des charges sociales et des impôts représente près de 20% des revenus totaux, ce qui constitue 33% de la valeur ajoutée.

La perception par l’État de cette partie de valeur ajoutée correspond à l’ensemble des charges collectées par les Clubs sur la totalité des salaires, dans l’objectif de pourvoir au financement des dépenses de santé, d’accident, de chômage et de retraite des salariés.

De plus, l’État et les Régions contribuent au développement des activités sportives et aux investissements requis pour les installations.  

Le corps d’État, par l’effet des subventions, participe aux actions éducatives par l’intermédiaire du sport.

En tant que garant, il permet aussi d’obtenir des prêts garantis qui soulagent les Clubs lors de problèmes de trésorerie conjoncturelle. 

7.6-       Les actionnaires et les investisseurs

Les intermédiaires financiers représentent 0,2 % du total des revenus, soit 0,15 % de la valeur ajoutée.

Les actionnaires et investisseurs ne perçoivent aucune valeur créée par le Club. En revanche, par leur abandon de créances sur les comptes courants d’associés, ils apportent aux Clubs 27 775 K€, soit près de 8 % du total des revenus et plus de 12% de la valeur ajoutée.

Nous verrons finalement que les résultats d’exploitation des Clubs du TOP 14, dépend finalement, de toujours des mêmes acteurs : les sponsors pour les contrats de sponsoring et les sponsors-actionnaires pour leurs apports et surtout leurs abandons de créances qui s’élèvent à près de 2 000 K€ par Club.

L’attractivité économique doit devenir un objectif majeur en vue de pouvoir attirer de nouveaux investisseurs. Cela passe par une rentabilité accrue, une maîtrise des risques économiques, une visibilité sur le long terme, fondée sur un projet sportif responsable, sociétal et durable.

Comment se structurent les capitaux permanents du Top 14 ?

L’ensemble des capitaux permanents, constitués des :

  • Capitaux propres (Capital social Résultats)
  • Emprunts à Long Terme, auprès des organismes financiers
  • Compte apports en courants de la part des associés ou actionnaires

Progressent fortement sur la période 2015/2016 à 2018/2019, et sont multipliés par 2. Alors que les Résultats économiques montrent, sur la même période, une perte cumulée de 75 461 K€, nous pouvons constater une progression simultanée des capitaux propres. Les résultats, constituant une partie des capitaux propres, ceux-ci devraient diminuer d’autant.

Je peux en déduire le montant des recapitalisations effectué par les actionnaires.

Je déterminerai cette recapitalisation en avançant l’hypothèse que la totalité des pertes cumulées sont compensées par les actionnaires l’exercice suivant, 83 854 K€, ou près de 6 000 K€ par Club sur la période 2015/2016 à 2018/2019.

Après avoir constaté les pertes d’exploitation cumulées sur les 4 dernières saisons, le recours régulier aux actionnaires en place ou nouveaux investisseurs, il me semble difficile de nier que le modèle du TOP 14 ne peut perdurer en totale autonomie financière et que sa perte d’attractivité économique remet en cause sa pérennité. 

7.7-       Les Clubs

Pour les Clubs, le montant total d’amortissement se monte à hauteur de 11 743 K€, soit 3,3% du total des revenus.

Comme dans tout modèle organisationnel, le Club doit devenir le centre des activités vers lequel toutes les décisions seront focalisées. Et ce sont surtout  l’image, la notoriété, l’histoire du Club, qui prennent leur place au-dessus de toutes les parties.

Par-delà la très faible valeur capturée par les Clubs, des indicateurs de déséquilibre financier apparaissent.

Le Fonds de roulement (Capitaux Permanents – Total des immobilisations) du TOP 14 diminue considérablement sur la période pour être proche de « 0 ». Autrement dit, tous les capitaux permanents sont absorbés par des opérations d’investissements, malgré de lourdes pertes et une capacité d’autofinancement négative.

L’exploitation génère un besoin en fonds de roulement négatif (ou Ressource en fonds de roulement), à hauteur de – 5 284 K€, par un recours à des crédits auprès des fournisseurs et des organismes sociaux allongés.

 La résultante, la trésorerie d’exploitation, entre 2015/2016 et 2018/2019, passe 17 076 K€ à 5 763 K€, soit une baisse de 11 313 K€. La trésorerie présentée, positive provient de concours bancaire à court terme pour 15 889 K€.  

7.8-          Synthèse des résultats

Des résultats économiques du TOP 14, nous pouvons en déduire quelques réflexions significatives.

Confrontés à des recettes globales qui progressent faiblement, soit 4% par an, à des recettes matches qui diminuent de 9 % sur la même période, nous assistons à l’envolée de la masse salariale et des charges d’exploitation qui progressent  de  27,2% et de 35,7% sur la période de 2015/2016 à 2018/2019.

On se rend compte que les dépenses d’achats, de services externes et autres services extérieurs dérivent fortement.

L’ensemble de ces charges-là constituent le fondement des résultats d’exploitation déficitaire et une Capacité d’autofinancement d’exploitation négative, mettant en péril la survie du modèle économique du TOP 14, en particulier par une insuffisance de capacité d’investissement.

Avec une perte d’exploitation de – 43 065 K€, qui représente 12,25% des produits d’exploitation, avec une dégradation multipliée par 3, il n’est pas concevable d’imaginer la continuité d’un tel modèle sans changements radicaux. Les conséquences de ces résultats économiques se traduisent par une Insuffisance de Capacité d’autofinancement d’exploitation de près de – 9% du total des revenus, ayant pour conséquence :

  • Impossibilité de faire face à des risques conjoncturels ou structurels.
  • Impossibilité d’améliorer la trésorerie d’exploitation
  • Difficulté à pourvoir aux investissements requis
  • Impossibilité de verser des dividendes aux actionnaires
  • Perte d’attractivité pour les investisseurs
  • Perte d’attractivité pour les sponsors face à des risques systémiques

De plus, et afin de permettre de limiter les résultats négatifs, nous constatons un recours à des    opérations exceptionnelles, non récurrentes qui limitent les pertes.

Alors, comment expliquer un montant de produits exceptionnels à hauteur de 15 007 K€, multiplié par 10 sur les 4 dernières saisons, passant de 11% à 35% des résultats d’exploitation ?

Une des explications les plus crédibles portent sur d’importants abandons de créances de la part d’investisseurs, qui après avoir contribué à la recapitalisation et pourvu aux besoins de trésorerie laissent à la disposition des Clubs les créances ainsi créées.

8-    PARTIES PRENANTES EXTERNES AU CLUB

8.1-          Les fournisseurs et les prestataires de services

Fournisseurs, équipementiers, agences de sécurité, prestataires de services (médias, marketing et numériques) des Clubs de Rugby supportent à leurs risques, l’arrêt des compétitions et les difficultés du secteur. Par manque de prévisibilité et d’anticipation, des PME aux TPE pour la plupart, risquent de disparaître du paysage sportif et de mettre de nombreux emplois en péril – voire perdus dans un écosystème en danger.

L’arrêt définitif de la saison assombrit l’avenir de ces fournisseurs, dont la survie est souvent liée à celle des Clubs. Ceux-ci sont les moteurs de l’économie régionale. Plus de 5 000 emplois directs ou indirects sont concernés par les activités dans le secteur du Rugby professionnel.

Mais au-delà des conséquences sur cet écosystème, je tiens à rappeler que ce secteur d’activité sportif fait aussi et principalement appel à de nombreux vacataires, bénévoles, auto-entrepreneurs et micro-sociétés pour des rémunérations qui sont, soit des compléments de revenus réguliers pour les acteurs concernés, soit du chiffre d’affaires en moins. Cela débouche sur une perte importante des rémunérations mensuelles des salariés pouvant aller jusqu’à la suppression des emplois.

La situation économique des Clubs que nous avons vue jusque-là, augure de décisions opérationnelles à prendre : de l’abandon de projets, en passant par des réductions budgétaires afin de limiter les dépenses et les engagements. S’y agrège aussi le flou relatif au monde amateur qui est un gros pourvoyeur de projets d’installations sportives, engagés par les collectivités territoriales avec les prestations de services associés.

Lorsque l’on prend en compte les répercussions sur la totalité de la chaîne de production liée aux activités sportives, se profile derrière la crise économique, une crise sociale qui impactera en priorité les salariés précaires, les auto-entrepreneurs à activité aléatoire, les TPE et les PME dépendantes du secteur.

Indépendamment des contrecoups dues à la pandémie, je tiens à préciser certains aspects qui représentent des comportements irrationnels, pour ne pas dire de prédation de la part des Clubs, fragilisant tout l’écosystème des fournisseurs et des prestataires de services dans ce secteur d’activité.

Par des pratiques datant du siècle passé, l’analyse du montant des dettes auprès de l’ensemble des fournisseurs me laisse interdit. Le montant de la totalité des dettes est à hauteur de 94 790 K€ : ce qui représente en moyenne près de 4 mois de crédit auprès des fournisseurs et des organismes sociaux.

À partir de cette observation, je peux en déduire que les Clubs se « font » de la trésorerie sur le « dos » des fournisseurs, des prestataires et des organismes sociaux, rendant  à nouveau friables ces secteurs d’activités.

8.2- Les institutions locales et régionales

Les collectivités locales et régionales aident les Clubs en investissant dans des équipements sportifs, en achetant des prestations de services et en subventionnant une partie de la formation, cruciale, pour l’ensemble des Clubs.

Pour l’ensemble du TOP 14, le montant total des subventions atteint 7 747 K€, soit le même montant que pour la saison 2015/2016 et représente près de 500 K€ par Club du TOP 14.

8.3-          Les citoyens locaux et régionaux 

Que retirent finalement les citoyens locaux et régionaux de cette chaîne de valeur intégrée ?

Sans surprise, lors des grands évènements sportifs, les tarifs de la plupart des hôtelleries, restaurations, transports, services de prestations, tous s’envolent au rythme des annonces. La loi de l’offre et de la demande est impitoyable, surtout pour les consommateurs, mais généreuse pour d’autres.

Scrutons ces tarifs finement.

Dans l’univers du stade, bière, sandwiches et autres denrées à des tarifs prohibitifs au vue de la qualité des produits.

5 euros pour un hamburger. 4 euros pour un hotdog, pour un sandwich au jambon ou un sandwich au poulet. Le sandwich provençal sera à 5 euros. La barquette de frites est à 2 euros.

Pour les « menus », une bière Heineken de 50 cl, des mini-saucissons et des chips sont vendus à 8 euros. Le menu hotdog avec frites et une boisson est pour sa part à 10 euros.

Pour les boissons, la bière sans alcool est à 4 euros, la Heineken à 5 euros. Les sodas comme le Coca-cola sont à 3 euros.

En TOP 14, c’est 20 euros en moyenne de dépenser par supporter. Le coût moyen du panier du supporter, pour une place la moins chère, pour un adulte (un sandwich jambon-beurre et un soda) est compris entre 18 € et 30 €.

À cette somme, il faudra ajouter le coût du déplacement au stade, les transports en commun et le parking.  

Pour arriver au stade, il faudra débourser en plus les coûts des parkings, forfaits transport, compris entre 3 €  et 15 €.

Pour l’achat d’un éventuel maillot, il faudra ajouter entre 70 € et 90 €.

Voir comment, un match devient un produit de luxe !

Nous savons que ce ne sont pas les seules dépenses. Or, nous avons vu que les droits audiovisuels, en augmentation régulière, vont léser en premier les téléspectateurs. Les chaînes, pour assurer leur rentabilité, accroîtront leur tarif d’abonnement. De fait, le citoyen deviendra la « vache à lait » des diffuseurs. L’explosion des droits génère des effets pervers pour les chaînes et pour les consommateurs, mouvements qui modifient le modèle économique. En effet, l’inflation du montant des dépenses audiovisuelles engagées astreint les canaux de diffusion payants à revoir à la hausse leurs tarifs pour tenter de rentabiliser leurs investissements. L’arrivée de nouveaux acteurs a contraint les téléspectateurs à multiplier les abonnements, grevant le budget des familles.

Dans le domaine d’une bulle spéculative des droits sportifs, le consommateur payeur, devient l’idiot de la chaîne de valeur intégrée, poussant celui-ci vers des alternatives légales ou illégales de manière à de contourner cette injonction médiatique.

9-    SYNTHÈSE

Au terme de mon diagnostic de la chaîne de valeur intégrée au sport, appliqué au Rugby professionnel français, je propose une approche synthétique de ma démarche d’analyse.

En partant des hypothèses émises qui sont les suivantes, je rappelle :

La forme de gouvernance partenariale déployée entre les différentes institutions fait référence à des rapports de force et à des influences croisées. Poussés par la prédominance des enjeux individuels et particuliers, des flux financiers illégaux de l’industrie du sport prolifèrent, liés au dopage, aux paris sportifs opaques et à des conflits d’intérêts en faveur d’une des parties prenantes.

Ce qui se passe à l’intérieur des Clubs me semble plus important que les modifications de son environnement. On relativise ainsi l’importance des jeux concurrentiels pour faire prévaloir ses propres enjeux. Les progrès technologiques favorisent la fragmentation des processus de production des spectacles sportifs. La difficulté des contraintes de coût accroît le recours à des salariés internes et externes peu qualifiés et faiblement rémunérés.

Le développement des technologies a approfondi le fossé entre la valeur ajoutée pour les tâches de recherche, d’innovation, de conception, de préproduction (comme le marketing, la commercialisation et la médiatisation) et de post-production (comme les analyses statistiques, la gestion des data, les retours d’expériences des supporters et des sponsors) d’un côté ; et celles de la réalisation d’un spectacle sportif de l’autre. La valeur ajoutée se localise dans les tâches situées en amont et en aval de la production.

Les plates-formes numériques des Clubs pilotent les chaînes de valeur, apporte une autre illustration de la répartition de la valeur créée. 

La production du spectacle sportif est assurée par différents employés qui travaillent dans le Club ou autour de celui-ci. La production devient un acte banal, peu qualifié, peu rémunéré, qui consiste à mettre en œuvre les injonctions des managers. 

Le produit spectacle est rendu attractif par les équipes de développement, les animateurs des réseaux sociaux, les Stadium Managers, les Sponsoring Managers, les Digital Marketing Managers, les Community Managers, les responsables du Trade Marketing, les agents de joueur, les Data Analysts, les professionnels des médias, de la communication et de logiciels associés.

Autrement dit, les Clubs créent et capturent de la valeur en assurant la coordination de l’ensemble des acteurs situés en « pré » ou « post » production, comme les développeurs d’applications, les fournisseurs de technologies numériques, mais également les supporters et les fans répartis dans l’environnement Rugbystique. Dans la mesure où la valeur des services proposés augmente avec le nombre de ses fans et supporters, la création collective de valeur crée des effets de maillage. Les supporters et les fans deviennent des acteurs de la production. Ils sont incorporés dans les Clubs, en créant des effets de réputation fondée sur la qualité des prestations de services. L’extension des réseaux sociaux est un facteur notable de croissance. Le rythme de croissance d’un environnement numérique est la source déterminante de sa valeur. (Loi empirique de Metcalfe : « L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. »).

En diffusant rapidement de nouvelles perspectives et offres de prestations à travers l’organisation des Clubs, y compris hors des frontières, les plateformes digitales des Clubs redoublent leur pouvoir sur leur environnement, sur la croissance de leurs  réseaux par rapport aux autres Clubs et aux autres activités sportives. Elles s’approprient ainsi la valeur ainsi créée, activant une dynamique du type « winner-takes-all » et atteignent des positions de référence.

La numérisation confère aux actifs immatériels un rôle prépondérant dans la répartition des revenus au sein des chaînes de valeur dans les Clubs de Rugby. Ces actifs englobent la recherche et le développement, la conception, les innovations numériques, les logiciels, les études de marché, les bases de données, les brevets et les applications qui imprègnent l’ensemble de la réalisation des spectacles sportifs.

En cherchant à identifier les gagnants et les perdants, j’observe qu’un premier clivage se forme entre les Clubs. Sont gagnants ceux qui ont un passé sportif au plus haut niveau, acquis des installations les plus modernes, disposent des plus gros budgets, avec une vision plus globale et sont leaders sur les applications numériques. Tandis que sont désignés comme perdants les Clubs au passé plus modeste, plus récent, disposant de petit ou budget moyen, insérés plus localement ou régionalement et incapables d’accéder aux actifs numériques les plus innovants. Face à l’incapacité de déposer des brevets ou de pouvoir acheter les solutions les plus performantes, ces Clubs-là s’exposent à leur lent déclin, face à la privatisation des actifs immatériels par d’autres clubs plus puissants et hégémoniques.

Autour des individus détenteurs d’actifs – comme les joueurs professionnels et les membres des staffs techniques (hautement rémunérés et mobiles, ayant accumulé des expériences sportives de haut niveau et disposant de pouvoir de négociation démesuré), on rencontre des salariés peu ou faiblement qualifiés, peu rémunérés, peu formés, peu mobiles et sans pouvoir de négociation.

Les outils numériques ont accru l’offre de travail, abaissé les barrières à l’entrée sur le marché de l’emploi pour des groupes (qui en étaient auparavant exclus) pour des tâches à faible contenu et avec peu de possibilités d’apprentissage.

Une opposition se dessine donc entre la base productrice, constituée de la réalisation de spectacles sportifs soutenus par du capital pratique (associé à du travail faiblement qualifié) et les décideurs de l’incorporel, centrés sur les applications, les prestations innovantes de services, la transformation des enjeux économiques et des qualifications professionnelles.

En se plaçant en chômage partiel, les Clubs seront exonérés de cotisations sociales patronales. Un bol d’air pour leurs finances.

Privés de recettes depuis la suspension du championnat de France, les Clubs de Rugby cherchent des solutions pour limiter la casse. Plusieurs ont déjà fait usage du dispositif mis en place par le gouvernement qui élargit le principe du chômage partiel à tous les secteurs d’activité agrémentés d’une allocation plus généreuse.

Concrètement, les Clubs cesseront de payer les salaires de leurs employés – dont les joueurs – et leurs verseront à la place une indemnisation chômage à hauteur de 70% de leur rémunération brute, soit environ à 84% du salaire net horaire. Cette indemnité ne peut pas être inférieure à 8,03 € par heure chômée. L’indemnité est versée par l’employeur à la date habituelle de versement du salaire et partiellement remboursée par l’État, dans la limite de 4.850 € par salarié ou 4,5 fois le SMIC.

Les indemnités d’activité partielle versées par l’employeur à ses salariés ne sont assujetties ni au versement forfaitaire sur les salaires, ni aux cotisations salariales et patronales de Sécurité sociale. Elles devraient permettre de réaliser des économies significatives à plusieurs Clubs du TOP 14 pendant l’arrêt du championnat.

En autorisant les Clubs à l’accès à ce chômage et au maintien du salaire de l’ensemble des salariés, les employeurs vont récupérer, en moyenne, entre 15 et 25% de la masse salariale.  

On peut déduire que le modèle économique du Rugby fonctionne selon des pratiques des multinationales, une partie des salaires et des déficits des Clubs à la charge de la collectivité et des citoyens, et les bénéfices, capturés par les bénéficiaires de la chaîne de valeur intégrée, sont exonérés d’impôts par les largesses des institutions et par leurs agissements délictueux. Utiliser de l’argent public pour financer une partie des salaires des joueurs de Rugby, en sachant qu’il y en a tant de besoin dans beaucoup d’autres domaines plus importants (notamment l’éducation, et la santé au premier plan) semble pour le moins incongru à tout individu sain d’esprit.

Tout cela est sans compter l’impact sur le futur immédiat, lorsque le chômage partiel ne sera plus possible.

Mon analyse a surtout recherché à faire ressortir le choix d’un modèle économique basé sur des enjeux financiers à caractère spéculatif, puis inflationniste. Il est la source de facteurs accumulés de risques absolus, systémiques et socio-politiques.

Dans l’optique de consolider mon raisonnement, j’ai d’abord utilisé quelques ratios issus des Rapports de la DNACG sur les comptes des Clubs 2018/2019. Puis j’ai réalisé quelques ajustements pour en déterminer une mesure du risque selon le modèle d’exploitation.

Le premier ratio retenu : la couverture des salaires ou la mesure de la productivité des salariés

Ce ratio nous donne à voir quelle part du Total des produits est distribuée à l’ensemble des salariés.

Soit : Masse salariale chargée/ Total des produits récurrents.

À partir de ce ratio, je propose de déterminer un seuil maximum de la masse salariale totale par rapport au total des produits, soit 45%. Ce seuil me semble raisonnable afin d’assurer la pérennité des Clubs du TOP 14 et devrait être considéré comme une contrainte à ne pas dépasser.

Sur la période de 2015/2016 à 2018/2019, l’ensemble des Clubs du TOP 14 a une masse salariale qui varie entre 66% et 79% du total des produits, bien au-delà des 45% préconisé.  

Pour être plus significatif, je propose de comparer la part des salaires au Total de la Valeur ajoutée produite par l’ensemble des Clubs.

Soit : Masse salariale chargée/ Total de la valeur ajoutée.

Selon ces deux ratios les plus critiques pour les Clubs, je constate que l’ensemble des salaires chargés représentent près de 70% du total des recettes, et de manière plus expressive, pèsent 107 % du total de la valeur ajoutée produite.

Ces deux ratios nous permettent de comprendre la totale dépendance des Clubs à la masse salariale à reverser.

On peut aussi observer que la part des salaires pour l’ensemble du pôle sportif représente 91% du total des salaires et capture 97% de la valeur ajoutée produite. Cela nous laisse imaginer la redistribution de ceux-ci auprès des salariés du pôle administratif et de facto nous explique la faible importance et la non moins faible reconnaissance des dirigeants accordée à ces personnels-là.

Le deuxième ratio retenu nous permet de porter un éclairage singulier sur le fonctionnement des Clubs face à leur manque de trésorerie : le ratio de la couverture des salaires est particulièrement édifiant à cet effet.

Soit : Masse salariale chargée/Trésorerie disponible.

Comme on peut le constater, la trésorerie d’exploitation disponible représente 0,29 mois, soit un peu plus d’1 semaine de la masse salariale mensuelle, y compris les charges. Ce ratio monte à 1,21 mois de trésorerie active, donc en incluant les concours bancaires à court terme.

J’ai démontré plus avant que les Clubs pratiquent une forme de crédit court terme, non négocié, mais plutôt imposé auprès de l’ensemble de leurs fournisseurs, des prestataires de services et des organismes sociaux.

Il est à noter une très forte baisse de ce ratio entre les saisons 2018 et 2019 qui passe de 3,5 mois à 1,21 Mois, soit une perte de trésorerie active de – 43 087 K€, avec pour principale origine, une perte de – 32 667 K€ de trésorerie d’exploitation.

La fragilité d’exploitation est évidente : elle met en relief la dépendance auprès des tiers.

Là aussi, je propose un indicateur-seuil à atteindre afin de garantir la sécurité des paiements des salaires et des charges, tout en assurant des règlements auprès des tiers dans des délais raisonnables. Ce seuil-là me semble devoir être à hauteur de 6 mois de couverture des salaires et charges par la trésorerie. Pour l’ensemble des Clubs du TOP 14, il manque de 4,8 mois de trésorerie, soit l’équivalent de 100 000 K€.

Un troisième ratio explique la situation financière à grand risque de l’ensemble des Clubs : la couverture de la totalité des dettes à court et long terme, y compris les comptes courants d’associés que ne sont que des dettes contractées auprès des actionnaires, comparées aux totaux des fonds propres.

Soit : Couverture du total des dettes LT+CT/ Total des capitaux propres

Ce résultat s’interprète comme l’ensemble des dettes qui représente plus de 3 fois les capitaux propres.

Un ratio objectif de 2 devrait être pris en considération afin de ne pas mettre les Clubs dans une situation de forte dépendance.

Une autre information relative à la dépendance des Clubs vis-à-vis de leurs actionnaires et de leurs investisseurs peut être mise en avant. Le rapport entre le total des dettes à long terme et les capitaux permanents sert normalement à financer l’ensemble des opérations d’investissement – opérations aussi de long terme. Ce qui m’importe, est de connaître la façon dont sont constitués les capitaux permanents.

On constate une dépendance relative aux prêteurs et aux investisseurs qui apportent 42% des capitaux permanents destinés aux financements. Il est nécessaire de mettre en regard de ce chiffre, le montant des recapitalisations qui permettent de faire baisser ce taux-là, par des opérations rendues obligatoires pour assurer la survie des Clubs.

Je ne ferai aucun commentaire sur les différents ratios de rentabilité puisque, avec des résultats négatifs, toute ambition de mesurer une quelconque performance économique est inutile.

Cependant, il existe un calcul de ratio instructif quant à sa pertinence et sa capacité à mesurer les dimensions de risques d’une organisation. Pour cela, on fait appel à un indicateur, le seul indicateur en « mode management » précurseur de risque, autrement dit ce qui nous permet d’apprécier la sensibilité ou l’élasticité de nos résultats économiques à la variabilité de notre activité.

Il s’agit du : Levier d’exploitation, issu du calcul du Compte de résultat différentiel.

Pour sa détermination précise, j’ai eu besoin de définir quelques hypothèses d’analyse des comptes présentés par la DNACG. Pour cela, il faut identifier les charges variables des charges fixes, en établir la répartition, qui nous amènera au calcul de la Marge sur Coûts variables et nous conduira au levier d’exploitation.

J’ai considéré que l’ensemble des salaires avait une part fixe de 75% et une part variable de 25%, ce qui est loin d’être le cas selon les données de la DNACG, mais j’ai incorporé l’application des règles du chômage partiel, financé par l‘Etat. Pour l’ensemble des charges, j’ai pris en compte 20% de charges variables, celles requise pour l’organisation des matches et 80% de charges fixes.

Je précise que, même si mes hypothèses de répartition charges fixes contre charges variables sont inexactes, cela ne produirait que peu d’effet sur mes résultats obtenus.

Cela m’amène donc à déterminer le seuil de rentabilité. Comme on peut le constater, le seuil de rentabilité des Clubs du TOP 14 atteint 408 566 K€, soit 116% d’activité qui représentent 418 Jours, soit près de 14 mois requis. Pour le moment, une année est faite de 12 mois : peut-être faudra-t-il passer à 14, pour la seule activité Rugby !

On peut aussi apprécier la dégradation régulière de ce seuil de rentabilité qui atteint 127% par rapport à la saison 2015/2016.

On constate une marge de sécurité négative bien entendu à hauteur de – 16% avec une insuffisance d’activité de – 56 893 K€.

Enfin un Levier d’exploitation de – 6 qui nous indique un niveau de risque si l’on perdure selon ce modèle économique. D’ailleurs, dans cette situation, la perte de 1% de tous nos produits, amputerait l’ensemble des résultats des Clubs de 6 % de résultat ! 

Si nous estimons que pour la saison 2019/2020, la dégradation d’activité sera de l’ordre comprise entre 20% (Hypothèse 2) et 25% (Hypothèse 1), nous pouvons considérer une perte d’exploitation globale pour l’ensemble des Clubs du TOP 14 comprise entre – 53 241 K€ et 66 551 K€.  

Au terme de ma synthèse, je propose sous forme de schéma, un processus d’analyse des risques que j’ai utilisé pour démontrer que mes hypothèses de départ correspondaient bien un état des lieux du Rugby professionnel. Ce faisant, je montre que celui-ci porte en lui tous les fondements d’un modèle à très hauts risques, loin de toute réalité économique responsable, sociétale et durable.

J’ai aussi conçu pour cet exercice un modèle de scénario d’apparition des risques inhérents au secteur du Rugby professionnel qui met en évidence l’ensemble des facteurs de risques, depuis leurs origines jusqu’aux conséquences touchant l’ensemble des parties prenantes.

10- CONCLUSION

Pour offrir aux différents clients, spectateurs, supporters, sponsors et diffuseurs une expérience évènementielle homogène et convaincante, la chaîne de valeur intégrée des Clubs doit fonctionner comme une seule et même entité. L’intégration de toutes les parties prenantes dans les processus des divers métiers jouera un rôle essentiel dans la maximisation de revenus et se retrouve au cœur de la chaîne de valeur intégrée.

La situation d’incertitude consubstantielle au résultat sportif, constitue le fondement du secteur sportif, sa réalité, ses aléas, son imprévisibilité, son indétermination et son mystère. Mais il compose aussi la ferveur, la passion, les émotions qui exaltent l’intérêt du sport spectacle.

Aujourd’hui, bien que corrélés avec les budgets et le potentiel économique régional, les résultats économiques, sportifs et le classement du championnat doivent intégrer de multiples dimensions, auxquelles toutes les parties prenantes doivent contribuer. Si le plaisir d’un supporter dépend de la qualité technique d’un match et du suspense quant au résultat, il est de notre capacité à explorer d’autres horizons afin de restaurer un spectacle sportif plus ambitieux, plus large et plus attractif.

S’il est essentiel de recréer des situations d’incertitude tout au long de compétitions attirantes pour les spectateurs et téléspectateurs, il est aussi de notre responsabilité de limiter les risques substantiellement liés aux aléas sportifs – et à leurs conséquences. L’obligation ces Clubs doit être d’intégrer les imprévus, les aléas sportifs et les incertitudes dans leurs modèles économiques, et en même temps, de ne pas participer à l’inflation des investissements et sur la spéculation salariale des joueurs. Cette dernière participe à l’ajout de risques, aux risques sportifs déjà identifiés. Il ne s’agit pas d’imiter les concurrents sportifs, mais de concevoir des scénarios, des alternatives et d’en évaluer les enjeux à long terme.

Ainsi l’état du Rugby professionnel renvoie au système économique capitaliste qui s’est affirmé depuis quelques deux siècles. C’est la façon dont a été favorisé le développement du système de production de spectacle sportif qui a autorisé des comportements de prédation au nom du profit, niant au passage toutes les parties prenantes qui sont la cause de cette dégradation. Et c’est cela s’apparente à la notion de « capitalocène », proposé par Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital » (*2), qui vient compléter et préciser la notion d’anthropocène.

Dans les circonstances actuelles, l’examen de la transition économique et sociale s’impose avec une urgence plus grande encore. Désormais, nous sommes invités à un risque de collision entre les engagements de court terme et les orientations à long terme. Des choix urgents, de « court terme », devront être mis en œuvre pour lutter contre l’effondrement de l’économie du sport Rugby professionnel. Pourtant relancer le même modèle économique aux conditions identiques est plus que jamais un non-sens. Bien plus que « relancer » l’économie Rugbystique, il faut la transformer et la reconstruire. Ou pour le dire plus justement : les réorientations qui seront engagées constitueront les conditions de la transformation et de la reconstruction. Cela implique une conversion radicale, une sorte de désapprentissage des décisions politiques et économiques pour imaginer toutes les alternatives possibles.

Dans l’immédiat, le redémarrage de la production du spectacle Rugby nous assigne à la survie de tous les acteurs de la chaîne de valeur, à la protection des salariés, des travailleurs individuels, des indépendants, des auto-entrepreneurs, des micro-entreprises, des TPE et des PME.  Ils ont tous de fortes dépendances coagulées à l’activité Rugby. Ils sont tous en situation de précarité, notamment tous ceux qui ne bénéficient pas d’une protection ou de protections très faibles. La recherche de l’unanimité sur l’ensemble de ces dimensions sociales instaurera les conditions du changement du modèle économique et des projets sportifs.

Pour ma part, les changements politiques des Clubs n’ont de sens que s’ils incluent déjà des perspectives de long terme et engagent les réorientations indispensables à l’écosystème du Rugby. Selon moi, il nous faut commencer à repenser les politiques et les orientations économiques des institutions et des Clubs, les organiser et les partager différemment, autour de pôles d’activités essentiels pour tous les acteurs de la chaîne de la valeur, comme : se divertir, participer à des spectacles sportifs, rechercher du sens à nos loisirs, se déplacer sobrement, se nourrir sainement, préserver l’environnement et le climat, rencontrer les acteurs sportifs, partager leurs passions, faire partie d’un groupe social référent, promouvoir  une identité singulière, être acteur des projets et consommer en citoyen responsable.

Pourquoi penser en pôles d’activités ? D’abord parce la notion de secteurs économiques est le résultat de simples conventions, oubliant l’essentiel. C’est-à-dire ce qu’il nous faut préserver, développer, transformer, participer. Ces regroupements autour de grands pôles permet de repenser les prestations de services, de redéfinir leurs limites, de définir et d’inclure l’ensemble des activités à proposer au marché, toutes ces activités répondant aux attentes des citoyens.

En pensant en termes de grands pôles d’activités essentiels, on redonne du sens à l’action politique, sportive et sociale comme à l’activité économique en général. Aspect fondamental : il faut en finir avec l’idée que toute activité économique, quelle qu’elle soit, « crée seulement de la valeur financière » (*3). Il faut en revenir au substrat principal, à ce qui doit être au centre nucléaire des politiques sportives des instances et des Clubs, à l’intérieur des pôles : c’est la recherche du bien commun, du bien à partager.

Penser par grands pôles d’animations où se retrouvent des activités qui relèvent de toutes les parties prenantes publiques ou privées, d’entités propres et singulières (comme les coopératives, les associations et les entreprises à but non lucratif), permet aussi de promouvoir et de gérer la transition économique, sociale et environnementale dans de nouvelles conditions améliorées. S’engager dans cette transition implique qu’une partie des activités jugées socialement et écologiquement bénéfiques vont augmenter, tandis que  d’autres seront appelées à diminuer. En les associant dans des mêmes pôles, on se donne des marges de manœuvre par des effets de compensation.

Dans le même temps, pour élaborer des choix politiques et économiques, on ne peut plus s’en tenir aux anciennes bases et aux compromis qui fondaient la création de richesse des organisations par la mesure de la seule production financière et de la valeur ajoutée.

Après cette période d’instabilité et de fortes turbulences, ces notions purement économiques ont perdu leur efficience, eu égard aux fourvoiements dans lesquels leur adoption infiltre les instances et l’ensemble des Clubs. Prenez les salaires des sportifs : dans la comptabilité des Clubs, ils dérivent beaucoup plus vite que la valeur ajoutée produite et capturent la totalité de celle-ci. Les droits audiovisuels inflationnistes, poussés par la concurrence, destructeurs ou appauvrissant les diffuseurs, densifie la valeur ajoutée. Nous voyons bien que nous ne pouvons plus seulement raisonner à partir de ces notions-là comme objectifs.  Cette manière de penser nous conduit à l’anéantissement, pire encore, elle peut être mortifère pour la plupart des Clubs. Il nous faut inventer d’autres manières de concevoir et de mesurer en internalisant les externalités, en intégrant toutes les activités dégagées par les parties prenantes intégrées, positives comme négatives, oubliées par les méthodes existantes.

Quand les Clubs utilisent plusieurs dizaines de tarifs pour fixer le paiement des places de spectateurs, au lieu de faire en sorte que chacun paye le maximum de ce qu’il peut payer, sommes-nous encore dans un projet responsable, sociétal et durable ?

Avec l’évolution que connaissent tous les contributeurs aux recettes des Clubs, tout a été fait pour nous éloigner de la perception du bien commun. Précisément : l’association du bien commun et des prestations de services proposées se sont largement dissoutes.

  • Remettre une gouvernance citoyenne au sein des institutions et des Clubs.
  • Repenser leurs projets sportifs et économiques, pour renflammer leur vocation à être au service de tous, au service de tous les acteurs de la chaîne de valeur intégrée, des plus importants aux plus démunis.
  • Redonner une voix aux citoyens, afin qu’ils soient associés à la gestion et à la conduite des ambitions des organisations du sport.

Le vrai public, les supporters, les fans, les citoyens n’auraient jamais autorisé les dérives liées aux pratiques salariales, aux investissements surdimensionnés, négligeant tous les risques inhérents à ces choix décisionnels pris par les Clubs. S’ils ont voix en assemblée, le large et vrai public – les citoyens -, ne laisseront plus jamais produire ces détournements. On ne  peut plus longtemps laisser les citoyens en dehors de la conduite des organisations du sport qui sont aussi nos biens communs. Les citoyens doivent retrouver toute leur place dans ces modalités de gouvernance, et en symbiose avec tous les acteurs qui produisent et délivrent les spectacles sportifs. Ils sauront peser et infléchir les choix décisionnels, tant sur les projets sportifs, que économiques et sociaux et faire en sorte que l’accès à ces évènements soit universel, aussi bien pour les plus précaires d’entre eux – universalité au cœur de toute politique des biens communs.

Je pense beaucoup à des formules ouvertes telles que les assemblées citoyennes, les organisations associatives, les regroupements de supporters et de fans, les collectifs sportifs, à toutes ces formes bienveillantes de gouvernance accessibles à tous, dans lesquelles les citoyens peuvent participer aux délibérations, se réapproprier le pouvoir et la décision. À nous de soutenir toutes les formes nouvelles, émergentes, de cette nouvelle citoyenneté, et de favoriser leur extension et développement.

Et puisque, en tant que citoyens, nous sommes les principaux acheteurs des produits et des prestations de services proposées, nous ne sommes pas dépourvus de moyens pour limiter l’influence des grands prédateurs nationaux et internationaux sur leurs marchés, en réduisant ou en cessant d’accompagner leur comportement destructeur.

Malheureusement, je redoute que l’on oublie vite les leçons de cette pandémie ; et que comme sur le climat, on fasse bientôt bien plus de « pandémie-washing », que de mise en pratique de mesures effectives et efficaces, adossées à des projets responsables, sociétaux et durables. Cependant, mon espoir provient du fait, qu’il est clair que ce cycle financier libéral est clos. Il s’achève sur une triple catastrophe : sportive, économique et sociale. Jamais les inégalités de répartition de la valeur créée n’ont été poussées à un niveau si insupportable.

Les difficultés ne résident pas tant dans le rejet du modèle actuel que dans le fait de rendre crédibles les alternatives possibles. Rendre crédible ce que l’on peut faire autrement, que d’autres options existent, est à portée de main. Alors beaucoup de doutes seront levés et les conversions deviendront possibles. Nous devons les formuler, les penser et les proposer pour imaginer une utopie concrète que nous pourrons voir se matérialiser. C’est dans cet esprit que j’ai décidé de mener cette déconstruction de la chaîne de valeur du Rugby professionnel à laquelle j’ai consacré un engagement personnel singulier. Après ces années 2000-2020, après cette pandémie, il est temps d’imaginer et d’inscrire une perspective crédible, pour montrer au plus grand nombre des supporters, des fans, des spectateurs et des citoyens que l’on peut, que l’on doit, redéfinir et réécrire nos rôles dans la société. Je sais que cela prendra du temps.

Tout le travail sur la « société des communs » – les biens communs – se répand et devient force de transformation. Je suis, à chaque jour, plus convaincu, que les communs et le retour aux biens communs participeront à conjurer les malédictions. En nous attachant à la résolution des maux que nous connaissons, en donnant forme aux alternatives évoquées, en assurant leur extension et leur développement, le monde Rugbystique d’après est là, à portée de main. Il dépend de nous d’en accélérer la venue.

Cela nous amènera à transformer nos modes d’organisation, de structures pyramidales, selon lesquelles les décisions s’imposent, sous forme d’injonction, du haut vers le bas (top-down) des parties prenantes. Je propose d’inverser cette pyramide décisionnelle dans laquelle les orientations seraient partagées par l’ensemble des acteurs des Clubs, et appliquées selon une démarche du bas vers le haut (bottom-up). Les Clubs deviennent les moteurs de ce fonctionnement selon leur vision et leurs missions. Celles-ci sont déployées sur l’ensemble des activités identifiées, les institutions jouant le rôle de facilitateur, d’ambassadeur, de coordinateur et de ressource au service des projets singuliers de chaque Club.

Selon ce modèle économique, l’objectif est de concevoir une nouvelle organisation, dont la finalité, portée par une vision partagée par toutes les parties prenantes, concourra à la chaîne de valeur intégrée avec tous les acteurs, à la réduction de tous les risques identifiés. Cette construction est établie sur la confiance en l’avenir, pour tous les dirigeants, pour tous les salariés et pour toutes les parties prenantes, associées aux Clubs. Mais l’ensemble des Clubs doivent déconstruire leur propre modèle économique, afin d’en imaginer un autre, fondé sur des recettes et des ressources plus stables, plus récurrentes et plus larges, dont l’objectif sera de réduire le degré d’incertitude afin d’abaisser les risques inhérents aux activités sportives.

Mais pour compléter cette approche, j’ajoute qu’il faudra intégrer une autre dimension, celle de la valeur sociale créée. Pour cela, il faudra bien isoler les mécanismes créateurs de valeur économique des mécanismes créateurs de valeur sociale. Nous devons considérer que créer de la valeur sociale revient à ne pas capturer une valeur économique ou une utilité créée.

En d’autres termes, la création de services bénéfiques, reconnus comme valorisables et propices par un Club, consiste à faire des propositions de valeur aux sportifs, aux salariés, aux supporters, aux sponsors, aux diffuseurs et aux citoyens – in fine à toutes les parties prenantes, sans chercher à maximiser la capture de la valeur créée. C’est ce que nous devrons imaginer. Tout sera différent lorsqu’un Club acceptera de rémunérer équitablement l’ensemble des parties prenantes, mettra son pouvoir de négociation au service d’un projet responsable, sociétal et durable. Ou lorsqu’il interdira à une ou autre des parties prenantes de capturer la plus grande part de la valeur créée par l’activité sportive.

Reconnaissant l’existence d’un projet partagé, une telle démonstration permettra de ne pas opposer valeur sociale et valeur économique. Il ne s’agit pas d’opposer la création de valeur sociale et la recherche du profit, mais de considérer que la performance sociale est la condition de la performance sportive et économique. Nous devons démontrer que la création de valeur peut être appréhendée avec les approches de production, de capture et de partage de la richesse créée et que la performance économique et performance sociale est subsidiaire.

Le reflux actuel de la raison critique, ne signifie pas que la raison critique ait fait défaut, mais plutôt selon l’expression de Robert Castel que « la pratique critique » a fait défaut.

Un choix libre ne peut jamais être absolu, car « le fait de pouvoir élire librement des maîtres ne supprime ni les maîtres ni les esclaves » – dixit Herbert Marcuse dans « L’homme Unidimensionnel ».

Choisir librement parmi une grande variété de services sportifs, ce n’est pas être libre, si pour cela les femmes et les hommes sont soumis à un asservissement médiatisé, accablés par une vie faite de complexité et d’angoisse, aliénés par les « faux besoins ».

Si les individus renouvellent spontanément des besoins imposés sous forme d’abonnement ou autres, cela ne veut pas dire qu’ils sont autonomes ; cela prouve seulement que les injonctions accomplissent leurs finalités et témoignent de leurs efficacités.

Mais cela est une stratégie politico-économique d’aliénation et d’engrangement de profits immédiats. Cela ne justifie pas de détruire un sport centenaire, un jeu de villages, dont les valeurs sont à l’opposé des visées égoïstes.

Je veux inviter les passionnés de ce sport à penser de nouveau ce jeu de copains, qui, ni grands, ni gros, ni lourds, se sont fait des passes, se sont évités, se sont plaqués, se sont affrontés à la course, et ont finalement terminé par l’inévitable 3 -ème mi-temps.

Il est important de rappeler cette vérité de Marcuse : « Penser, c’est nier ».

Et je veux nier ici que le Rugby soit forcé de subir cette aliénation au pouvoir des instances purement économiques et médiatiques.

Sources

(*1) https://www.linkedin.com/in/guy-bulit-a03520140/https://www.linkedin.com/company/iasg-immersive-active-sports-games/https://www.linkedin.com/company/sport-management-pedagogie/

(*2) Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital ». (Éd. La Fabrique, mars 2017).

(*3) Débats pour le renouvellement de la théorie critique, sous la direction d’Éric Martin et Maxime Ouellet « La tyrannie de la valeur ». (Ed. Collection Théorie – Librairie Decitre, 2014)

Table des matières

CONTROVERSE.. 1

DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT RUGBY

1-     RÉFLEXIONS SUR L’ÉTAT DU RUGBY FRANÇAIS: NÉANT

1.1-      Un état des lieux à faire

1.2-      Une des causes principales : les statistiques médiatiques

1.3-      À quoi assistons-nous : que ce soit durant les weekends de TOP 14 ou pendant les matches internationaux de l’Équipe de France ?

1.4-      Et quelles propositions ?

2-     AVANT PROPOS

3-     INTRODUCTION

3.1-      Performance sportive contre performance sociétale

3.2-      Une gouvernance partenariale

3.3-      Quatre Hypothèses de travail

4-     ANALYSE DE LA CHAÎNE DE VALEUR DANS LE RUGBY PROFESSIONNE

4.1-      Vision

4.2-      Projet sportif

4.3-      Management organisationnel – Marketing – Exploitation

4.4-      Les enjeux du partage de la valeur ajoutée

4.5-      Quelle valeur créée, perçue ou détruite et pour qui ?

4.6-      La création de valeur

5-     PROMOTEURS ET PRÉBANDIERS À LA FOIS

5.1-      Les institutions nationales du Rugby – FFR – LNR et DNACG

5.2-      Les institutions nationales du Rugby – FFR

6-     LES CONTRIBUTEURS À LA CRÉATION DE VALEUR

6.1-      Les supporters

6.2-      Les sponsors

6.3-      Les diffuseurs

6.4-      Les produits dérives et le merchandising

6.5-      Synthèse des produits d’exploitation

7-     PARTIES PRENANTES INTERNES AU CLUB

7.1-      Les joueurs salariés

7.2-      Les staffs techniques

7.3-      Les salariés de l’administration

7.4-      Les honoraires agents sportifs et médicaux

7.5-      L’État et les organismes sociaux

7.6-      Les actionnaires et les investisseurs

7.7-      Les Clubs

7.8-      Synthèse des résultats

8-     PARTIES PRENANTES EXTERNES AU CLUB

8.1-      Les fournisseurs et les prestataires de services

8.2-      Les institutions locales et régionales

8.3-      Les citoyens locaux et régionaux

9-     SYNTHÈSE

10-        CONCLUSION

Sources

CONTROVERSE 4 – DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL par Guy Bulit

CONTROVERSE 4 : ANALYSE DES RISQUES, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

7.    SYNTHÈSE

Au terme de mon diagnostic de la chaîne de valeur intégrée au sport, appliqué au Football professionnel français, je propose une approche synthétique de ma démarche d’analyse. 

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En partant des hypothèses émises qui sont les suivantes, je rappelle :

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La forme de gouvernance partenariale déployée entre les différentes institutions fait référence à des rapports de force et à des influences croisées. Poussés par la prédominance des enjeux individuels et particuliers, des flux financiers illégaux de l’industrie du sport prolifèrent, liés au dopage, aux paris sportifs opaques et à la corruption en faveur d’une des parties prenantes institutionnelles. D’autres dérives financières prennent aussi de l’ampleur. Plusieurs causes sont confluentes : la volonté de certains de contourner les régulations mises en place dans leur pays par des prêts fictifs, les joueurs et paiements de contrats d’image aux sportifs via des sociétés situées dans des paradis fiscaux, des abus de biens sociaux et des avantages fiscaux. Ces évolutions traduisent une dépendance accrue des clubs de Ligue 1 français vis à vis de parties prenantes institutionnelles difficilement maîtrisables.

Ce qui se passe à l’intérieur des Clubs me semble plus important que les modifications de son environnement. On relativise ainsi l’importance des jeux concurrentiels pour faire prévaloir ses propres enjeux. Les progrès technologiques favorisent la fragmentation des processus de production des spectacles sportifs. La difficulté des contraintes de coût accroît le recours à des salariés internes et externes peu qualifiés et faiblement rémunérés.

Le développement des technologies a approfondi le fossé entre la valeur ajoutée par les tâches de recherche d’innovation, de conception, de préproduction (comme le marketing, la commercialisation et la médiatisation), de post-production (comme les analyses statistiques, la gestion des data, les retours d’expériences des supporters et des sponsors, d’un côté et celles de la réalisation d’un spectacle sportif de l’autre). La valeur ajoutée se localise dans les tâches situées en amont et en aval de la production.

Les plates-formes numériques des Clubs pilotent les chaînes de valeur, apporte une autre illustration de la répartition de la valeur créée. 

La production du spectacle sportif est assurée par différents employés qui travaillent dans le Club ou autour de celui-ci. La production devient un acte banal, peu qualifié, peu rémunéré, qui consiste à mettre en œuvre les injonctions des managers. 

Le produit spectacle est rendu attractif par les équipes de développement, les animateurs des réseaux sociaux, les Stadium managers, le sponsoring manager, le digital marketing manager, les Community managers, les responsables du Trade marketing, les agents de joueur, les Data Analyst, les médias, la communication et les logiciels associés.

Autrement dit, les Clubs créent et capturent de la valeur en assurant la coordination de l’ensemble des acteurs situés en « pré » ou « post » production, comme les développeurs d’applications, les fournisseurs de technologies numériques, mais également les supporters et les fans répartis dans le monde entier. Dans la mesure où la valeur des services proposés augmente avec le nombre de ses fans et supporters, la création collective de valeur crée des effets de maillage. Les supporters et les fans deviennent des acteurs de la production. Ils sont incorporés dans les clubs, en créant des effets de réputation fondée sur la qualité des prestations de services. L’extension des réseaux est un facteur notable de croissance. Le rythme de croissance d’un environnement numérique est la source déterminante de sa valeur. (Loi empirique de Metcalfe : « L’utilité d’un réseau est proportionnelle au carré du nombre de ses utilisateurs. »).

En diffusant rapidement de nouvelles perspectives et offres de prestations à travers l’organisation des Clubs, y compris hors des frontières, les plateformes digitales des Clubs redoublent leur pouvoir sur leur environnement, sur la croissance de leurs réseaux par rapport aux autres Clubs et aux autres activités sportives. Elles s’approprient ainsi la valeur ainsi créée, activant une dynamique du type « winner-takes-all » et atteignent des positions de référence.

La numérisation confère aux actifs immatériels un rôle prépondérant dans la répartition des revenus au sein des chaînes de valeur dans les Clubs de football. Ces actifs englobent la recherche et le développement, la conception, les innovations numériques, les logiciels, les études de marché, les bases de données, les brevets et les applications qui imprègnent l’ensemble de la réalisation des spectacles sportifs.

En cherchant à identifier les gagnants et les perdants, j’observe qu’un premier clivage se forme entre les Clubs. Sont gagnants ceux qui ont un passé sportif au plus haut niveau, acquis des installations les plus modernes, disposent des plus gros budgets, avec une vision plus globale et leaders sur les applications numériques. Tandis que sont désignés comme perdants les Clubs au passé plus modeste, plus récent, disposant de petit ou budget moyen, insérés plus localement ou régionalement et incapables d’accéder aux actifs numériques les plus innovants. Face à l’incapacité de déposer des brevets ou de pouvoir acheter les solutions les plus performantes, ces Clubs-là s’exposent à leur lent déclin, face à la privatisation des actifs immatériels par les plus puissants d’entre eux.

Autour des individus détenteurs d’actifs – comme les joueurs professionnels et les membres des staffs techniques (hautement rémunérés et mobiles, ayant accumulé des expériences sportives de haut niveau et disposant de pouvoir de négociation démesuré), on rencontre des salariés peu ou faiblement qualifiés, peu rémunérés, peu formés, peu mobiles et sans pouvoir de négociation. Les outils numériques ont accru l’offre de travail, abaissé les barrières à l’entrée sur le marché de l’emploi pour des groupes (qui en étaient auparavant exclus) pour des tâches à faible contenu et avec peu de possibilités d’apprentissage.

Une opposition se dessine donc entre la base productriceconstituée de la réalisation de spectacles sportifs soutenus par du capital pratique (associé à du travail faiblement qualifié) et les décideurs de l’incorporel, centrés sur les applications, les prestations de services innovantes, la transformation des enjeux économiques et des qualifications professionnelles.

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En se plaçant en chômage partiel, les clubs seront exonérés de cotisations sociales patronales. Un bol d’air pour leurs finances.

Privés de recettes depuis la suspension du championnat de France, les clubs de football cherchent des solutions pour limiter la casse. Plusieurs ont déjà fait usage du dispositif mis en place par le gouvernement qui élargit le principe du chômage partiel à tous les secteurs d’activité agrémentés d’une allocation plus généreuse.

Concrètement, les clubs cesseront de payer les salaires de leurs employés – dont les joueurs – et leurs verseront à la place une indemnisation chômage à hauteur de 70% de leur rémunération brute, soit environ à 84 % du salaire net horaire. Cette indemnité ne peut pas être inférieure à 8,03 € par heure chômée. L’indemnité est versée par l’employeur à la date habituelle de versement du salaire et partiellement remboursées par l’État, dans la limite de 4.850 euros par salarié ou 4,5 fois le SMIC.

Les indemnités d’activité partielle versées par l’employeur à ses salariés ne sont assujetties ni au versement forfaitaire sur les salaires, ni aux cotisations salariales et patronales de Sécurité sociale. Elles devraient permettre des réaliser des économies significatives à plusieurs club de Ligue 1 pendant l’arrêt du championnat.

On peut facilement estimer le manque à gagner pour les finances publiques, à hauteur de 20 M€ par mois ajouté cout du chômage partiel pour les Clubs de Ligue 1.

En autorisant les clubs à l’accès à ce chômage et au maintien du salaire de l’ensemble des salariés, les employeurs vont récupérer, en moyenne, entre 15 et 25 % de la masse salariale. 

On peut déduire que le modèle économique du football fonctionne selon des pratiques des multinationales, une partie des salaires et des déficits des Clubs à la charge de la collectivité et des citoyens, et les bénéfices, capturés par les bénéficiaires de la chaîne de valeur intégrée, sont exonérés d’impôts par les largesses des institutions et par leurs agissements délictueux. Utiliser de l’argent public pour financer une partie des salaires des joueurs de football, en sachant qu’il y en a tant de besoin dans beaucoup d’autres domaines plus importants (notamment l’éducation, et la santé au premier plan) semble pour le moins incongru à tout individu sain d’esprit.

Tout cela est sans compter l’impact sur le futur immédiat, lorsque le chômage partiel ne sera plus possible.

Mon analyse a surtout recherché à faire ressortir le choix d’un modèle économique basé sur des enjeux financiers à caractère spéculatif, puis inflationniste. Ils sont la source de facteurs accumulés de risques absolus, systémiques et socio-politiques.

Dans l’optique de conforter mon raisonnement, j’ai d’abord utilisé quelques ratios issus des Rapports de la DCNG sur les comptes des clubs 2018/2019. Puis j’ai réalisé quelques ajustements pour en déterminer une mesure du risque selon le modèle d’exploitation.

Le premier ratio retenu porte sur la :

–      Couverture des salaires ou la mesure de la productivité des salariés

Ce ratio nous donne à voir quelle part du Total des produits est distribué à l’ensemble des salariés.

Soit : Masse salariale chargée/ Total des produits récurrents 

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Pour être plus significatif, je propose de comparer la part des salaires au Total de la Valeur ajoutée produite par l’ensemble des Clubs.

Soit : Masse salariale chargée/ Total de la valeur ajoutée

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Selon ces deux ratios les plus critiques pour les Clubs, je constate que l’ensemble des salaires chargés représentent près des ¾ du total des recettes, et de manière plus significative, pèsent 127 % du total de la valeur ajoutée produite.

Ces deux ratios nous permettent de comprendre la totale dépendance des Clubs à la masse salariale à reverser.

On peut aussi observer que la part des salaires pour l’ensemble du pôle sportif représente 85 % du total des salaires. Cela nous laisse imaginer la redistribution de ceux-ci auprès des salariés du pôle administratif et de facto nous explique la faible importance et la non moins faible reconnaissance des dirigeants accordée à ces personnels-là.

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Pour le calcul de ces deux ratios, je n’ai pris en compte que les revenus récurrents, considérant que les recettes issues des ventes de joueurs étaient trop aléatoires.

En les intégrant, on obtient une configuration similaire des salaires, qui réduit la part de ceux-ci, mais en insérant des revenus contraints.

Un autre ratio nous permet de porter un éclairage singulier sur le fonctionnement des clubs face à leur manque de trésorerie.

Le ratio de la couverture des salaires est particulièrement édifiant à cet effet.

Soit : Masse salariale chargée/Trésorerie disponible 

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Comme on peut le constater, la trésorerie disponible représente 2,46 mois de la masse salariale mensuelle, y compris les charges. Ce ratio peut sembler rassurant surtout si l’on oublie les conditions dans lesquelles cette trésorerie est obtenue.

J’ai démontré plus avant que les Clubs pratiquent une forme de crédit court terme, non négocié, mais plutôt imposé auprès de l’ensemble de leurs fournisseurs et prestataires de services.

Le total des dettes d’exploitation s’élève à hauteur de 798 M€ pour un montant total d’achats de 715 M€. La démonstration est faite : les Clubs ponctionnent, approximativement 500 M€ d’argent, en considérant un délai moyen de paiement de leurs dettes de 3 mois.

La fragilité d’exploitation est évidente : elle met en relief la dépendance auprès des tiers.

Un autre ratio explique la situation financière à grand risque de l’ensemble des Clubs.

C’est celui de la couverture de la totalité des dettes à court et long terme, y compris les comptes courants d’associés que ne sont que des dettes auprès des actionnaires, comparées aux totaux des fond propres.

Soit : Endettement total/ Capitaux propres

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Ce résultat s’interprète comme l’ensemble des dettes qui représentent près de 3 fois les capitaux propres.

Une autre information relative à la dépendance des clubs vis-à-vis de leurs actionnaires et de leurs investisseurs peut être mise en avant. Le rapport entre le total des dettes à long terme et les capitaux sert normalement à financer l’ensemble des opérations d’investissement – opérations aussi de long terme. Ce qui m’importe, est de connaître la façon dont sont constitués les capitaux permanents.

Soit : Dettes à long terme/ Capitaux permanents

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Là aussi, même constat : il y a une forte dépendance aux prêteurs et aux investisseurs qui apportent 55 % des capitaux permanents destinés aux financements démesurés des opération joueurs.

Je ne ferai aucun commentaire sur les différents ratios de rentabilité puisque, avec des résultats négatifs, toute ambition de mesurer une quelconque performance économique est inutile.

Cependant, il existe un calcul de ratio instructif quant à sa pertinence et sa capacité à mesurer les dimensions de risques d’une organisation. Pour cela, on fait appel à un indicateur, le seul indicateur en « mode management » précurseur de risque, autrement dit ce qui nous permet d’apprécier la sensibilité ou l’élasticité de nos résultats économiques à la variabilité de notre activité.

Il s’agit du : Levier d’exploitation, issu du calcul du Compte de résultat différentiel.

Pour sa détermination précise, j’ai eu besoin de définir quelques hypothèses d’analyse des comptes présentés par la DNCG. Pour cela, il faut identifier les charges variables des charges fixes, en établir la répartition, qui nous amènera au calcul de la Marge sur Coûts variables et nous conduira au levier d’exploitation.

J’ai considéré que l’ensemble des salaires avaient une part fixe de 80 % et variable de 20 %, ce qui est loin d’être le cas selon les données de la DNCG, mais j’ai incorporé l’application des règles du chômage partiel, financé par l‘Etat. Pour les autres charges, j’ai pris en compte 40 % de charges variables, celles requise pour l’organisation des matches et 60 % de charges fixes.

Je précise que, même si mes hypothèses de répartition charges fixes contre charges variables sont inexactes, cela ne produirait que peu d’effet sur mes résultats obtenus.

Au bout de mon calcul, je détermine : 

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Comme on peut le constater, le seuil de rentabilité des clubs de football Ligue 1 atteint 2 864 M€, soit 200 M€ de plus que l’activité 2018/2019, en incorporant les recettes du trading joueur ; ce qui représente 1 an et 3 semaines. Pour le moment, une année est faite de 12 mois : peut-être faudra-t-il passer à 13, voire 14 mois pour la seule activité football !

On constate une marge de sécurité négative bien entendu à hauteur de – 7 %.

Enfin un Levier d’exploitation de – 15 qui nous indique un niveau de risque si l’on perdure selon ce modèle économique. D’ailleurs, dans cette situation, la perte de 1 % de tous nos produits, amputerai l’ensemble des résultats des clubs de 15 % de résultat ! 

Si nous estimons que pour la saison 2019/2020, la dégradation d’activité sera de l’ordre comprise entre 20 % et 25 %, nous pouvons considérer une perte d’exploitation globale pour l’ensemble des clubs de Ligue 1 comprise entre 378 M€ et 472 M€.

Au final de ma synthèse, je propose sous forme de schéma, un processus d’analyse des risques que j’ai utilisé pour démontrer que mes hypothèses de départ correspondaient bien un état des lieux du Football professionnel. Ce faisant, je montre que celui-ci porte en lui tous les fondements d’un modèle à très hauts risques, loin de toute réalité économique responsable, sociétale et durable.

J’ai aussi conçu pour cet exercice un modèle de scénario d’apparition des risques inhérents au secteur du football professionnel qui met en évidence l’ensemble des facteurs de risques, depuis leurs origines jusqu’aux conséquences touchant l’ensemble des parties prenantes. 

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8.    CONCLUSION

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Pour offrir aux différents clients, spectateurs, supporters, sponsors et diffuseurs une expérience évènementielle homogène et convaincante, la chaîne de valeur intégrée des Clubs doit fonctionner comme une seule et même entité. L’intégration de toutes les parties prenantes dans les processus des divers métiers jouera un rôle essentiel dans la maximisation de revenus et se retrouve au cœur de la chaîne de valeur intégrée.

La situation d’incertitude consubstantielle au résultat sportif, constitue le fondement du secteur sportif, sa réalité, ses aléas, son imprévisibilité, son indétermination et son mystère. Mais il compose aussi la ferveur, la passion, les émotions qui exaltent l’intérêt du sport spectacle.

Aujourd’hui, bien que corrélés avec les budgets et le potentiel économique régional, les résultats économiques, sportifs et le classement du championnat doivent intégrer de multiples dimensions, auxquelles toutes les parties prenantes doivent contribuer. Si le plaisir d’un supporter dépend de la qualité technique d’un match et du suspense quant au résultat, il est de notre capacité à explorer d’autres horizons afin de restaurer un spectacle sportif plus ambitieux, plus large et plus attractif.

S’il est essentiel de recréer des situations d’incertitude tout au long de compétitions attirantes pour les spectateurs et téléspectateurs, il est aussi de notre responsabilité de limiter les risques substantiellement liés aux aléas sportifs – et à leurs conséquences. L’obligation ces Clubs doit être d’intégrer les imprévus, les aléas sportifs et les incertitudes dans leurs modèles économiques, et en même temps, de ne pas participer à l’inflation des investissements lors des transferts et sur la spéculation salariale des joueurs. Cette dernière participe à l’ajout de risques aux risques sportifs déjà identifiés. Il ne s’agit pas d’imiter les concurrents sportifs, mais de concevoir des scénarios, des alternatives et d’en évaluer les enjeux à long terme.

Ainsi l’état du football professionnel renvoie au système économique capitaliste qui s’est affirmé depuis quelques deux siècles. C’est la façon dont a été favorisé le développement du système de production de spectacle sportif qui a autorisé des comportements de prédation au nom du profit, niant au passage toutes les parties prenantes qui sont la cause de cette dégradation. Et c’est cela s’apparente à la notion de « capitalocène », proposé par Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital »(*1), qui vient compléter et préciser la notion d’anthropocène.

Dans les circonstances actuelles, l’examen de la transition économique et sociale s’impose avec une urgence plus grande encore. Désormais invite à une sorte collision entre les engagements de court terme et les orientations à long terme. Des choix urgents, de « court terme », devront être mis en œuvre pour lutter contre l’effondrement de l’économie du sport football professionnel. Pourtant relancer le même modèle économique aux conditions identiques est plus que jamais un non-sens. Bien plus que « relancer » l’économie footballistique, il faut la transformer et la reconstruire. Ou pour le dire plus justement, les réorientations qui seront engagées constitueront les conditions de la transformation et de la reconstruction. Cela implique une conversion radicale, une sorte de désapprentissage des décisions politiques et économiques pour imaginer toutes les alternatives possibles.

Dans l’immédiat, le redémarrage de la production du spectacle football nous assigne à la survie de tous les acteurs de la chaîne de valeur, à la protection des salariés, des travailleurs individuels, des indépendants, des auto-entrepreneurs, des micro-entreprises, des TPE et des PME. Ils ont tous de fortes dépendances coagulées à l’activité football. Ils sont tous en situation de précarité, notamment tous ceux qui ne bénéficient pas d’une protection ou de protections très faibles. La recherche de l’unanimité sur l’ensemble de ces dimensions sociales instaurera les conditions du changement du modèle économique et des projets sportifs.

Pour ma part, les changements politiques des Clubs n’ont de sens que s’ils incluent déjà des perspectives de long terme et engagent les réorientations indispensables à l’écosystème du football. Selon moi, il nous faut commencer à repenser les politiques et les orientations économiques des institutions et des Clubs, les organiser et les partager différemment, autour de pôles d’activités essentielles pour tous les acteurs de la chaîne de la valeur, comme : se divertir, participer à des spectacles sportifs, rechercher du sens à nos loisirs, se déplacer sobrement, se nourrir sainement, préserver l’environnement et le climat, rencontrer les acteurs sportifs, partager leurs passions, faire partie d’un groupe social référent, promouvoir une identité singulière, être acteur des projets et consommer en citoyen responsable.

Pourquoi penser en pôles d’activités ? D’abord parce la notion de secteurs économiques sont les résultats de simples conventions, oubliant l’essentiel. C’est-à-dire ce qu’il nous faut préserver, développer, transformer, participer. Ces regroupements autour de grands pôles permet de repenser les prestations de services, de redéfinir leurs limites, de définir et d’inclure l’ensemble des activités à proposer au marché, toutes ces activités répondant aux attentes des citoyens.

En pensant en termes de grands pôles d’activités essentielles, on redonne du sens à l’action politique, sportive et sociale comme à l’activité économique en général. Aspect fondamental, il faut en finir avec l’idée que toute activité économique, quelle qu’elle soit, « crée seulement de la valeur financière » (*2). Il faut en revenir au substrat principal, à ce qui doit être au centre des politiques sportives des instances et des Clubs, à l’intérieur des pôles : c’est la recherche du bien commun, du bien à partager.

Penser par grands pôles d’animations où se retrouvent des activités qui relèvent de toutes les parties prenantes publiques ou privées, d’entités propres et singulières (comme les coopératives, les associations, les entreprises à but non lucratif), permet aussi de promouvoir et de gérer la transition économique, sociale et environnementale dans de nouvelles conditions améliorées. S’engager dans cette transition implique qu’une partie des activités jugées socialement et écologiquement bénéfiques vont augmenter, tandis que d’autres seront appelées à diminuer. En les associant dans des mêmes pôles, on se donne des marges de manœuvre par des effets de compensation.

Dans le même temps, pour élaborer des choix politiques et économiques, on ne peut plus s’en tenir aux anciennes bases et compromis qui fondaient la création de richesse des organisations par la mesure de la seule production financière et la valeur ajoutée.

Après cette période d’instabilité et de fortes turbulences, ces notions purement économiques ont perdu leur efficience, eu égard aux fourvoiements dans lesquels leur adoption infiltre les instances et l’ensemble des Clubs. Prenez les ventes de joueurs, dans la comptabilité des Clubs : il s’agit de revenus qui augmentent la valeur ajoutée ! Alors que ce ne sont que des opérations d’exception, tant par leur montant, que par leur incertitude. Les transferts spéculatifs, sans relation aucune avec les réalités économiques dopent la valeur ajoutée. Les droits audiovisuels inflationnistes, poussés par la concurrence, destructeurs ou appauvrissant les diffuseurs, densifie la valeur ajoutée. Nous voyons bien que nous ne pouvons plus seulement raisonner à partir de ces notions là comme objectifs. Cette manière de penser nous conduit à l’anéantissement, pire encore, elle peut être mortifère pour la plupart des Clubs. Il nous faut inventer d’autres manières de concevoir et de mesurer en internalisant les externalités, en intégrant toutes les activités dégagées par les parties prenantes intégrées, positives comme négatives, oubliées par les méthodes existantes.

Quand les Clubs utilisent plusieurs dizaines de tarifs pour fixer le paiement des places de spectateurs, au lieu de faire en sorte que chacun paye le maximum de ce qu’il peut payer, sommes-nous encore dans un projet responsable, sociétal et durable ?

Avec l’évolution que connaissent tous les contributeurs aux recettes des Clubs, tout a été fait pour nous éloigner de la perception du bien commun, précisément l’association du bien commun et des prestations de services proposées, se sont largement dissoutes.

Remettre une gouvernance citoyenne au sein des institutions et des Clubs.

Repenser leur projet sportif et économique, pour renflammer leur vocation à être au service de tous, aux services de tous les acteurs de la chaîne de valeur intégrée, des plus importants aux plus démunis.

Redonner une voix aux citoyens, afin qu’ils soient associés à la gestion et à la conduite des ambitions des organisations du sport.

Le vrai public, les supporters, les fans, les citoyens n’auraient jamais autorisé les dérives liées aux pratiques salariales, aux transferts mirobolants, aux investissements dans des stades surdimensionnés, négligeant tous les risques inhérents à ces choix décisionnels pris par les Clubs. S’ils ont voix en assemblée, le large et vrai public – les citoyens, ne laisseront plus jamais produire ces détournements. On ne peut plus longtemps laisser les citoyens en dehors de la conduite des organisations du sport qui sont aussi nos biens communs. Les citoyens doivent retrouver toute leur place dans ces modalités de gouvernance, et en symbiose avec tous les acteurs qui produisent et délivrent les spectacles sportifs. Ils sauront peser et infléchir les choix décisionnels, tant sur les projets sportifs, que économiques et sociaux et faire en sorte que l’accès à ces évènements soit universel, aussi pour les plus précaires d’entre eux – universalité au cœur de toute politique des biens communs.

Je pense beaucoup à des formules ouvertes telles que les assemblées citoyennes, les organisations associatives, les regroupements de supporters et de fans, les collectifs sportifs, à toutes ces formes bienveillantes de gouvernance accessibles à tous, dans lesquelles les citoyens peuvent participer aux délibérations, se réapproprier le pouvoir et la décision. À nous de soutenir toutes les formes nouvelles, émergentes, de cette nouvelle citoyenneté, et de favoriser leur extension et développement.

Et puisque, en tant que citoyens, nous sommes les principaux acheteurs des produits et des prestations de services proposées, nous ne sommes pas dépourvus de moyens pour limiter l’influence des grands prédateurs nationaux et internationaux sur leurs marchés, en réduisant ou en cessant d’accompagner leur comportement destructeur.

Malheureusement, je redoute que l’on oublie vite les leçons de cette pandémie, et que comme sur le climat on fasse bientôt bien plus de « pandémie-washing », que de mise en pratique de mesures effectives et efficaces, adossées à des projets responsables, sociétaux et durables. Cependant, mon espoir provient du fait, qu’il est clair que ce cycle financier libéral est clos. Il s’achève sur une triple catastrophe : sportive, économique et sociale. Jamais les inégalités de répartition de la valeur crée n’ont été poussées à un niveau si insupportable.

Les difficultés ne résident pas tant dans le rejet du modèle actuel que dans le fait de rendre crédibles les alternatives possibles. Rendre crédible ce que l’on peut faire autrement, que d’autres options existent, est à portée de main. Alors beaucoup de doutes seront levés et les conversions deviendront possibles. Nous devons les formuler, les penser et les proposer pour imaginer une utopie concrète que nous pourrons voir se matérialiser. C’est dans cet esprit que j’ai décidé de mener cette déconstruction de la chaîne de valeur du football professionnel à laquelle j’ai consacré un engagement personnel singulier. Après ces années 2000-2020, après cette pandémie, il est tant d’imaginer et d’inscrire une perspective crédible, pour montrer au plus grand nombre des supporters, des fans, des spectateurs et des citoyens que l’on peut, que l’on doit, redéfinir et réécrire nos rôles dans la société. Je sais que cela prendra du temps.

Tout le travail sur la « société des communs » – les biens communs – se répand et devient forces de transformation. Je suis, à chaque jour, plus convaincu, que les communs et le retour aux biens communs participeront à conjurer les malédictions. En nous attachant à la résolution des maux que nous connaissons, en donnant forme aux alternatives évoquées, en assurer leur extension et leur développement, le monde footballistique d’après est là, à portée de main. Il dépend de nous d’en accélérer la venue.

Cela nous amènera à transformer nos modes d’organisations, de structures pyramidales, selon lesquelles les décisions s’imposent, sous forme d’injonction, du haut vers le bas (top-down) des parties prenantes. Je propose d’inverser cette pyramide décisionnelle dans laquelle les orientations seraient partagées par l’ensemble des acteurs des Clubs, et appliquées selon une démarche du bas vers le haut (bottom-up). Les Clubs deviennent les moteurs de ce fonctionnement selon leur vision et leurs missions. Celles-ci sont déployées sur l’ensemble des activités identifiées, les institutions jouant le rôle de facilitateur, d’ambassadeur, de coordinateur et de ressource au service des projets singuliers de chaque Club.

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Selon ce modèle économique, l’objectif est de concevoir une nouvelle organisation, dont la finalité, portée par une vision partagée par toutes les parties prenantes, concourra à la chaîne de valeur intégrée avec tous les acteurs, à la réduction de tous les risques identifiés. Cette construction est établie sur la confiance en l’avenir, pour tous les dirigeants, pour tous les salariés et pour toutes les parties prenantes, associées aux Clubs. Mais l’ensemble des clubs doivent déconstruire leur propre modèle économique, afin d’en imaginer un autre, fondé sur des recettes et des ressources plus stables, plus récurrentes et plus larges, dont l’objectif sera de réduire le degré d’incertitude afin d’abaisser les risques inhérents aux activités sportives.

Mais pour compléter cette approche, j’ajoute qu’il faudra intégrer une autre dimension, celle de la valeur sociale créée. Pour cela, il faudra bien isoler les mécanismes créateurs de valeur économique des mécanismes créateurs de valeur sociale. Nous devons considérer que créer de la valeur sociale revient à ne pas capturer une valeur économique ou une utilité créée. En d’autres termes, la création de services bénéfiques, reconnus comme valorisables et propices par un club, consiste à faire des propositions de valeur aux sportifs, aux salariés, aux supporters, aux sponsors, aux diffuseurs et aux citoyens – in fine toutes les parties prenantes, sans chercher à maximiser la capture de la valeur créée. C’est ce que nous devrons imaginer. Tout sera différent lorsqu’un Club acceptera de rémunérer équitablement l’ensemble des parties prenantes, mettra son pouvoir de négociation au service d’un projet responsable, sociétal et durable. Ou lorsqu’il interdira à une ou autre des parties prenantes de capturer la plus grande part de la valeur crée par l’activité sportive.

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Reconnaissant l’existence d’un projet partagé, une telle démonstration permettra de ne pas opposer valeur sociale et valeur économique. Il ne s’agit pas d’opposer la création de valeur sociale et la recherche du profit, mais de de considérer que la performance sociale est la condition de la performance sportive et économique. Nous devons démontrer que la création de valeur peut être appréhendée avec les approches de production, de capture et de partage de la richesse créée et que la performance économique et performance sociale est subsidiaire.

« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » (article 1er de la Déclaration de 1789).

Fin de l’épisode QUATRE : CONTROVERSE 4 : ANALYSE DES RISQUES, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

CONTROVERSE : DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL (en 4 parties)

CONTROVERSE 1 : LA CHAÎNE DE VALEUR ET L’ÉCOSYSTEME DU FOOTBALL PROFESSIONNEL

CONTROVERSE 2 : LES PROMOTEURS, LES PRÉBANDIERS ET LES CONTRIBUTEURS

CONTROVERSE 3 : LES PARTIES PRENANTES INTERNES ET EXTERNES

CONTROVERSE 4 : ANALYSE DES RISQUES, SYNTHÈSE ET CONCLUSION

Sources :

(*1) Andreas Malm, professeur d’écologie humaine à l’université de Lund (Suède), et auteur de « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital ». (Éd. La Fabrique, mars 2017)

(*2) Débats pour le renouvellement de la théorie critique, sous la direction d’Éric Martin et Maxime Ouellet « La tyrannie de la valeur ». (EdCollection Théorie – Librairie Decitre, 2014)

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA en Management des Organisations et Entreprises du Sport de l’ESG Executive et d’un Executive Master en Sociologie de l’entreprise et conduite du changement de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

Pour toute demande d’intervention, de renseignement ou d’information complémentaire :

📱 Mob : 06 73 32 63 38

CONTROVERSE 3 – DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL par Guy Bulit

CONTROVERSE 3 : LES PARTIES PRENANTES INTERNES ET EXTERNES

5.    PARTIES PRENANTES INTERNES AU CLUB

5.1- Les joueurs salariés

L’analyse des données à notre disposition, peu explicites, nous conduit à plusieurs constats.

Pour la saison 2018/2029, la part des salaires consolidés pour tous les Clubs de Ligue 1 est estimé à 1 388 M€, en croissance de 10% par rapport à la saison précédente et représente 73 % du total des revenus des clubs.

Ce qui signifie que l’ensemble des salaires versés absorbent 128 % de la valeur ajoutée produite par la Club.

La décomposition des salaires par catégories de salariés est plus significative. Le poids des salaires des joueurs professionnels correspond à 73 % de la masse salariale totale, là aussi en dérive de 10 % par rapport à N-1. S’ajoute 3 % de salaire pour les autres joueurs, ce qui porte le poids total des salaires joueurs à 76 %.

Il est à noter que la masse salariale de tout le domaine sportif « joueurs » correspond à 1 036 M€ et absorbe 95 % de la valeur ajoutée créée par les clubs.

Comme en 2017/2018, les 10% des joueurs les mieux payés ont une rémunération supérieure à celle des 90% des joueurs les moins bien payés. En effet, ces 10% de joueurs représentent 54% du total des salaires de joueurs de la Ligue 1.

Bien qu’une moyenne ne soit pas représentative des salaires des joueurs, selon une estimation de 700 joueurs professionnels en Ligue 1, le salaire moyen annuel par joueur s’élève à 1,4 M€ soit près de 120 000 € par mois.

Aucun secteur d’activité ne peut supporter un groupe de salariés, y compris pour joueurs à très forte notoriété d’absorber 76 % du total des revenus et 95 % de la valeur ajoutée.

Un des secteurs d’activité avec lequel nous pouvons établir des correspondances est celui de la production audiovisuelle. Établissons quelques comparaisons.

Ledit secteur d’activité réalise autour de 3 000 M€ de chiffre d’affaires, donc sensiblement plus que celui du football. Au regard de ces recettes, la part des salaires représente 730 M€ environ, soit 25 % du CA produit, et pour une valeur ajoutée de 2 550 M€, les salaires pèsent 40 % de la VA créée. (Étude sur le tissu économique du secteur de la production audiovisuelle – CSA 2017)

La comparaison entre les deux secteurs d’activité, similaires par leurs finalités et par les publics visés, nous permet de mieux comprendre la structure économique des clubs et démontrer en quoi le modèle du football ne peut résister à aucune crise, a fortiori à une pandémie mettant à l’arrêt toutes les activités de spectacles sportifs. 

5.2- Les staffs techniques

L’ensemble des staffs techniques représente 11% de la masse salariale, qui ponctionne 15 % de la valeur ajoutée. Avec une hypothèse de 20 Personnes de staff technique par clubs, le salaire moyen s’élève à 400 000 € par an, soit 33 000 € environ par mois.

Nous pouvons là aussi comparer avec les salaires des ingénieurs par exemple dont le revenu annuel moyen est compris entre 30 et 100 000 €, selon l’âge.

5.3- Les salariés de l’administration

L’ensemble des salariés de l’administration consomment 13 % de la totalité de la masse salariale, soit 17% de la valeur ajoutée.

Peu d’informations sur ces personnels-là, et pour cause me semble-t-il !

J’émets là aussi, l’hypothèse de 250 administratifs par Club de ligue1, ce qui nous amènent à des salaires annuels de 36 000 €, soit 3 000 € mensuels. Sachant que les dirigeants et les cadres perçoivent des salaires nettement supérieurs, cela nous laisse des revenus moyens par employés sur la base du SMIC.

On pourra comprendre le peu de reconnaissance de cette catégorie de salariés, ayant toutes les responsabilités opérationnelles, administratives et commerciales de la production de spectacles sportifs.

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5.4- Les agents

Les honoraires d’agents englobent 5,4 % du total des revenus, pour un montant de 104 M€, en forte dérive de 25 % par rapport à la saison précédente, qui correspond à 10 % de la valeur ajoutée créée.

Selon un rapport de la FIFA rendu public, les commissions touchées par les intermédiaires à l’occasion des transferts internationaux ont augmenté de 19,3 % en 2019, avec une augmentation cumulée depuis de 270 % depuis 2014, soit plus de 50 % en moyenne par an de supplément !

Ces chiffres exigent une régulation et un encadrement que la FIFA promet de mettre en œuvre rapidement.

Finalement, le football, ce n’est pas que du football, mais des joueurs considérés comme des marchandises et des produits financiers. Des marchandises que tous les agents du monde essayent de monnayer le plus cher possible afin de produire un maximum de commissions.

5.5- L’État et les organismes sociaux

Le poids des charges sociales et des impôts représente 17% des revenus totaux, ce qui constitue 30 % de la valeur ajoutée.

La perception par l’État de cette partie de valeur ajoutée correspond à l’ensemble des charges collectées par les Clubs sur la totalité des salaires, dans l’objectif de pourvoir au financement des dépenses de santé, d’accident, de chômage et de retraite des salariés.

De plus, l’Etat et les Régions contribuent au développement des activités sportives et aux investissements requis pour les installations.  

Le corps d’État, par l’effet des subventions, participe aux actions éducatives par l’intermédiaire du sport.

En tant que garant, il permet aussi d’obtenir des prêts garantis qui soulagent les Clubs lors de problèmes de trésorerie conjoncturelle. 

5.6- Les actionnaires et les investisseurs

Les intermédiaires financiers représentent 2,7 % du total des revenus, soit 4,7 % de la valeur ajoutée.

Les actionnaires et investisseurs ne perçoivent aucune valeur créée par le Club. En revanche, par leur abandon de créances sur les comptes courants d’associés, ils apportent aux clubs 1,4 % du total des revenus (2,4 % de la valeur ajoutée).

L’attractivité économique doit devenir un objectif majeur en vue de pouvoir attirer de nouveaux investisseurs. Cela passe par une rentabilité accrue, une maîtrise des risques économiques, une visibilité sur le long terme, fondée sur un projet sportif responsable, sociétal et durable.

5.7- Le Club

Pour les clubs, le montant total d’amortissement se monte à hauteur de 397 M€, soit 21 % du total des revenus.

Si on ajoute le Résultat Net consolidé, on constate une Capacité d’Autofinancement de 271 M€ soit 14 % du total des revenus et 25 % de la valeur ajoutée produite.

Comme dans tout modèle organisationnel, le Club doit devenir le centre des activités vers lequel toutes les décisions seront focalisées. Et ce sont surtout l’image, la notoriété, l’histoire du Club, qui prennent leur place au-dessus de toutes les parties.

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6.    PARTIES PRENANTES EXTERNES AU CLUB

6.1- Les fournisseurs et les prestataires de services

Fournisseurs, équipementiers, agences de sécurité, prestataires de services (médias, marketing, numériques) des clubs de football supportent à leurs risques, l’arrêt des compétitions et les difficultés du secteur. Par manque de prévisibilité et d’anticipation, des PME aux TPE pour la plupart, risquent de disparaître du paysage sportif, de mettre de nombreux emplois en péril, voire perdus dans un écosystème en danger.

L’arrêt définitif de la saison assombrit l’avenir de ces fournisseurs, dont la survie est souvent liée à celle des clubs. Ceux-ci sont les moteurs de l’économie régionale. Environ 30.000 emplois indirects sont concernés par les activités dans le secteur du football professionnel.

Mais au-delà des conséquences sur cet écosystème, je tiens à rappeler que ce secteur d’activité sportif fait aussi et principalement appel à de nombreux vacataires, bénévoles, auto-entrepreneurs et micro-sociétés pour des rémunérations qui sont, soit des compléments de revenus réguliers pour les acteurs concernés, soit du chiffre d’affaires en moins. Cela résulte une perte importante des rémunérations mensuelles des salariés pouvant aller jusqu’à la suppression des emplois.

La situation économique des clubs que nous avons vue jusque-là, augure de décisions opérationnelles à prendre : de l’abandon de projets, en passant par des réductions budgétaires afin de limiter les dépenses et les engagements. S’y agrège aussi le flou relatif au monde amateur qui est un gros pourvoyeur de projets d’installations sportives, engagés par les collectivités territoriales avec les prestations de services associés.

Lorsque l’on prend en compte les répercussions sur la totalité de la chaîne de production liée aux activités sportives, se profile derrière la crise économique, une crise sociale qui impactera en priorité les salariés précaires, les auto-entrepreneurs à activité aléatoire, les TPE et les PME dépendantes du secteur.

Indépendamment des contrecoups dues à la pandémie, je tiens à préciser certains aspects qui représentent des comportements irrationnels, pour ne pas dire de prédation de la part des clubs, fragilisant tout l’écosystème des fournisseurs et des prestataires de services dans ce secteur d’activité.

Par des pratiques datant du siècle passé, l’analyse du montant des dettes auprès de l’ensemble des fournisseurs me laisse interdit. Le montant de la totalité des dettes est à hauteur de 1 228 M€ : ce qui représente plus 1 an de crédit fournisseur ou 375 jours !

À partir de cette observation, je peux en déduire que les Clubs se « font » la trésorerie sur le « dos » des fournisseurs et des prestataires, fragilisant à nouveau ce secteur d’activité.

6.2- Les institutions locales et régionales

Les collectivités locales et régionales aident les clubs en investissant dans des équipements sportifs, en achetant des prestations de services et en subventionnant une partie de la formation, cruciale, pour l’ensemble des clubs. Cette même formation, s’appuyant sur un tissu économique important, constitue une autre source de revenu par les transferts de joueurs formés localement.

On s’en doutait un peu, mais l’organisation de l’Euro 2016 de football ne fut pas rentable pour la France. Le bilan économique et fiscal de cet événement pour l’Hexagone est évalué à 1,3 milliard d’euros, à comparer avec le 1,6 milliard d’investissement pour les stades.

Dans le détail, les retombées économiques pour la France sont statuées à 1,134 milliard d’euros et les rentrées de TVA liées à l’événement à 178 millions, soit 1,312 milliard d’euros. Les coûts de construction ou de rénovation des stades qui accueillirent l’Euro 2016 sont eux quantifiés à 1,639 milliard d’euros.

En réalité, l’opération Euro 2016 été lucrative pour l’UEFA, avec près de 2 milliards d’euros de recettes et 847 millions de résultat net. C’est-à-dire +42,7% par rapport à l’Euro 2012, pour une spectaculaire marge bénéficiaire de 44,2%.

En comparaison, les villes ont dû se contenter au total de 20 millions d’euros, destinés à être investis dans des équipements pour le sport amateur, alors que leurs charges nettes sont évaluées à 51 millions €. La FFF a touché la même somme puisqu’elle a choisi cette option forfaitaire plutôt que l’intéressement aux résultats initialement prévu. Le lecteur saura l’apprécier au regard des 40 millions de dotation pour un bénéfice de 847 millions pour l’UEFA.

À l’opposé, de lourdes charges pour les villes confirmées par les rapports cinglants des chambres régionales des comptes pour Nice, Marseille et Lens. Les partenariats public-privé sont étrillés. Les rapporteurs établissent l’ampleur des dépassements et du coût final pour les finances publiques, au profit des parties privées.

À Marseille, la charge nette pour la ville s’élèvera au total à près de 500 M€ – un lourd tribut. À Lens, ce sont les collectivités qui ont dû prendre en charge la quasi-totalité de la rénovation de Bollaert, à hauteur de 70 M€, le club ayant été dans l’incapacité d’assurer sa propre contribution. Y compris le Stade 100% privé de Lyon, qui a permis aux acteurs publics lyonnais de se défaire du risque financier. Ils laissent malgré tout une contribution publique à hauteur de 202 M€, sur un coût total de 632 M€, soit tout de même 32 % du budget à leur charge du secteur public.

Résumons : des stades chers et surdimensionnés, des investissements publics faramineux, un modèle de gestion inchangé, de nouveaux risques de gestion pour les villes et pour les citoyens, pour un budget initialement évalué à 0,9 milliard d’euros, qui s’éleva finalement à… 1,9 milliard.

Les magistrats de la Cour des comptes regrettent par ailleurs que l’occasion n’ait pas été saisie de « changer le modèle français de propriété et d’exploitation publiques des stades » dans le but de « soustraire les collectivités locales aux risques de gestion et d’aléas sportifs ». Alors que ces aléas ont suscité des factures exorbitantes pour les collectivités à Grenoble ou au Mans, les municipalités dont les enceintes ont été construites ou rénovées, risquent encore de payer la note.

Il existe un autre motif de préoccupation non visible : celui des redevances d’occupation des stades, dues par les clubs utilisateurs à la collectivité, sont dans leur « quasi-totalité inférieures, et parfois dans des proportions importantes, au niveau requis ». Cet état de fait alourdit la charge des villes et les expose à des sanctions de la Commission européenne, qui y voit des aides d’État déguisées.

À Lille et Bordeaux, les contentieux entre les opérateurs exploitants du stade, les collectivités et les contrats de PPP contestés, confirment les travers de ces contrats. Pour quasiment tous les stades, les revenus d’exploitation attendus de la billetterie, de l’accueil de manifestations culturelles ou du Naming s’avèrent bien en-deçà des promesses et des prévisions.

Comme constat, je prendrai la collectivité de Bordeaux Métropole qui a dépensé 7 millions d’euros à organiser l’accueil du rendez-vous sportif de juin 20216 pour… 1,4 million de recettes. Le bilan à charge est donc de 5,6 millions : un Stade de 45 000 Places avec un taux d’occupation de moins de 50 %, un déficit chronique de la part de l’opérateur gestionnaire du Stade, et pour finir, le projet de réduire la capacité dudit Stade à 35 000 places, avec des dépenses additionnelles !

Le diagnostic m’amène à encapsuler ce phénomène par la formule courante énonçant que l’État, la FFF et les institutions régionales ont « socialisé les pertes », à la charge des citoyens et « privatisé les profits » au bénéfice de l’UEFA.

6.3- Les citoyens locaux et régionaux

Que retirent finalement les citoyens locaux et régionaux de cette chaîne de valeur intégrée ?

Sans surprise, lors des grands évènements sportifs, tel l’Euro 2016, les tarifs de la plupart des hôtelleries, restaurations, transports, services de prestations, tous s’envolent au rythme des annonces. La loi de l’offre et de la demande est impitoyable, surtout pour les consommateurs, mais généreuse pour d’autres.

Scrutons ces tarifs finement.

Dans l’univers du stade, bière, sandwiches et autres denrées à des tarifs prohibitifs au vue de la qualité des produits.

5,50 euros pour un hamburger. 4,50 euros pour un hotdog, pour un sandwich au jambon ou un sandwich au poulet. Le sandwich provençal sera à 5 euros. La barquette de frites est à 2,50 euros.

Pour les « menus », une bière Heineken de 50 cl, des mini-saucissons et des chips sont vendus à 9 euros. Le menu hotdog avec frites et une boisson est pour sa part à 10,50 euros.

Pour les boissons, la bière sans alcool est à 5 euros, la Heineken à 6 euros. Les sodas comme le Coca-cola sont à 3,50 euros.

La Ligue 1, c’est 20 euros en moyenne de dépenser par supporter. Le coût moyen du panier du supporter, pour une place la moins chère, pour un adulte (un sandwich jambon-beurre et un soda) est compris entre 18 € et 30 €.

À cette somme, il faudra ajouter le coût du déplacement au stade, les transports en commun et le parking. 

Pour arriver au stade, il faudra débourser en plus les coûts des parkings, forfaits transport, compris entre 3 € et 15 €.

Pour l’achat d’un éventuel maillot, il faudra ajouter entre 70 € et 100 €.

Voir comment, un match devient un produit de luxe !

Nous savons que ce ne sont pas les seules dépenses. Or, nous avons vu que les droits audiovisuels, en augmentation régulière, vont lésés en premier les téléspectateurs. Les chaînes, pour assurer leur rentabilité, accroîtront leur tarif d’abonnement. De fait, le citoyen deviendra la « vache à lait » des diffuseurs. L’explosion des droits génère des effets pervers pour les chaînes et pour les consommateurs, mouvements qui modifient le modèle économique. En effet, l’inflation du montant des dépenses audiovisuelles engagées astreint les canaux de diffusion payants à revoir à la hausse leurs tarifs pour tenter de rentabiliser leurs investissements. L’arrivée de nouveaux acteurs a contraint les téléspectateurs à multiplier les abonnements, grevant le budget des familles.

Dans le domaine d’une bulle spéculative des droits sportifs, le consommateur payeur, devient l’idiot de la chaîne de valeur intégrée, poussant celui-ci vers des alternatives légales ou illégales de manière à de contourner cette injonction médiatique.

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Fin de l’épisode TROIS : CONTROVERSE 3 : LES PARTIES PRENANTES INTERNES ET EXTERNES

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA en Management des Organisations et Entreprises du Sport de l’ESG Executive et d’un Executive Master en Sociologie de l’entreprise et conduite du changement de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

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CONTROVERSE 2 – DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL par Guy Bulit

CONTROVERSE 2 : LES PROMOTEURS, LES PRÉBANDIERS ET LES CONTRIBUTEURS

3-    PROMOTEUR ET PRÉBANDIER A LA FOIS

3.1-      Les institutions internationales du football

À côté des parties prenantes principales comme les actionnaires, les joueurs et les spectateurs, on peut identifier d’autres parties prenantes telles que les instances dirigeantes (la FIFA, l’UEFA, la Fédération Française de Football et de la Ligue de Football Professionnel). La ligue professionnelle garantit aux Clubs la majorité des revenus issus des droits TV et leur impose un minimum de règles de gestion par le biais de la DNCG.

Dans l’objectif de limiter les pertes opérationnelles subies par un certain nombre de clubs de football, l’UEFA a mis en place en 2011 une nouvelle réglementation connue sous le nom de « Fair Play Financier ». Le mode d’allocation des revenus en fonction des résultats des compétitions procure un avantage concurrentiel pour les clubs ayant déjà atteint un certain niveau de développement économique, créant une concurrence inéquitable avec les autres Clubs. Ce modèle économique produit un processus inflationniste, autant sur le prix des joueurs que sur leurs salaires. C’est néfaste à l’équité sportive et à la pérennité des Clubs. Par ses décisions, l’UEFA amplifie les risques économiques par la dépendance aux revenus dérivés des droits de diffusions. Et elle altère la qualité des prestations commercialisées en diminuant l’incertitude sur l’identité du vainqueur des compétitions nationales ou internationales, tout en autorisant quelques Clubs à capturer la plus grande part des revenus générés.

Je complèterai par quelques précisions relatives aux salaires des salariés de l’UEFA. Il y a environ 500 personnes avec un salaire moyen de 130 000 € bruts par an : soit un peu plus de 10 000 € mensuels.

En 2018/19, le président de l’UEFA a bénéficié d’une rémunération fixe et brute de 1 921 667 CHF : soit 1 825 000 € pour 152 000 € mensuels.

En 2018/19, le Secrétaire général a perçu une rémunération fixe de 1 175 000 CHF, agrémentée d’un bonus de 355 000 CHF : soit au total 1 500 000 € pour 120 000 € mensuels.

Une prise en compte des dérives inflationnistes et des risques liés à des surendettements justifierait de limiter le montant de dette des clubs et leur permettre de se financer par recours à des capitaux propres.

Au-delà des prescriptions de l’UEFA, sa fiscalité démontre une autre perception de la notion d’équité. Elle est installée en Suisse, sous un statut réputé à but non lucratif, qui lui permet d’être exonérée d’impôts sur ses bénéfices, malgré un chiffre d’affaires de 3,4 milliards d’euros de recettes annuelles – provenant essentiellement de la commercialisation de droits médiatiques et commerciaux. Comment peut-on être, dans ce cas-là, déclarée d’intérêt public ?

Le temps est venu, dans l’intérêt d’une équité fiscale comme de l’équité sportive, de considérer l’UEFA pour ce qu’elle est : à savoir une machine à faire de l’argent, comme toute autre société commerciale, et à ce titre être assujettie aux impôts.

3.2-      Les institutions gouvernementales

Les instances gouvernementales, complices des instances nationales et internationales du football ?

« Pouvons-nous encore décider nous-mêmes de quelque chose ? » question lancée comme un cri du cœur par l’un des coorganisateurs de l’Euro 2016. * 

En effet, depuis 2004, le championnat d’Europe de football n’est plus mis en œuvre par le ou les pays d’accueil mais directement par l’UEFA.

Lorsque ce système a été inauguré au Portugal, la Fédération portugaise détenait encore 46 % des parts de la société organisatrice, contre 54 % à l’UEFA. Douze ans plus tard, Euro 2016 SAS, est détenue à 95 % par l’UEFA et à 5 % par la Fédération française de football (FFF).*

*(Article du journal Le Monde, Euro 2016 : les concessions de la France à l’UEFA. Par Rémi Dupré et Clément Guillou Publié le 07 décembre 2015 à 18h50 – Mis à jour le 09 juin 2016 à 13h21)

Les recettes attendues par l’UEFA furent de 1,93 milliards d’euros, dont 1 milliard d’euros de droits audiovisuels, pour un bénéfice net de 847 millions d’euros. Malgré ses 5 % dans la SAS, la FFF ne sera pas directement intéressée aux résultats financiers de cet Euro. Si les bureaux de la société sont au Trocadéro, les bénéfices sont en Suisse, notamment grâce à la vente des droits de retransmission télévisée !

Comment furent considérés les bénéfices au profit de l’UEFA ?

Pour cet Euro 2016, le football a transformé la France en paradis fiscal !

Le gouvernement français a exonéré d’impôt l’UEFA à l’occasion de l’Euro 2016.

Si elle fait financer les infrastructures par le pays hôte, l’UEFA, qui organise la compétition, entend bien conserver les recettes commerciales. Nettes d’impôts.

Mais c’est bien à la France et aux contribuables de payer la construction de quatre stades (à Bordeaux, Lyon, Nice et Lille) et la rénovation des autres enceintes sportives, pour un montant de 2 milliards d’euros. Sans compter les 400 millions nécessaires à améliorer l’accès et les transports. Tout cela est sans omettre les frais engagés pour assurer la sécurité de l’événement.

Les quelques 250 millions d’euros abandonnés par l’Etat auraient donc été les bienvenus pour amortir ces investissements publics, à la charge des collectivités territoriales. 

Pour l’Euro 2012, en habitué, l’UEFA avait déjà réalisé un très gros bénéfice, puisqu’elle avait seulement investi 695 millions pour près de 1,4 milliards de chiffre d’affaires : une marge d’exploitation de 50% ! Tout cela avec un statut officiel d’association à but non lucratif.

J’ajoute que les politiques visant à la prise en charge des projets de Grands Travaux Inutiles, par des contrats dits PPP ou Partenariat-Privé-Public n’aboutissent qu’à ne faire supporter les risques par les Collectivités et les citoyens. Par des conditions d’obtention des marchés à la limite de la régularité ou face à une fausse concurrence, les pratiques tarifaires débouchent sur une conséquence intolérable, qui, de devis surévalués, puis accentués par une dérive des coûts, renchérissent le budget final des projets dans des proportions inacceptables, toujours à la charge des collectivités.

Ces dernières ne sont pas prises en compte lors des décisions d’évaluation des projets. Ou les études de rentabilité sur les investissements ne sont pas réalisées pour de tels projets. Il existe en particulier le fait que l’association PPP, soumise aux conditions des marchés, comme les enceintes sportives, à exploitation aléatoire, sont incompatibles en termes de visibilité et de rentabilité sur de longues périodes. J’observe que les risques d’exploitation sont reportés ainsi sur les opérateurs publics.

3.3-      Les institutions nationales du football

La FFF a connu la situation paradoxale d’être l’entité officiellement désignée comme hôte et théoriquement organisatrice de l’Euro 2016, tout en étant absente de l’essentiel des activités d’organisation, montrant par là une forme de collusion ou d’incapacité d’infléchir les injonctions de l’UEFA.

On peut noter, au niveau local, que les dossiers de candidatures comprenaient des « lettres de garantie » signées par les exécutifs locaux des villes accueillant les rencontres du tournoi ainsi que plusieurs contrats : contrats de ville hôte avec la collectivité d’accueil, de stade avec le propriétaire de l’équipement et enfin d’aéroport avec la société exploitante de l’infrastructure.

Les exécutifs des collectivités territoriales publiques ont été tenus de signer ces contrats sans pouvoir en discuter le contenu. Dans la plupart des cas, ces contrats n’ont pas été soumis aux conseils municipaux des villes concernées.

Le président de la FFF, indiquait ainsi que « l’UEFA ne considère pas ces contrats comme des projets soumis à discussion et à amendements éventuels, mais comme des contrats-types qu’elle demande aux villes candidates et à la FFF de signer en l’état. Ceci signifie qu’une ville qui ne pourrait pas ou ne souhaiterait pas signer ces contrats ne pourra pas figurer dans la liste des villes hôtes proposées par la FFF », traduisant ainsi une forme de chantage à l’obtention de l’organisation du tournoi, obligeant ainsi les collectivités à se conformer à un cadrage très précis. Le dossier de candidature incorporait ainsi, dès 2011, un corps d’engagements contraignants, formant le cadre intangible dans lequel allait s’inscrire en 2016 la mise en œuvre du tournoi.

Lors des évènements « match », l’État facture à la FFF et aux clubs de football professionnels une partie des dépenses engagées pour la sécurisation des rencontres disputées par l’équipe de France et par les clubs des Ligue 1 et Ligue 2. Pour l’Euro 2016, il a renoncé à facturer le coût des services d’ordre chargés de sécuriser les stades et les fan zones lors des 51 rencontres du tournoi.

Pour répondre au cahier des charges de l’UEFA, les villes hôtes ont engagé des investissements pour un coût total final des travaux de construction et de rénovation de neuf des dix stades retenus pour accueillir l’Euro 2016, évalué à 1,919 Md€ HT. Ce coût comprend les dépenses directement consacrées aux stades pour 1,67 Md€, des dépenses d’infrastructures, aménagements extérieurs, dessertes en transports, parkings, programmes immobiliers annexes, indispensables à leur fonctionnement, pour 244 M€.

En outre, avec l’aide de la FFF, les projets ont largement excédé les exigences de l’UEFA : en portant la capacité cumulée des neuf stades à 415.173 places, ils ont dépassé de 19% les 350.000 figurant dans le cahier des charges. Ainsi ce surdimensionnement des nouvelles enceintes, qui affiche des fréquentations très médiocres, constitue une épée de Damoclès sur les Clubs et les collectivités, alors que le respect du « calibrage des investissements » aurait été de nature à minorer les risques d’exploitation futurs et les tensions sur le niveau des redevances sportives – plus conforme aux ressources des pouvoirs publics.  

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4- LES CONTRIBUTEURS À LA CRÉATION DE VALEUR 

4.1- Les supporters

Les clients des clubs, constitués des supporters et des abonnés, représentent une source de revenu importante dans l’économie du football professionnel. Les clubs déploient l’utilisation des outils du marketing expérientiel dans l’intention de développer les recettes liées au merchandising en jouant sur l’attachement sentimental du supporter au club ou à son identification à un joueur vedette, et en essayant de faire en sorte que le stade devienne un lieu de vie. Ce faisant, la dimension sociétale du Club dans son propre écosystème est oblitérée.

Chaque activité du club contribue à la valeur créée. Celle-ci doit être perçue par les supporters comme répondant à leurs attentes. Valeur subjective s’il en est, et si le client ne perçoit pas assez de valeur, il pourra choisir et s’orienter vers d’autres loisirs sportifs ou culturels qui répondront mieux à ses espérances.

Le supporter est supposé acheter des prestations de spectacles sportifs qui présentera la différence entre la valeur perçue et le prix à payer comme la plus favorable.

De nombreux clubs se posent la question de savoir si un supporter est un client comme un autre ou pas. Les supporters, par tradition, sont un peu plus que de simples clients car, typiquement ils s’identifient de manière très particulière aux valeurs du club tout en s’assurant de leur fidélité. 

Par l’approche « football business », les clubs tendent de plus en plus à traiter le supporter comme un client. Cela se fait de plus en plus ressentir du côté des fans. Être considéré comme un simple client peut dévaluer le concept de supporter et augmenter l’impression de n’être qu’une source de profits commerciaux : c’est une disposition péjorativement ressentie par les supporters. 

D’une certaine façon, le supporter recherche dans son club d’autres relations que proprement commerciales. Une qualité de service optimale doit répondre à ses attentes. Les supporters sont donc des acteurs cruciaux dans la vie de chaque club. Leur rôle au sein du club ne peut pas être sous-estimé tant ils peuvent influencer ou affecter l’ensemble de la structure dudit club de football. 

Par conséquent, la valeur perçue par les supporters intègre une forte valeur d’estime, correspondant à l’image apportée par les prestations, tant par leur disponibilité, leur qualité que par leurs aspects affectifs produisant implicitement la valeur ressentie desdites prestations. Celle-ci, subjective, est influencée par la presse, les associations de consommateurs, les réseaux sociaux et les groupes de supporters. 

La « satisfaction du supporter » permet sa fidélisation. Cela influence et réduit le coût des transactions pour la recherche de nouveaux supporters. 

La valeur ainsi créée pour le supporter est déterminée par la chaîne de valeur intégrée, de la proposition du spectacle sportif jusqu’à son exploitation dans le Stade (avant, pendant et après l’événement lui-même) et qu’elle n’intègre pas que des dimensions tarifaires. 

Les informations économiques à notre disposition traduisent une stagnation des revenus résultant de la billetterie et ce, depuis les 3 dernières saisons : elle représente 11% du total des revenus. 

L’ensemble des recettes « matches » représentent 201 M€ sur la saison 2018/2019, soit 11% des revenus récurrents hors recettes des mutations et 7 % en incluant les revenus des mutations.

Malgré la construction de nouveaux stades pour l’EURO 2016, le nombre de spectateurs par matches s’immobilise autour d’une moyenne de 23 000 par match, dont 2 500 de « non payants », pour des capacités moyennes dans les stades de plus du double ; soit environ 50 % de taux de remplissage lissé sur les saisons. 

À la vue des tarifs moyens pratiqués, soit 25 € par spectateur et par match, on peut facilement en déduire que la perception par les supporters montre une différence significative entre la valeur perçue et le prix à payer, limitant leur engagement et leur passion.  

4.2- Les sponsors

Les revenus agrégés du sponsoring et de la publicité représentent 415 M€ soit 22 % du total des produits récurrents. Ils sont en augmentation de 21 % entre la saison 2018/2019 et la saison N-1 et 15 % en incluant les revenus des mutations. 

Comment analyser la valeur perçue par les sponsors ? Sachant que ces revenus constituent la deuxième source de produits après les droits de diffusion. 

Le peu d’informations sponsoring à ma disposition ne m’empêche pas d’émettre quelques hypothèses de manière à démontrer que les démarches proposées par les Clubs ne répondent pas aux attentes des sponsors. 

La vision des clubs de football professionnel, principalement orientée performance et résultats sportifs, n’offre que peu d’attractivités et d’alternatives aux yeux des annonceurs. En raison de résultats sportifs aléatoires, non récurrents, les clubs offrent peu de visibilité et de notoriété aux sponsors, en particulier lors de période de résultats négatifs ou lors de des non-participations à des Coupes Nationales ou Européennes. 

En Ligue 1, de rares clubs affichent une sécurité quant au niveau des résultats sportifs. De cet état de fait, le peu de clubs qui bénéficient d’une importante exposition médiatique, réduisent les arguments pour les annonceurs, qui devraient pouvoir profiter d’importantes retombées médias.

L’intégration récente des notions de ROI (retour sur investissement) dans les opérations de partenariats sportifs contraint les clubs à de grandes campagnes d’activation, en regard d’optimiser les enjeux de notoriété et d’image de marque pour les annonceurs. La seule visibilité ne suffit plus pour les partenaires. Les activations, avec des objectifs et des indicateurs précis, jouent un rôle croissant dans la définition et l’exécution des accords de sponsoring.

Face à ces exigences de ROI (retour sur investissement) de la part des annonceurs dans le dessein de justifier de la rentabilité de leur investissement substantiel pour acquérir des droits et activer leurs partenariats, les clubs doivent de se doter d’outils de monitoring pour suivre au mieux les retombées. Tous les partenaires cherchent à calculer le plus finement possible leur retour sur investissement. 

À travers différentes métriques, indicateurs de performance, enquêtes d’opinion, enquêtes onlines lors des événements, des mesures de ventes sur un secteur géographique précis, feed-back des réseaux sociaux, les annonceurs pourront apprécier la pertinence d’un contrat de sponsoring, avec pour objectif de renouveler le contrat de partenariat, conditionné par les réponses apportées par les Clubs. 

Nous pouvons déjà constater que les conséquences de la pandémie anticipent une baisse de 25 à 30 % des revenus provenant des sponsors. 

Une question se pose alors : comment se fait-il que les retombées du sponsoring soient si peu évaluées et offrent si peu de visibilité pour les annonceurs au point de sacrifier 25 à 30 % de leur budget ?

4.3- Les diffuseurs

La contribution totale des droits audiovisuels au total des produits se monte à 901 M€, soit 47 % des revenus récurrents et 34 % avec les revenus incluant les mutations. 

Qu’en est-il des différents diffuseurs ? 

Dans un environnement économique normal, les décisions d’investissements sont là pour produire des résultats sur le moyen et le long terme. 

Je propose une analyse des principaux acteurs audiovisuels.

BEIN SPORTS

BeIn Sports est lesté de pertes fiscales abyssales qui s’accumulent à hauteur de 1,4 milliard d’euros en sept ans d’existence ! Cela oblige l’actionnaire qatarien à injecter régulièrement de l’argent dans les comptes pour sauver les apparences. 

Le coup d’arrêt commercial subi par BeIn Sports est inquiétant alors que la société a pris à court terme des engagements financiers importants, liés aux droits sportifs acquis. Elle se trouvait face à un mur d’investissements de 1,8 milliard d’euros à cinq ans et plus. Cette somme est surtout due aux droits de retransmission de la Ligue 1 sur la période 2020-2024, dont BeIn a remporté une partie pour plus de 300 millions d’euros annuels face à un nouvel acteur (l’espagnol Mediapro) qui a pu s’offrir le plus gros morceau des droits, créant une bulle financière sur les droits audiovisuels du football. Dans ces conditions, le chemin menant à la rentabilité s’annonce plus raide encore pour BeIn. 

Le scénario actuel est celui d’une inflation du montant des droits sans rapport avec les résultats sportifs ni avec les probabilités de rentabilité financière. On est un peu dans « la condamnation du dominateur » lorsque le vainqueur paye un prix plus élevé que la valeur réelle du bien désiré.

Face à la menace d’éclatement de la bulle, adossée à la télé-dépendance des clubs, aux usages émergents des consommateurs qui ne peuvent plus payer de multiples abonnements et s’en remettent au piratage ou au streaming, les revenus des droits audiovisuels reflètent le modèle économique du football professionnel, érigé sur de multiples facteurs de risques, alimentés par les aléas sportifs. Le directeur général de BeIN Media Group ne confirme pas autre chose en annonçant que « la glorieuse bulle des droits télé est sur le point d’éclater parce que le piratage s’est répandu aux quatre coins du monde et dans toutes les couches de la société » – déclaration faite lors du dernier Sport Business Summit à Londres.

La dénonciation des flux piratés, qui dévalorisent constamment la valeur de droits payés, introduit une nouvelle menace que l’on estime entre 10 et 20 % de l’audience des retransmissions sportives. 

Toutefois, ce scénario n’a toutefois rien d’inéluctable à cause de l’éventail de cartes à jouer sur la table médiatique : il y a la germination des ententes entre les différents diffuseurs, qui leur permet de rentabiliser leurs investissements, par une diminution du nombre d’acteurs et une baisse des tarifs pour finir par atteindre un équilibre financier. 

RMC SPORT NEWS

Un autre opérateur, un autre parcours ! Après neuf mois d’activité en 2019 et avoir perdu 76 millions d’euros d’Ebitda (excédent brut d’exploitation) négatif, la chaîne RMC Sport News arrête de diffuser au 2 juin 2020.

CANAL+

Le groupe historique de télévision payante Canal+ a confirmé qu’il allait « tailler à la hache » dans ses effectifs en France, où il est confronté à une double concurrence : celle de BeIN Sports, de SFR et de Mediapro dans le sport. 

De plans de restructuration après d’autres, Canal+ continue de réduire ses effectifs à hauteur d’environ 500 collaborateurs sur les 2.600 qu’il compte en France ; réduction appelée comme il se doit « projet de transformation ». Les objectifs sont la compression du nombre de salarié en réduisant les coûts et la distribution afin de verser un maximum de dividendes au détriment des salaires.  

Depuis 2015, les précédents plans d’économie n’ont pas suffi à enrayer les difficultés de Canal+. Attaquée sur tous les fronts, la société voit le nombre d’abonnements individuels directs reculer de 300.000 l’an dernier – totalisant 4,73 millions de fidèles. Les difficultés s’accumulent face aux concurrents. 

MEDIAPRO

Que savons-nous du nouveau diffuseur Mediapro ? 

Avec des abonnements autour de 25 € et un nombre d’abonnés à atteindre de 3,5 millions, en ces temps où le piratage prend de plus en plus d’ampleur, c’est un véritable challenge auquel Mediapro sera confronté avec un démarrage débuté avec zéro abonné. Confronté à des frais massifs comme les droits, la production, le marketing, Mediapro devra engager d’importantes dépenses. 

L’actionnaire de Mediapro, très peu connu, n’offre pas de garantie financière crédible pour couvrir l’ensemble des engagements pris auprès de la Ligue de Française de Football, pour une durée de contrat de 4 années. 

Je peux déduire que sur cette marche des diffuseurs, il semble que la rentabilité soit loin du compte au regard des investissements consentis dans l’achat des droits de diffusion. La concurrence entre les opérateurs, celle des nouvelles plateformes comme Amazon et Netflix et les tendances des consommateurs vers le streaming, constituent de nouveaux risques de dégradation du montant tarifé des droits audiovisuels perçus par les Clubs. 

4.4- Les produits dérivés et le merchandising 

Le poids économique des produits dérivés et du merchandising, ajouté aux autres produits, culmine à hauteur de 386 M€, soit 20 % des revenus récurrents et 14 % incluant les revenus des mutations.

La difficulté d’analyse porte sur la non-présentation des revenus originaires exclusivement de la vente des produits dérivés. Sachant que le PSG réalise 10 % du total de ses ventes en produits dérivés, que OL réalise lui 5 % du total de ses recettes issues de produits dérivés, je peux traduire que pour la plupart des clubs, le poids des produits dérivés représente moins de 5 % du total de leurs recettes. 

Mais au-delà des recettes réalisées, il est important de comprendre la Marge Commerciale sur les ventes des produits dérivés. Dans les faits, pour chaque produit vendu, le club n’encaisse environ que 10 % de la recette finale. 30% va au distributeur, 30% à l’équipementier, 10% au fabricant (ainsi qu’aux frais de logistique) et aux Etats, via les taxes. 

Je peux en déduire que la contribution des produits dérivés aux bénéfices des clubs représente seulement un apport marginal à la performance économique, estimé à 1%.

L’intégration de compétences, de capacité et de savoir-faire dans les métiers de la supply chain constitue un défi pour l’amélioration des résultats financiers issus de la commercialisation des produits dérivés.

4.5- Le marché vendeur des joueurs

La part des revenus, suite aux opérations de trading sur les joueurs, représente 786 M€ soit 29 % du total des produits des Clubs. 

Si on ajoute le poids des droits audiovisuels, l’ensemble du pôle sportif affiche 1 687 M€ soit 63 % du total des produits des clubs. 

Plus précisément, ce sont 63 % des produits qui sont soumis à des aléas sportifs et à des risques systémiques. 

Le marché des joueurs se répartit entre des joueurs de haut niveau international aux rémunérations très élevées, exponentielles, mobiles internationalement, ayant une valeur économique supérieure à leur valeur sportive, et des joueurs interchangeables moins rémunérés, souvent plus âgés, moins médiatiques et très nombreux (formant un quasi-marché parallèle).

L’internationalisation du recrutement des joueurs et l’importance accrue des agents sportifs et des intermédiaires ont eu comme conséquence des dépenses salariales incompressibles à court terme engageant les clubs dans la recherche de nouvelles recettes stables et pérennes, comme les droits TV, les produits dérivés, les activités de conférences et d’événements afin d’optimiser l’utilisation des infrastructures. L’ensemble de ces nouvelles sources de revenus est conditionné par le recrutement de joueurs fortement valorisés, reconnus au niveau européen et internationalement, provoquant une tendance inflationniste sur les coûts des transferts et sur les rémunérations.  

La pandémie mondiale et la suspension de tous les championnats aura des conséquences très importante sur l’économie du football – et plus particulièrement celle du marché des transferts. 

Selon le l’Observatoire du football CIES, cette valorisation s’effondrerait de 28%, passant de 32,7 à 23,4 milliards d’euros 

La pandémie de coronavirus précipite-t-elle l’éclatement de la bulle dans le foot-business ? « Oui », estiment les experts interrogés, mais seulement « à court terme », s’il n’y a pas la mise en place d’une « régulation » pour encadrer l’inflation à l’œuvre lors de la dernière décennie.

Face aux clubs qui auront de gros problèmes de trésorerie, face à l’incertitude sur les droits audiovisuels et les revenus du sponsoring, face aux déséquilibres financiers, cela va devenir très compliqué de céder ses meilleurs joueurs sur un marché qui ne sera pas acheteur, mais vendeur. De quoi provoquer un fort ralentissement du marché, activant un effet domino sur tous les segments de joueurs, des plus monnayables aux intermédiaires, en passant par les plus basiques. 

La France, victime de l’assèchement de ces marchés acheteurs, qui a tout misé sur un modèle économique fondé sur le trading de joueurs grâce à une politique de formation performante, sur une vision « courtermiste » et sur des revenus focalisés sur les seuls enjeux sportifs, se retrouve confrontée à la défaillance de son modèle (qui appelle une refondation et un autre projet). 

La DNCG affirme que la moitié des clubs de Ligue 1 a réalisé des plus-values de plus de 20 millions d’euros grâce aux transferts, lors de la saison 2018-2019.

Le modèle inflationniste du marché des joueurs, associé aux détournements des règles légales et fiscales, aux systèmes de prêts de joueurs, produit une dérive spéculative. C’est une nouvelle cause de risques systémiques pour les Clubs. 

Avec l’actuel système des transferts, les joueurs sont des placements, c’est-à-dire un capital très mobile et très spéculatif qui se négocie sur un marché par ailleurs très opaque. La logique sportive, déjà dépassée par la logique économique, l’est cette fois par une logique financière de plus en plus puissante – et de plus en plus inégalitaire.

Pour le long terme, il est souhaitable que l’on transforme ce système (source d’inflation sur des salaires toujours plus élevés) en pourvoyant des mutations toujours plus onéreuses. Je pense qu’une vision responsable, sociétale et durable contribue à une remise en cause considérable dudit système. 

Par-delà les particularités propres à chaque contributeur de revenus des clubs, je note que l’ensemble de ces acteurs économiques se comportent de manière à rendre dépendants financièrement la totalité des clubs. En effet, hormis les recettes de billetterie et de produits dérivés, les sommes d’argent dues aux clubs constituent un risque majeur sur leur financement d’exploitation. Le total des créances dues, soit 1,228 M€ accable les Clubs par des retards de paiement récurrents, représente 165 Jours de crédit clients, soit plus de 6,5 Mois de délai en moyen de paiement, alors qu’une loi, dit LME de 2008 limite lesdits délais de paiement à 45 Jours !

Sachant que les recettes générées de la billetterie et des produits dérivés constituent à peine 12 % en moyenne, il est facile d’imaginer la position des clubs face à une telle dépendance financière à court terme et les conséquences en terme économique, d’image et des conditions d’exploitations. 

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Fin de l’épisode DEUX : CONTROVERSE 2 : LES PROMOTEURS, LES PRÉBANDIERS ET LES CONTRIBUTEURS

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA en Management des Organisations et Entreprises du Sport de l’ESG Executive et d’un Executive Master en Sociologie de l’entreprise et conduite du changement de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

Pour toute demande d’intervention, de renseignement ou d’information complémentaire :

📱 Mob : 06 73 32 63 38

CONTROVERSE 1 : DÉCONSTRUCTION DE LA CHAÎNE DE VALEUR FILIÈRE SPORT FOOTBALL par Guy Bulit

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CONTROVERSE 1 : LA CHAÎNE DE VALEUR ET L’ÉCOSYSTÈME DU FOOTBALL PROFESSIONNEL

AVANT PROPOS

Une organisation, quel que soit son secteur d’activité, est performante lorsqu’elle réussit à établir une correspondance entre sa chaîne de valeur, celle de ses clients, celles de ses prestataires et fournisseurs, ses salariés et managers, ses dirigeants, ses actionnaires, les institutions publiques, soit finalement toutes les parties prenantes à la valeur créée par les organisations.

La profitabilité de la chaîne de valeur des organisations dépend donc de la consistance et de l’équilibre des activités globales dans laquelle s’insère la production des différentes composantes. Replacé dans la construction de la vision stratégique d’une association humaine et collective à mission économique, sociale et responsable, le concept de la chaîne de valeur élargie conduit à définir l’impact durable, sociétal et environnemental de ces acteurs économiques comme l’accroissement de la valeur créée par le commun, écologique et sociétal, que son action permet.

Un acteur social crée de la valeur à partir de ressources partagées qui définit la valeur ajoutée qui ne peut seulement se traduire que par une marge bénéficiaire. S’y ajoute aussi un enrichissement du commun, caractérisant l’impact social.

Synchroniquement, les activités économiques ne peuvent se résumer à l’exploitation des ressources naturelles pour produire des bénéfices singuliers. Néanmoins il existe aussi par la production d’alternatives durables afin d’en limiter les impacts environnementaux. 

Ces raisonnements peuvent être aussi appliqués au service public afin de ne considérer la dépense publique, non plus sous l’aspect exclusivement de coût, mais de traduire, par le concept de chaîne de la valeur, la contribution à la création de valeur sur un espace défini, sur une agglomération, sur un territoire : cela étant, il est entendu que ces trois topographies sont destinées à l’ensemble des citoyens. 

De par mon activité de formateur et intervenant dans l’environnement du sport, porté par des pratiques pédagogiques innovantes, par la volonté de rendre accessible au plus grand nombre une approche systémique appliquée à l’apprentissage dans l’univers du sport, j’ai souhaité contribuer au débat sur l’application du concept de chaîne de la valeur dans l’écosystème du football professionnel. J’ai essayé de démontrer que la vision purement mécanique de la valeur aboutit à des contreperformances économiques, sociales et environnementales. Pure illusion d’économiste, le management du secteur du sport professionnel, du football en particulier et du rugby (sur lequel je reviendrai un peu plus tard), à la façon d’un marché de consommateurs que l’on conditionne, pose, aujourd’hui la question de la transformation de la vision globale du secteur analysé, et de la réalisation d’une véritable démocratie participative et sportive.

Si les données économiques et financières conservent une image très austère et technique, elles sont en réalité, aussi un système de représentation du monde qui détermine la vision et la mission d’une organisation. Par le travail que je vous propose, j’ai essayé d’illustrer l’influence du système économique sur le comportement des acteurs économiques et sportifs. Je propose de considérer la production d’externalités sociales négatives comme une dette auprès des Clubs. Lorsque des Clubs recrutent des salariés et des managers avec des rémunérations indignes, associées à des contrats de travail précaires, l’organisation sportive fait une sorte d’emprunt social. C’est un passif social qui devrait être intégré comme tel dans le bilan des Clubs. La nécessité de proposer une réflexion sur la déconstruction de la valeur dans l’écosystème du football professionnel m’a conduit à établir un diagnostic de cette chaîne de la valeur, d’en établir une synthèse et d’exposer quelques recommandations portant sur les enjeux d’un développement du sport et du football, en particulier, intégrant les dimensions de responsabilités, sociétales et durables afin de contribuer à une valorisation des externalités produites au bénéfice de toutes les parties prenantes. 

1-   INTRODUCTION

Le Coronavirus, ou Covid-19 ne serait-il pas que le révélateur d’une filière business sportif, et en particulier de la chaîne de valeur du Football professionnel, incompatible avec les critères de responsabilité, de facteurs de risque, d’éthique, d’engagement sociétal et de partage de la richesse créée ?

Afin de démontrer mon raisonnement, je m’appuierai sur les données économiques publiées par la DNCG – relativement aux saisons de Football 2017/2018 et 2018/2019.

Pour mieux étayer mes arguments, je proposerai mon diagnostic de la chaîne de valeur intégrée du Football et projetterai mes réflexions sur les différents niveaux de production et de capture de la valeur ainsi créée.

Avant mes développements, je rappellerai le contexte des données économiques collectées et du modèle de la chaîne de valeur.

La DNCG publie à chaque fin de saison les résultats consolidés de l’ensemble des Clubs de Football de ligue 1 et 2. Deux remarques s’imposent à ce niveau-là, à qui veut travailler sur ces informations à caractère économique mais aussi publique.

La première porte sur une insuffisance notoire desdites informations, trop agrégées, insuffisamment détaillées et regroupées de manière incohérenteLa seconde porte sur la fréquence et la date de parution : c’est-à-dire une seule fois par an et 10 mois après la fin de la saison – alors que les comptes des clubs sont arrêtés au 30 juin de chaque année.

Le modèle de la chaîne de valeur, concept développé par Michael Porter en 1985, consistant à simplifier l’organisation d’un Club, comme un enchaînement d’activités interconnectées qui développent chacune une valeur plus ou moins stratégique et importante pour ledit club. Elle peut être utilisée pour décrire les combinaisons d’activités mises en place dans le Club en vue de créer un avantage concurrentiel et de proposer une offre commerciale intéressante pour l’ensemble des parties prenantes.

Dans une filière « sport intégré », les chaînes de valeur de chacun des acteurs, Clubs, joueurs, staff technique, managers, salariés, sponsors, spectateurs, diffuseurs, prestataires et fournisseurs, institutions, actionnaires et financeurs se coordonnent et s’imbriquent pour aboutir à la vente de différentes prestations réalisées sous forme de d’évènements et de spectacles auxquels sont associés la commercialisation de produits dérivés.

Sans l’ensemble de ces acteurs, il n’y a pas de produits, ni de prestations finies accessibles par les clients et chacun contribue et apporte une partie de la valeur.

En somme et en termes de management organisationnel, l’environnement constitue un écosystème, sous forme de facteurs socio-économiques qui influent sur la vie du Club : la concurrence, l’État, la législation sociale, financière et commerciale, les groupes de pression, lobbies, syndicats, associations de consommateurs et les institutions. Autrement dit, ces composantes ne sont pas isolées : elles constituent les parties prenantes de la chaîne de valeur intégrée ; elles s’imbriquent et forment un environnement à cinq pôles :

–      Un pôle sociétal

–      Un pôle sportif

–      Un pôle entreprise

–      Un pôle investisseur

–      Un pôle institutionnel

J’ajoute que la nature de l’environnement des Clubs n’est pas statique. L’environnement que nous venons de définir change de nature : il est turbulent.

La turbulence entraînera des modifications dans l’environnement qui auront un impact sur l’organisation des Clubs. Les causes des turbulences, généralement relevées dans la littérature, sont la complexité, l’incertitude et le dynamisme.

La complexité correspond à l’hétérogénéité et à l’étendue des activités d’une organisation ou d’un Club de sport.

L’incertitude est le manque d’informations sur des facteurs environnementaux rendant impossible la prévision de l’impact d’une décision spécifique sur l’organisation des Clubs.

Quant au dynamisme, il entraîne l’absence de modèles en renforçant le caractère imprédictible de variations des facteurs constituant l’environnement. Le dynamisme peut se trouver représenté par l’instabilité du marché, la modification de la structure concurrentielle ou l’amélioration des technologies.

1.1-      Performance sportive contre-performance sociétale

Dans certains pays, le sport spectacle est un business comme un autre. Les acteurs économiques y investissent dans le but de créer de la valeur financière. C’est, par exemple, le cas en Amérique du Nord où les principales compétitions sportives sont organisées en ligues fermées : ce qui évite le spectre de la relégation et ses conséquences financières. En France, les quarante clubs de football de ligue 1 et de ligue 2 ont le statut de sociétés commerciales. Mais si formellement, le cadre juridique est tout à fait comparable à celui des entreprises privées classiques des autres secteurs de l’économie, la réalité économique actuelle des clubs est assez différente.

Peu de propriétaires acceptent aujourd’hui de combler continuellement les déficits des clubs. La régulation mise en place par la DNCG a pour objectif l’équilibre financier. La performance sportive est prédominante mais la dimension financière ne peut être une simple variable d’ajustement, en particulier sans vision à long terme. L’objectif d’un club ne peut être limité à celui d’optimiser les résultats sportifs sous la contrainte de l’équilibre financier, mais de proposer et d’imaginer une réponse à d’autres valeurs, avec pour ambition de porter un projet sociétal, responsable et durable. C’est un modèle qui devra transformer la vision des clubs de football professionnel et intégrer toutes les notions de complexité dans leur approche managériale.

1.2-  Une gouvernance partenariale

Au sein des clubs, diverses parties prenantes évoluent avec des degrés d’influence différents. L’économie du football professionnel tourne autour de la valorisation de quatre actifs immatériels : le pôle sportif qui constitue le « capital sportif » représenté par les effectifs ; le talent des joueurs associé aux managers sportifs du club ; le pôle sociétal qui constitue le « capital sociétal » composé des spectateurs, de la population régionale, des collectivités, du Centre de formation et des téléspectateurs ; le pôle entreprise qui constitue le « capital attractivité » rassemblé autour des sponsors pour contribuer au développement de la marque du club par sa notoriété et son image ; le pôle investisseur représentant le « capital financier », bâti autour des associés, des actionnaires potentiels et des prestataires financiers dans le dessein de pourvoir au développement du Club. 

1.3-      Hypothèses de travail

L’hypothèse globale que je souhaite démontrer repose sur une analyse des faits qui me permettent d’énoncer selon quatre sous-hypothèses :

–      1. Que des institutions internationales et nationales, chargées d’orienter l’économie du football, en collusion avec des gouvernements nationaux ont promu un modèle financier du football basé d’abord sur les aspects purement sportifs pour s’emparer des ressources produites, au détriment de toute éthique sportive et sociétale. Ces mêmes institutions ont permis à une minorité d’acteurs du sport de s’approprier la valeur créée par les clubs, au détriment des actionnaires, des salariés de l’administration, des prestataires et fournisseurs et des parties prenantes externes. 

–      2. Par ailleurs, ce modèle économique, dès sa promotion portait en lui les germes de l’échec à long terme, fondé sur une accumulation de facteurs de risques. Ces risques sont liés aux aléas sportifs, intrinsèque à l’activité, risques liés à la dépendance de la principale source de revenu que sont la vente des droits de diffusion, eux-mêmes conditionnés aux aléas des résultats sportifs.

–      3. D’ailleurs, j’ajoute que l’appropriation de la valeur créée par les clubs par le pôle sportif ne laisse que très peu de ressources pour les autres parties prenantes internes aux organisations en place qui pourraient conduire d’autres orientations intégrant toutes les parties prenantes.

–      4. En dernier lieu, le rapprochement entre, d’une part les enjeux économiques dictés par des aléas sportifs récurrents et les ressources requises pour y faire face, constitue le fondement de divergences propices à des modes de management des clubs qui réconcilieraient toutes les parties prenantes.

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2-   ANALYSE DE LA CHAÎNE DE VALEUR DANS LE FOOTBALL PROFESSIONNEL

Mon analyse s’appuiera sur une organisation de la chaîne de la valeur du football professionnel comme représentée ci-dessus. Il s’agit de l’ensemble des activités produites dans un club par les divers pôles de management.

Je prends comme hypothèse que la répartition de la valeur créée dans cette filière sportive n’est pas répartie équitablement et que la capture de celle-ci se fait uniquement au profit de quelques acteurs, au détriment de la plupart des autres parties prenantes.

Ma démonstration partira de la vision portée par les instances dirigeantes de clubs jusqu’à la finalisation de la communication affichée par les clubs et les institutions. 

2.1-      Vision

La période, que l’on pourrait dénommée « période moderne du football », qui débute dans les années 1990 avec l’arrêt Bosman, affermit (avec l’envolée des droits de retransmission) la mobilité des footballeurs du monde entier et, d’autre part, l’explosion des montants des salaires et des transferts. Le football comme l’économie est aujourd’hui devenu « global ».

Cette mondialisation du football n’a pas empêché les supporters, mais aussi une partie de la population attachée à ses repères, de continuer à vivre le football localement. Ce décalage n’a pas produit les mêmes effets pour les supporters d’équipes des grandes villes européennes, qui sortent gagnants de la compétition sportive et financière, que pour les supporters des équipes de football des plus petites villes qui luttent pour le maintien en première division.

La libre circulation des joueurs, entraînant une forte mobilité dans les plus petits clubs professionnels, a introduit un décalage entre les supporters attachés à leur club et les footballeurs qui ne font que passer. Cette attitude est source de critiques envers cette forme de football qui révèle un décalage entre la vision des supporters, attachés aux valeurs traditionnelles, et la réalité du football actuel.

Confortés par des perspectives de croissance démesurée, les dirigeants de tous les clubs, petits ou grands, ambitieux ou raisonnables, ont totalement négligé le fondement sociétal d’un Club professionnel. Le constat présent nous porte à la connaissance une vision simpliste affichée, qui se résume d’une part à respecter les équilibres financiers (DNCG oblige) et d’autre part, d’assurer le développement des centres de formation afin d’y produire les futurs joueurs professionnels de demain – sources de nouveaux revenus.

Par ailleurs, je rappelle que la vision, comme la mission ou la vocation procède comme des éléments fondateurs d’une organisation ou d’un club. Ils sont stables et solides, sur lequel le déploiement organisationnel va se déployer étape par étape. Ces étapes sont planifiées sur le court et long terme, tels que les buts et les objectifs.

Trois piliers se trouvent à la base de toute planification et influenceront le futur d’un club ainsi que les décisions qui seront prises :

–      La vision

–      La mission

–      Les valeurs

Ensemble, elles constitueront l’ADN du Club.

Du point de vue interne, la vision, la mission et les valeurs :

–      Déterminent une ligne de conduite ;

–      Facilitent la prise de décision ;

–      Favorisent la mobilisation et l’optimisation des ressources.

Du point de vue externe, elles caractérisent :

–      La marque unique et différentiant du Club ;

–      La crédibilité auprès de l’ensemble des parties prenantes ;

–      La présence d’une orientation précise ;

–      Une démarche mobilisatrice intégrant toutes les parties prenantes.

Une telle vision restrictive, ne peut que conduire le football dans une impasse, mise en évidence par les conséquences de la pandémie actuelle.

Cet ADN des Clubs déterminera la structuration de la chaîne de valeur intégrée du football professionnel et orientera l’approche de la capture de celle-ci aux bénéfices des différentes parties prenantes.

2.2-      Projet sportif

Tous les grands clubs de football ont un projet sportif sur le court et le long terme. Le projet sportif, déterminé par la vision du Club, permettra les prises de décisions différentes selon les horizons retenus.

En effet, avoir une vision à long terme, sur 10 ou 15 ans, définira les grandes tendances de l’évolution du Club. Y compris dans un contexte économique fluctuant et incertain, soumis à des aléas plus ou moins importants, le projet devra s’adapter. Celui-ci constituera la direction à suivre.

L’horizon à moyen terme, entre 2 et 5 ans doit être plus défini, avec un vrai projet structurant, accompagné des ressources et des capacités à mettre en œuvre.

Enfin, le projet à court terme, sur la saison à venir, assigne, concrètement les actions opérationnelles à mettre en œuvre.

Le projet sportif traduira la vision limitative des dirigeants, qui, mobilisés par les enjeux économiques, restreindront leur dessein à la focalisation sur les résultats et la performance du pôle sportif.

Un projet sportif, qui ne vise que les seuls résultats, est confronté aux aléas inéluctables du jeu et ne survit que par des décisions stimulant un management inflationniste et néfaste quant au devenir du Club.

Les orientations du projet sportif nous permettent de comprendre comment la valeur sera répartie dans le temps au bénéficedes divers acteurs du processus décisionnel.

2.3-      Management organisationnel – Marketing – Exploitation

Les actions pilotées par le Management organisationnel traduisent aussi la vision prônée par les Directions de clubs. Le constat que je peux déduire me laisse à penser que la majeure partie des pratiques se concentre vers les prises de décisions ayant trait, en priorité, aux joueurs et au staff, aux infrastructures, aux équipements et aux opérations d’audit et de contrôle – conformément aux exigences de la DNCG.

Alors quelle interprétation et quelle analyse peut-on réaliser de la chaîne de valeur intégrée du football professionnel, selon, dans un premier temps, la capacité des clubs à créer de la valeur, et dans un autre, comment celle-ci est-elle distribuée pour l’ensemble des parties prenante ?

En vue de démontrer mon hypothèse, je m’appuierai sur la répartition de la valeur ajoutée, qui une fois créée, doit être partagée entre les différents bénéficiaires.

2.4-      Les enjeux du partage de la valeur ajoutée

Le partage de la valeur ajoutée a des conséquences sur les différents bénéficiaires. Elle est :

–      Affectée aux salariés : leur pouvoir d’achat s’améliore et permet le recrutement de nouveaux salariés à l’effet d’acquérir de nouvelles compétences et de nouvelles capacités, mieux rémunérés.

–      Allouée aux Clubs : la valeur ajoutée permet de fortifier sa capacité de développement et d’augmenter la part d’autofinancement de ses investissements.

–      Distribuée aux propriétaires des Clubs : elle accroît l’importance de leurs dividendes et permet de renforcer leur attractivité vis-à-vis d’investisseurs potentiels.

–      Créée par les Clubs : la valeur ajoutée contribue à l’augmentation du PIB, par la collecte d’impôts, de taxes et de cotisations, destinés à garantir le bon fonctionnement des infrastructures, à la qualité des prestations sociales et à pourvoir au développement régional. 

–      Collectée par les banques : la valeur ajoutée épargnée pourra être prêtée plus facilement à l’ensemble des Clubs qui ont besoin de financement.

Pour l’ensemble des clubs de Ligue 1, la valeur ajoutée s’élève à 1 084 M€ pour la saison 2018/2019 contre 964 M€ pour la saison N-1.

Pour cela, après avoir décomposé et analysé les données économiques de la DNCG, j’exprimerai les choix et les décisions prises par les Directions en évaluant les conséquences sur les différents acteurs de la chaîne de valeur, en me posant la question pour chacun d’eux : quelle valeur créée, perçue ou détruite et pour qui ?

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2.1-      La création de valeur

Le projet économique des Clubs peut être décrit comme une logique d’organisation à des fins de création de valeur pour l’ensemble de ses clients et de capture de valeur pour les Clubs et pour leurs partenaires. Création et capture de valeur sont donc au centre de la vision et des missions assignés aux différents Clubs. Considéré comme un concept important de management des organisations (en particulier sportives) la valeur créée et capturée conditionne l’ADN des Clubs comme vu précédemment, tant vis-à-vis des parties prenantes internes qu’externes.

Les nombreuses décisions en matière de management des Clubs sont corrélées aux directives prises de création de valeur et de capture de valeur. Les innovations, les services proposés, l’exploration de nouveau segment de marché concernent plutôt la création de valeur, tandis que le fait de profiter d’un fort pouvoir de négociation sur les parties prenantes internes et externes relèvent de la capture de valeur.

Le prix qu’un supporter, un fan, un sponsor, un citoyen, un diffuseur est prêt à payer pour un service ou un produit est une échelle de la valeur créée tandis que le bénéfice qui en est retiré est une mesure de la valeur capturée.

On peut identifier les attentes pour les salariés : par la création d’une valeur jugée suffisante, nécessaire à la satisfaction des clients. Dans l’intention de disposer des salariés requis, formés, stables, intéressés à son emploi, ayant les capacités fondamentales, il est prioritaire pour les Clubs qui souhaitent conserver les compétences d’apporter des réponses aux différents acteurs. Cette valeur ne comprend pas que le salaire, mais intègre des éléments subjectifs comme le sentiment d’appartenance, la sécurité de l’emploi, l’accomplissement au travail et les perspectives d’avenir. La détermination de la valeur créée pour les salariés nécessite donc de distinguer la rétribution perçue du salaire objectif.

Relativement aux actionnaires, il s’agit de la contrepartie aux apports de fonds, aux risques pris, servie en termes monétaires par des dividendes. La valeur attribuée aux titres par les actionnaires est influencée par l’image des Clubs, les résultats sportifs et économiques, une vision à long terme, les risques actuels et futurs qu’ils présentent et les projets de développement.

Pour les autres parties prenantes intéressées à la performance, comme les fournisseurs, le volume de vente, le délai de paiement, l’innovation recherchée, le développement des savoir-faire, la coopération et l’appartenance, l’intégration à des projets de médiatisation et de notoriété, la valorisation des relations commerciales et la fidélisation caractérisent la contribution à leur valeur qui répondront par plus de qualité, de réactivité, de flexibilité et des tarifications optimisées.

Pour les collectivités, les Clubs constituent un écosystème dans lequel les institutions sont intégrées, qui, bénéficiant de taxes et d’impôts locaux, proposeront leurs prestations de services, aideront à des efforts de préservation de l’environnement, à des implantations d’installations, à des comportements citoyens et à la participation à la vie collective.

Je retiendrai, parmi l’ensemble des parties prenantes, les protagonistes suivants sous quatre modalités :

–      Les promoteurs du modèle du football professionnel 

–      Les contributeurs à la création de valeur

–      Les parties prenantes internes des Clubs

–      Les parties prenantes externes aux Clubs

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Fin de l’épisode UN : CONTROVERSE 1 : LA CHAÎNE DE VALEUR ET L’ÉCOSYSTEME DU FOOTBALL PROFESSIONNEL

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA en Management des Organisations et Entreprises du Sport de l’ESG Executive et d’un Executive Master en Sociologie de l’entreprise et conduite du changement de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

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Radicalisation de la critique sociale

Convergences des résistances vers les désobéissances sociales

Faire face à la guerre sociale

Le projet de ce livre, issu d’un ensemble d’expériences sociales et professionnelles, constitue une somme de réflexions accumulées depuis plus de quatre années et traduit la transformation intellectuelle d’un citoyen engagé. 

D’origine sociale issue d’une famille humble et modeste, accaparée par les difficultés économiques, je me retrouvais, devenu adulte,  rapidement à accepter un projet social qui devait me permettre d’assurer ma survie, dans un environnement que je pressentais parsemé d’aléas.  

L’analyse de mon parcours réflexif permet de retracer l’émergence d’une conception d’un courage des gouvernés, entre la désobéissance et le désengagement social. Un courage qui s’affirme comme une attitude, une reformulation de la relation que chacun entretient avec soi-même. Un courage qui serait pensé sur le mode d’une conquête de l’autonomie, un courage qui consisterait aussi au refus de l’emprise du pouvoir sur la conduite de nos existences. L’urgence de notre lucidité doit être de s’extirper de notre docilité.

C’est pourquoi j’ai souhaité écrire ce livre pour revenir au fondement de la citoyenneté afin de penser un courage comme fidélité à soi-même, fidélité à la manifestation de la pluralité humaine et comme support à un existence responsable et engagée.

La première forme de la désobéissance sociale consiste en la rébellion. Le rebelle est celui qui ne se plie pas aux ordres, le rebelle n’est pas réfléchi, la résistance s’inscrit dans son caractère.  Ainsi, il arrive que des individus soumis deviennent des rebelles, surtout lorsque les réserves de la propension à la soumission ont été épuisées.

La rébellion va du simple refus d’obéir à la révolte non violente. Au lieu de courber la tête, le rebelle se relève, fait face et regarde droit dans les yeux les dominants. Alors qu’il suffit de ne pas vouloir obéir pour être rebelle, la révolte suppose l’action. Les actes de résistance, les positions de refus, les comportements de désobéissance sociale traduisent les formes à engager face à toutes les injonctions exigées. A. Camus définit ainsi l’homme révolté : « un homme qui dit non » (Camus, L’Homme révolté, 1965).

Dans le passage de la rébellion à la révolte, l’on observe, pour le premier, le simple refus d’obéir, alors que pour le second, l’on conditionne la désobéissance du révolté à des justifications sociales. La désobéissance sans âme et sans raison tourne court et se transforme souvent en une nouvelle forme de soumission.

Dans mes réflexions, j’ai toujours conçu que la désobéissance sociale devait considérer sans relâche que nos intérêts étaient différents de ceux des dirigeants et que nous ne devions jamais nous laisser persuader du contraire. Les dominants recherchent le pouvoir, l’influence, la richesse, comme des fins en elles-mêmes alors que nous, citoyens, attendons la santé, la paix, l’activité créatrice et l’amour. Les décideurs, grâce au pouvoir et aux richesses qu’ils détiennent, ne manquent pas de porte-parole pour défendre leurs intérêts. Pour nous, individus femmes et hommes, cela signifie que nous avons l’exigence de comprendre la nécessité de penser et d’agir par nous-mêmes, en accord avec d’autres membres de la collectivité.

J’aborde une critique sociale radicale, dans le sens d’une critique compréhensive, d’une critique pragmatique, renouant des liens avec les perspectives d’émancipation cultivée par la désobéissance sociale et inspirée par mes bifurcations professionnelles et mes expériences successives. Nous pouvons concevoir que la pensée de la désobéissance sociale pourrait représenter la condition de l’émancipation des citoyens. Mais aussi, la compléter comme un processus d’autonomisation par rapport à des logiques de domination, supposant l’accroissement des capacités d’expression, d’être entendu et de faire entendre sa voix.  La désobéissance sociale affirme des perspectives de dépassement face aux dominations, porteuses de mécanismes incapacitants comme l’humiliation, la perte de confiance, la dévalorisation, la honte, la culpabilité, le mépris social, transformant les interactions entre les dominés et les dominants et ainsi, favoriser l’émancipation. Et elle peut même ajouter des ressources dans l’outillage de ceux qui s’efforcent aujourd’hui de repenser des stratégies menant à une critique sociale radicale.  

La désobéissance sociale ne peut se limiter à des modifications limitées au sein des structures dominantes, mais elle doit être mise au service des acteurs, dans un horizon de transformation radicale pour nourrir une contestation plus globalisée, en lien avec d’autres formes d’actions, comme les résistances aux injonctions, les luttes revendicatives et les expériences alternatives.

L’usage de la désobéissance sociale peut participer à réinventer une voie pour une transformation sociale du XXIe siècle. Cela suppose de ne pas opposer désobéissance et rébellion, mais de procéder à un réagencement associant les trois supports sociaux que sont la critique sociale radicale, la désobéissance sociale et l’émancipation, produisant ainsi une logique de défatalisation des impératifs sociaux dominants, condition nécessaire pour déployer un enclenchement de processus de réappropriation de droits sociaux.

Face à des médias qui appartiennent la plupart à des groupes capitalistes qui ont toutes les raisons de ne pas vouloir que certaines opinions s’expriment, face à l’endoctrinement porté par ces supports de communication, j’ai un seul objectif – encourager les lecteurs à entreprendre une démarche qu’on pourrait qualifier « d’autodéfense intellectuelle » et suggérer des manières de procéder. Autrement dit, aider les citoyens à saper les efforts soutenus consacrés à « fabriquer le consentement » destinés à les transformer en corps apathiques pour ensuite, en produire des supports sociaux comme pour outiller les individus afin de présider à leur propre destinée.

Les capacités de coercition diminuant, il est naturel de chercher à contrôler l’opinion pour l’autorité et la domination des élites.  Ma préoccupation est d’aider les salariés, femmes et hommes à contrecarrer les efforts de ceux qui entendent régner sur l’esprit des citoyens. Notre discernement doit nous permettre de confondre les auto-désignés – les hommes responsables – de mener leurs affaires du monde en toute quiétude.

À la suite de Georges Orwell, j’ai perçu que les élites devaient réprimer la mémoire, mais aussi la conscience de ce qui se passe sous nos yeux, car, si la population comprend les desseins des dirigeants, il devient impératif de s’opposer à ces funestes projets de destruction des conditions sociales si durement conquises.  D’années d’expériences en réflexions alternatives consacrées aux méthodes de battage managérial, m’ont convaincu que celles-ci sont mobilisées afin d’obtenir un vaste soutien aux intérêts particuliers qui dominent la sphère des entreprises, des gouvernants au service du secteur privé.

Finalement, il s’avère effectivement que les puissants sont en position d’imposer la trame des discours, de décider ce que le bon peuple a le droit de voir, d’entendre et de penser pour mieux conditionner l’opinion à coups de campagnes de propagande, bien éloignées de la réalité.

Un grand nombre d’intellectuels ou de professionnels de la politique s’insurgent contre une prétendue « culture de l’excuse » véhiculée par la sociologie quand elle rappelle le rôle des déterminants sociaux.

L’objectif de ce discours, induit par cette idéologie de la responsabilité est clair : légitimer les dominants et les vainqueurs de toutes sortes, notamment ceux qui réussissent scolairement comme professionnellement. Nous sommes riches, mais nous ne le devons qu’à nous-mêmes, nous sommes scolairement brillants, mais cela tient uniquement à nos qualités intellectuelles, ou à la méritocratie. Nous sommes célèbres et reconnus, mais c’est exclusivement grâce à notre exceptionnel talent. La domination de certains groupes sur d’autres n’est que la résultante de choix ou de réussites individuelles, en dehors de toutes logiques sociales.

Sans s’interroger sur quel type d’individu donne son consentement, à la suite de quoi, dans quelles conditions sociales se crée sa production, après quelles séries d’expériences, dans quels contextes sociaux, économiques, politiques ou culturels, on ne perçoit pas la réalité objective des rapports humains.

Quelle que soit la nature de la domination, économique, politique, culturelle, sexuelle, sociale, je m’appuie sur les pratiques du consentement pour comprendre la domination et loue ceux qui ont la déférence de percevoir les arrière-pensées des gouvernants, démontrant par-là, la traduction du consentement volontaire, consentement individuel qui efface toute idée d’asservissement.

Comprendre appelle à s’appuyer sur les sciences sociales afin de produire les conditions d’interprétation et la recherche des causes sociales, origines de toute la détresse humaine.

La dimension eudémonique renvoie au travail pensé, à tout ce qui fait que l’individu estime qu’il peut s’accomplir dans le travail. Ce terme provient du grec « eudaïmon » qui signifie « bonheur ». Dans le domaine du travail, il s’agit du sens que l’individu donne et trouve à son travail, de la façon dont il s’y réalise.

La dimension hédonique (Du grec ancien « hédonè », signifiant « plaisir ») renvoie au travail ressenti, sous la forme d’émotions positives et négatives éprouvées au travail. Dans le champ du travail, elle a plutôt trait à des domaines qui relèvent de l’opinion, et sont particulièrement malléables en fonction du contexte voire de l’humeur des salariés

Désormais, la performance des organisations est obligatoire, c’est l’une des conditions de leur survie. Mais elle ne peut plus être exigée à n’importe quel prix humain.

À quoi bon perdre sa vie à la gagner ?

C’est dans une telle situation de crise que j’examine, avec lucidité, les signes de la résistance. Depuis de nombreuses années, j’assiste à des stratégies de survie et à la débandade des forces sociales. Les individus s’incrustent dans la zone grise de la précarité, s’accrochent désespérément aux reliquats d’acquis sociaux tout heureux qu’ils puissent encore passer sous les fourches caudines des dirigeants d’entreprises. Les malchanceux, écartés de la rationalité économique, même plus exploitables, sont laissés-pour-compte, à la désespérance sociale et au dépérissement humain. Il aura fallu de longue série de mouvements sociaux et de provocations médiatiques pour que la misère sociale échappe à la cécité collective. Il s’agit, maintenant de rencontrer une résistance à l’exclusion économique, à l’exclusion sociale, à l’exclusion climatique par le courage intellectuel et politique et de renouer avec une critique radicale de l’ordre social présent.

Les décisions politiques et économiques répondent à des logiques de rentabilité, scellant le sort de milliers de salariés dont un certain nombre grossira les rangs des exclus sociaux. La précarité sociale devient le terreau des peurs, des haines, des ressentiments qui, paradoxalement, se portent sur ceux-là mêmes dont la menace d’exclusion se rapproche. Je pourrais penser que la répression suffira à dissuader les rebelles, mais c’est oublier que toute confrontation violente accroît la fracture sociale qui se trouve, bien souvent, à la source des mouvements de désobéissance.

La fracture sociale décrite trouve son origine dans les disparités économiques et socioculturelles, disparités qui ne se manifestent plus seulement dans des rapports inégalitaires ou d’exploitation économique, mais aussi par des mécanismes d’exclusion de couches sociales entières du bénéfice de droits élémentaires – droit au logement, droit au travail ou à un revenu décent, droit à l’éducation, droit à la participation active à la vie publique.

Exclusions qui, loin d’être les effets accidentels d’une conjoncture économique, sont renforcées par des dispositions légales régissant de façon restrictive le droit aux prestations sociales, les conditions d’intégration des classes défavorisées, les possibilités de réinsertion économique, la sécurité de l’emploi, ou l’autonomie du salarié face à son employeur.

À l’opposé, une complète liberté est laissée aux maîtres du jeu économique planétaire, d’agir en fonction de leurs propres intérêts, fût-ce au prix de la dérégulation sociale et de la paupérisation de régions entières.

Parti d’une culture du pauvre, mes bifurcations professionnelles, socle de mes trajectoires, ont construit mon matriçage intellectuel, renforcé en cela par mes divers apprentissages sociaux pour arriver à la fabrication sociale d’un individu sensible aux évolutions de l’environnement économique et entrepreneurial.

Les constats de dégénérescence sociale, de l’hégémonie gestionnaire dans les entreprises, la singularité de l’homme unidimensionnel ont nourrit ma critique sociale.

La déconstruction des pouvoirs et des relations dans l’entreprise, les espaces de résistivité associés au discernement organisationnel m’ont autorisé à relever le défi de devenir un individu singulier.

Par la réinvention d’un nouveau contrat social, par la volonté d’exprimer mon courage de la liberté, par des actes de résistance et de désobéissance sociale, j’exprime une sensibilité personnelle, destinée à produire des supports et des outils servant la justice sociale.     

La dénonciation des méthodes de défaisance sociale, l’émergence de nouvelles voies de sorties des relations sociales, la résonance avec l’actualité concernant des mouvements sociaux inédits constituent une démarche singulière pour répondre à la misère grandissante des nombreuses couches de la population. 

Ma conclusion témoigne d’une volonté de sortir de cette illusion de la liberté qui nous est proposé depuis des décennies afin d’imaginer d’autres formes de valeurs du travail.

H. D. Thoreau nous rappelle à la volonté et à la conscience individuelle de l’individu. Pas besoin d’être en groupe pour s’opposer et résister. Le fait de penser l’action individuelle de cette manière nous incite aux résistances et à la désobéissance sociale.

Dans l’ouvrage « Civil Disobedience ou Désobéissance civile », écrit en 1849, H. D. Thoreau cite : « même si le gouvernement a été choisi par le peuple pour exercer sa volonté, le citoyen ne doit pas abandonner sa conscience au législateur, le respect de la loi vient après celui du droit. »

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA de l’ESG Executive et d’un Executive Master de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

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Trajectoire biographique au milieu de scènes d’interactions et de socialisation

Source de l’article d’origine : Trajectoire biographique au milieu de scènes d’interactions et de socialisation – Mediapart.fr – Le blog de Guy Bulit

Un gouvernement, des dirigeants qui ne trouvent pas indigne que leurs concitoyens, leurs employés usent de prérogatives pour obtenir la réalisation de leur autonomie, de leur responsabilité, de leur bonheur et de leur liberté obtiendra la reconnaissance de toutes ces femmes et hommes pour là et maintenant, et qui perdura au travers des générations.

En ce qui concerne les choses humaines, ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas s’indigner, mais comprendre. Spinoza.

Issu d’une famille modeste, d’un milieu rural, père agriculteur puis agent municipal, mère au foyer, je n’ai pas eu le bénéfice de ce que Bourdieu nomme « le capital culturel ». L’attention porté par ma famille à mon encontre valait toutes les cultures possibles, pensait-je à ce moment-là !

Ma personnalité s’est affirmée au travers de mes diverses expériences professionnelles, identifiées très tôt comme source de progrès social et humain.

Dès mon plus jeune âge, j’ai commencé à multiplier les emplois saisonniers d’étés afin de pourvoir à mes propres besoins économiques sans me soucier des conséquences sur mes capacités intellectuelles. Un seul objectif me guidait, celui de survivre dans un environnement que je nommerai hostile.

Mon parcours scolaire, déstabilisé par les incessants déménagements de mes parents, m’ont conduit rapidement vers des filières professionnelles. Sensibilisé très tôt aux contraintes économiques et sociales de mon environnement familial, j’intégrai enfin un lycée technique avec une motivation décuplée qui me permis de surnager et d’obtenir des résultats encourageants.

Destin porté par un ami proche, reçu par sa famille, fils de réfugié républicain espagnol, je découvris George Orwell et « Son Hommage à la Catalogne » qui me mit en relation avec les approches anarchistes et marxistes. La richesse des analyses des relations entre les militaires, sans expériences et avec leur hiérarchie me permit de me familiariser avec le système de fonctionnement démocratique instauré par l’Armée Populaire espagnole.

Décrit par Orwell, le point essentiel était l’égalité entre les officiers et les hommes de troupe, avec comme finalité de réaliser une société sans classe. Orwell, très critiqué, défendais ce mode de gouvernance égalitaire.

Fortement influencé par les relations humanistes des milices espagnoles républicaines et la lecture de Orwell, je me construisis dans cet environnement social qui me déterminait à devenir le citoyen que mes origines m’avaient tracé.

A cette époque-là, ma soif de vivre me poussait à multiplier les petits « jobs » d’été, aider en cela par mon père qui se démenait pour me trouver quelques opportunités. Très jeune, rapidement je travaillais comme ouvrier agricole et découvrit le dur labeur des champs qui commençait à forger en moi l’idée que je devrais aller contre les déterminismes sociaux que je portais.

Une deuxième expérience d’été me donna l’occasion de découvrir les contraintes de l’entreprise agro-alimentaire dans laquelle je multipliais les heures de travail afin de percevoir un salaire décent qui me permettait d’obtenir une relative liberté sociale vis à vis de ma famille.

Et aussi d’appréhender les premières relations hiérarchiques telles qu’elles pouvaient être pratiquer dans ces circonstances particulières tant par le climat social de la période que par l’absence de gratitude de la part des cadres dirigeants.

Et j’expérimentais mes premiers pas de refus de cette forme de relation vis-à-vis d’un contremaitre qui m’imposait des travaux très dégradant et que je devais seul assurer. Malgré mon jeune âge, mon indignation, traduite par une première colère sociale m’amena à refuser d’exercer cette mission et, après gain de cause, je changeais de poste, et pris conscience de la misère et de l’exploitation de la classe ouvrière.

Mes premières réflexions devaient me convaincre de m’immerger au sein de la classe des salariés, être l’un d’eux et comprendre avec eux les relations sociales bâties sur l’autorité. Mu par ma solitude, j’aiguisai mes pensées portant sur l’oppression subi par les employés de ce monde industriel et agricole. C’est ainsi que mes réflexions s’orientèrent vers le sort de la classe ouvrière. Pour la première fois, je prenais conscience que je faisais partie de cette classe et, conjointement avec eux, j’étais une des victimes symboliques de ces injustices.

Il me suffisait d’abaisser mon regard sur cette terre pour découvrir une classe ouvrière souffrant des humiliations, insupportables à endurer et dont j’allais partager l’humilité. D’un autre côté, à cette époque, je ne m’intéressais pas spécialement à la politique, pas plus qu’à toute autre doctrine économique. Il me semblait alors que l’injustice économique cesserait le jour où nous le voudrions vraiment, lorsque nous résisterions à l’aliénation qui détruit chacun d’entre nous.

 Toute mon adolescence se mélangeait entre mes travaux d’été et mes études lycéennes qui confortèrent, expériences après expériences, mes convictions que la seule chose au nom de laquelle nous pouvions combattre ensemble, c’était l’idéal vers lequel nous devions tendre : le sens de la justice et de la liberté.

Par ces motivations, ma première alternative intervint au moment de ma décision à faire mon service militaire ou pas et dans quelle condition.

Ma réflexion me conduit à accepter le service militaire afin de ne pas nuire à ma famille et à mes futurs projets ; tout en exploitant toutes les failles de l’organisation militaire, refuser tous les exercices militaires, et avoir comme seul horizon l’objectif de passer le moins de jours possibles dans ce cadre verrouillé.

 Observateur objectif du climat social qui m’entourait, je désirais déterminer si l’état des choses que je vivais était tolérable ou intolérable et si dans le monde qui était le mien, certains faits ou évènements sociaux présentaient une exigence morale de nature à justifier une forme de refus de l’autorité.

Pour G. Orwell, « les classes sociales empêchent toute communication : ce sont des aquariums que l’on ne peut franchir, mais abolir les classes d’un autre côté, c’est en quelque sorte, perdre de sa personnalité, de son éducation, de ses goûts, de sa morale »

C’est dans ce paradoxe que j’inscrivis mon futur parcours professionnel. Faire en sorte d’abolir mes origines sociales et sortir de mon univers familial ou participer à une forme de compromission personnelle en intégrant un univers économique dont je pressentais les méfaits humanistes. Ma situation familiale et financière ne m’offrait aucune alternative et j’assimilais les préceptes entrepreneuriaux pour me projeter dans des projets professionnels que je pensais pouvoir élaborer le plus rapidement possible.

Pour contre balancer mon arbitrage, je m’appliquais immédiatement à ne pas renier mes origines et à contribuer, sous quelques formes que ce fut, au respect des individus avec lesquels j’aurais à collaborer, leur apporter toutes les marques de considérations, toutes mes compétences pour les faire progresser socialement.

Partager entre les diverses responsabilités dont j’assumais la charge avec le maximum de résultat et la poursuite de mes études supérieures en alternance, je me forgeais une capacité de réflexion, dans un premier temps, en orientant mes thèmes d’observations sur le monde de l‘entreprise et dans un second temps sur mes interrogations sociales de ce monde-là.

A la lecture de nombreuses revues et nombreux livres sur le Management d’entreprise, que j’abandonnais après quelques années d’expériences et d’applications, j’orientais mes centres d’intérêts vers les approches sociales et humanistes rencontrées dans le champs politique et économique.

Mes pratiques professionnelles me mettaient en présence de questionnements pour lesquels j’apportais des réponses les plus objectives possibles, me heurtant aux différentes hiérarchies qui s’appliquaient à me faire dévier de mes convictions.

La lecture « Quai de Wigan » de G. Orwell m’éclairait sur les pratiques sociales qui étaient en cours et susciter en moi nombre d’interpellations que j’essayais de traduire dans mes gestes professionnels.

Les conditions de travail, la montée inéluctable du chômage, la situation du logement, l’état d’alimentation des salariés, me procuraient une forme de refus de ces circonstances et m’interrogeait sur les causes et les origines de celles-ci.  

Le système de classes sociales a pour caractère essentiel de ne pouvoir s’expliciter qu’en terme économique. Il s’agit d’une stratification par la fortune sur lequel vient se greffer un système de castes auxquelles s’ajoutent le poids des traditions. En cela, on hérite ainsi d’un certain prestige social qui a d’avantage de signification que l’argent lui -même et constitue une distinction sociale. Et plus je croisais les différents niveaux hiérarchiques et plus je constatais que des personnes avaient bénéficié de cette différenciation pour imposer une autorité fondée sur ce statut au détriment des compétences professionnelles.

Je vérifiais que la classe moyenne considérait les ouvriers, les salariés, les employés souvent comme des gens insignifiant, sous-entendu des « sous-individus » et les dénigraient facilement, jugeant que leurs comportements étaient inscrits dans leurs gènes. 

Simultanément, je percevais que les différences de classes étaient insurmontables, que les barrières sociales se hérissaient entre les personnes comme des fossés qu’il était difficile de franchir. Finalement, ces distinctions sociales ne pouvaient pas s’effacer, tant les conditions économiques et originelles des personnes étaient là pour me le rappeler.

Le monde salarié est composé de deux types d’individus ; d’un côté, il y a ceux celui qui restent égaux à eux-mêmes et qui continuent d’occuper les mêmes fonctions et de l’autre ceux qui ont poursuivi leurs études, leur permettant ainsi de s’élever dans la société, ce dont je fais partie. Quoiqu’il en soit, la rencontre entre les deux mondes, celui des dominants et celui des dominés ne peut avoir lieu que lors des conflits sociaux ou des résistances aux soumissions.

Depuis toutes ces années, les profits sont devenus colossaux, les salaires patronaux exorbitants et on assiste bien à une précarisation de l’emploi qui se fait au détriment des salariés dont les situations sont de plus en plus intolérables.

Et force est de constater que la situation n’a guère évolué. L’ouvrier, le salarié est bien quelqu’un qu’on manipule et qu’on ne respecte pas. Malgré tous les dossiers analysant les potentialités de poursuite d’activité lors des crises sociales, qui ne présentent aucune utilité puisque les décisions de cessation ont été prise bien avant par les institutions publiques, les actionnaires et les dirigeants, démontrant le plus grand mépris pour les individus sans travail. De plus, comme pour « acheter » les approbations sociales, les propres responsables des défaillances d’entreprises proposent des sommes importantes afin de les fermer sans rébellion, tout en contribuant à diviser les salariés, décisions qui attestent d’une indifférence insoutenable vis à vis des conséquences des fermetures de firmes et d’un désintérêt pour l’avenir de ceux-là. Par ces modalités de tromperie, ces comportements patronaux fait de mauvaise foi, on pourrait évoquer une forme de totalitarisme des classes dirigeantes et pour elles, la fin justifierait les moyens.

Nous pouvons remarquer que les classes sociales ont évolué. Les ouvriers, que l’on appelle maintenant agents de production, employés, techniciens de je ne sais quoi, tendrait à faire penser qu’une classe est en train de disparaître. Cependant, les rapports de force entre les classes sociales se sont déplacés vers des considérations incluant la vie sociale, économique et culturelle, mais n’ont pas disparu pour autant.

Les salariés sont tout autant exploités qu’il y quelques dizaines d’années et sont toujours moins reconnus et plus méprisés par la classe dirigeante. Les actionnaires, de plus en plus arrogant, se réservent en effet des profits de plus en plus importants et organisent une précarité toujours plus pesante sur le reste de la société sans en mesurer les effets, comme si finalement les salariés n’existaient plus, soutenus par des hommes politiques qui ne sont pas en reste.

 Quant au chômage, il frappe toujours de plein fouet les générations actuelles et ce, de la même manière qu’il touchait les familles de la fin du siècle dernier. Avec pour changement, une propension à rendre responsable, celui qui ne sait pas trouver du travail là, où il pourrait exister, sanctionner par sa résignation, pendant que les dirigeants qui délocalisent pourtant leurs entreprises ou qui licencient pour faire monter leurs actions coulent de beaux jours.

« Nous avons tous quelque chose à gagner du socialisme » disait George Orwell, il prenait position pour une société sans classes. Il avait anticipé ce qu’il advient ou, aujourd’hui, on assiste progressivement à la disparition de la classe moyenne. Bientôt ne subsistera plus que deux classes, celle des riches et celle des pauvres ou celles qui auront su mieux profiter du « capital culturel » transmis par les générations passées. Le libéralisme économique continue à broyer des vies entières mais il n’y a que les producteurs de cinéma belges et britanniques pour s’en émouvoir. La culture ouvrière a du mal à résister, les syndicats abdiquent généreusement et nous nous trouvons dans la situation, ou nourri par les injustices sociales et le désordre libéral, progressent les haines entre les populations. Près de un demi-siècle après, nous avons le devoir de nous interroger sur les changements ou plutôt les non changements dans la société actuelle et l’impératif de nous détacher de nos servitudes.

Lors de mes premières responsabilités en tant que technicien méthodes, j’ai côtoyé les ouvriers et ouvrières de près. Mes relations étaient basées sur le respect, l’objectivité et les explications sur les approches du métier dont j’assumais la tâche.

Pendant cette période, j’ai découvert deux livres qui corroboraient mes impressions professionnelles touchant aux relations de travail.

« La condition ouvrière et Les réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale » de Simone Weil m’ont montré comment le travail est au centre de l’analyse de l’oppression que dessine Simone Weil parce que le travail de masse, dans lequel l’ouvrier n’est qu’un exécutant mécanique d’un processus qui lui échappe, appauvrit la pensée, ce que je constatais après chaque journée passé auprès d’eux.

« Rien ne paralyse plus la pensée que le sentiment d’infériorité nécessairement imposé par les atteintes quotidiennes de la pauvreté, de la subordination, de la dépendance. La première chose à faire est de les aider à retrouver ou à conserver selon le cas, le sentiment de leur dignité ». Simone Weil « La Condition ouvrière ».

De par mes pratiques dans les ateliers, il s’agissait de rompre avec une vision théorique des enjeux sociaux. Entrer à l’usine c’est, comme le dit Simone Weil, à de nombreuses reprises, « entrer en contact avec la vie réelle ».

Je participais à chaque offre d’emploi, au recrutement des opérateurs ou opératrices afin de pourvoir les postes de travail en demande. Dès l’embauche, on percevait l’humiliation lorsque, en milieu rural, on n’en « mène pas large » quand on vient quémander un tout petit emploi manuel, avec pour toute réponse « rien » aux questions sur les diplômes, les qualifications, sur ce qu’on sait faire de particulier et je pouvais discerner dans leurs yeux l’humiliation de ce « rien ». Quant à moi, je notais que les contre maîtres, dès l’arrivée d’un candidat ouvrier insoupçonnable, se faisait leurs réflexions comme, « voilà un homme de la campagne, endurant à souhait, mais pas très dégourdi, c’est l’individu souhaité, il ne fera pas d’histoires ». Ces récits convergent de manière aussi radicale l’un et l’autre sur un point : à l’usine, on n’est « rien », le gage de cette authenticité tient à cet étonnement dans les pratiques du réel.

Si pour Simone Weil « le premier détail qui, dans la journée, rend la servitude sensible, c’est la pendule de pointage », chaque jour, je vérifiais que l’aliénation consistait en la réification du temps, temps que nous devions comptabiliser, le mettre sur le « bon » de l’ouvrière, inscrit « temps perdu ou temps passé » et en feignant de ne pas avoir à le compter, c’était affirmer un pouvoir arbitraire que je ne possédais pas.

Savoir mesurer le temps, les différences entre la perfection et la malfaçon, associée à son action tenait en grande partie à la vitesse d’exécution de l’opératrice. Tous les relevés de temps consacrés au décompte des heures et des ratios de productivité, qui servaient de référence pour les rémunérations aux pièces. A chaque jour, étaient noté le nombre de pièces effectuées et le salaire qui devrait y correspondre.

Durant mes journées, je quantifiais la répétition des gestes, la monotonie des tâches, la fatigue et l’humiliation qui se traduisaient par une alternance désordonnée entre les considérations techniques émises par la hiérarchie et les disparités relatives aux salaires. Je pressentais que l’organisation du travail à l’usine faisait naitre une forme de déracinement par les relations qu’elle imposait aux salariés de production, entre la séparation du travail intellectuel et du travail manuel.

L’usine, dans sa condition, produit la rationalisation des tâches qui fait de cette manufacture autre chose qu’un simple lieu pour le travail que l’on pourrait quitter indemne dès la sonnerie libératrice. S’il faut, comme le dit Simone Weil, « laisser son âme au vestiaire » à chaque fois qu’on y pénètre, il est à craindre qu’une désappropriation de son travail, associée à la perte de sens de sa propre vie, survienne.

J’assistais chaque matin à l’arrivée de centaines de salariés, et l’ouverture des portes de l’usine forgeait en moi, une vision qui révéler la manière dont les ouvrières et les ouvriers s’extirper de leur torpeur pour aller accomplir leur engagement professionnel. Je notais aussi les différences de comportement des contremaitres, des cadres et des administratifs qui, eux s’arrogeaient toutes les dispositions pour exhiber leur statut social, comme un défilé dans lequel il fallait « être », passant par des entrés distinctes, utilisant des emplacements réservés pour leurs véhicules. L’ouvrier était détourné de son statut d’homme, faisait allégeance, soumis aux contraintes sociales imposées, avec comme conséquence la perte de son emploi, s’il ne les respectait pas. C’est ce surgissement des privilèges qui fait dépérir l’égalité entre les individus et crée un système de pouvoir qui est à la base de l’oppression.

Les conséquences de la misère et du travail de masse, se trouve dans l’apport de Simone Weil, et je ressentais cette situation, conjuguer avec mes origines sociales, celles de mes parents et le milieu dans lequel j’opérais. Et la soumission peut paralyser la pensée presque aussi sûrement que la terreur peut la faire taire. La dignité est sur le plan social aussi nécessaire que la vérité l’est sur le plan politique.

Pour Simone Weil, « l’homme serait condamné à être opprimé ». Au fur et à mesure que l’individu se libère des violences sociales, il subit alors l’oppression d’une société de production dont les moyens et les fins lui échappent. Survient alors le clivage entre ceux qui pensent et coordonnent et ceux qui exécutent. L’oppression, qui engendre non pas la révolte mais la soumission, tend constamment à augmenter, car celui qui détient le pouvoir doit lutter, soit pour le maintenir en l’état, soit contre la désobéissance des subordonnés et contre les appétits des concurrents qui veulent s’emparer de son pouvoir.

L’émancipation de cette oppression ne saurait, malgré une réorganisation totale du travail, malgré le syndicalisme qui représente alors la société libre et la résistance des individus, être convenable, tant la collaboration et la collusion des représentants syndicaux participent plus à la défense de leurs intérêts personnels que de ceux des salariés qu’ils sont fondés de défendre.

Je dénonçais, déjà, l’abrutissement et l’abêtissement des salariés, manipulés par les discours technocrates, faisant passer ce qui était perçu négatif comme indissociable d’une vie meilleure, légitimer par les experts sur les médias locaux et nationaux. A consulter les grilles des programmes des médias télévisuels et écrits, je pense que la pensée et la liberté ne sont pas pour demain, que l’oppression a encore de beaux jours devant elle, et pour longtemps.

Ils appelaient cela, entre eux, des « trajectoires« . Plus précisément, des « trajectoires d’effectifs« . C’est le terme qui revenait apparemment dans les directives, les circulaires fixant des « objectifs » qui descendaient du sommet à la base, et dans les rapports qui remontaient de la base au sommet. Ce mot, « trajectoires« , servait à masquer la réalité de la chose : des démissions forcées. Virer les plus fragiles, les irrécupérables, les familles mono parentales, trop souvent marquées par l’absentéisme, les « marqués » politiquement.

Si ces nouvelles s’étaient difficilement trouvées une place à la une des médias du matin, dans l’hystérie médiatique ambiante, elle pesait d’un poids pourtant considérable. Pour faire partir les « invirables », on les écœurait, afin de définir une « déstabilisation positive« . Ce dévoilement de la novlangue médiatico-libérale, on n’osait pas rêver d’y assister un jour.

L’organisation du travail à l’usine, telle que je l’appréhendais, telle que la pratiquais, était un modèle pour comprendre ce que définit cette réduction du monde. Dans la manufacture, l’organisation du travail procédait de la logique de la production mise en forme par la rationalisation, supposait la possibilité de circonscrire chaque geste pour des fins prédéfinis, impliquait l’application d’une telle attention, qu’aucune absence ne pouvait être tolérer.

Souvenons-nous des explications de Taylor, « Observer les mouvements instinctifs et les appétits des ouvriers, de comprendre par où il faut les approcher et par quels moyens contenir non seulement leurs mouvements mais aussi leurs comportements ».

Au-delà de l’organisation, de la division du travail, ce sont les privilèges et non la propriété qui sont à l’origine de l’oppression. 

Les écrits de Simone Weil sont d’une étonnante actualité, « Le chaos de la vie économique est évident. Dans l’exécution même du travail, la subordination d’esclaves irresponsables à des chefs débordés par la quantité des choses à surveiller, est cause de malfaçons et de négligences innombrables ; ce mal, d’abord limité aux grandes entreprises industrielles, s’est étendu aux champs, là où les paysans sont asservis à la manière des ouvriers ».

Après chaque étape de ma vie professionnelle, j’ai exercé le droit « de dire non », non à la poursuite de mes responsabilités dans cet environnement, au risque de « perdre mon âme », au risque de devoir repartir à zéro. Ayant acquis suffisamment de compétences pour exercer de nouvelles missions, je décidais de m’investir sur un nouveau projet en collaboration avec une société qui me confiait une responsabilité de gestion d’une unité de production, en totale autonomie.

Mes passions pour les lectures de livres de management s’étant éteintes, je m’orientais de plus en plus vers des thématiques de réflexions qui pourraient étayer ma conscience sociale et humaniste. Mes années passées avaient été marqué par les mouvements pacifistes menées aux Etat Unis en faveur de la discrimination raciale, par la façon dont l’Inde avait conquis son indépendance sans une guerre coloniale et par les rebellions en Afrique du Sud contre l’Apartheid.

Passionné d’histoire et de philosophie politique, je me convertissais à la lecture d’ouvrages portant sur les causes et les résolutions de ces conflits à la fois politiques que sociologiques. La découverte du concept de désobéissance civile m’interpella et je m’attachais à la compréhension de son origine.

Ainsi, la lecture de « La désobéissance civile » de Henry David Thoreau changea mon existence et me donna les armes pour lutter contre un environnement économico-social que je ne comprenais plus, ou plutôt, trop bien.

Les études politiques situent l’origine moderne de la désobéissance civile à Etienne de La Boétie qui écrit vers 1548 son fameux « Discours de la servitude volontaire ». Dans ce texte, La Boétie fait la démonstration étonnante que ce sont les peuples qui sont responsables de leur propre oppression. Tout simplement, nous dit-il, « parce que le tyran tient son pouvoir et sa force de l’obéissance servile de ses sujets, et si le peuple ne fait rien pour refuser cette servitude, c’est qu’il l’accepte », d’où l’expression paradoxale de servitude volontaire.

Plus tard, les philosophes des Lumières vont être amenés à s’interroger sur l’attitude du citoyen, lorsque les libertés fondamentales sont bafouées par le gouvernement. Certains philosophes vont mettre l’accent sur le droit de résister au pouvoir lorsqu’il ne respecte pas, de manière flagrante, les principes fondamentaux du contrat. Le philosophe anglais John Locke estime que le peuple est fondé à s’insurger contre les abus du gouvernement, voire à instaurer un nouveau gouvernement, « Si les hommes font les lois pour régler les actions des membres de l’Etat, elles doivent être aussi faites pour les leurs propres et doivent être conformes aux attentes des citoyens ; sur les lois fondamentales ayant pour objet la conservation des individus, il n’y a aucun décret humain qui puisse être bon et valable lorsqu’il est contraire à ces lois».

Au-delà de notre vielle Europe, c’est lors de la Révolution Américaine, que se produisit l’un des actes de « désobéissance civile » les plus reconnu de l’histoire américaine, la célèbre « Boston Tea Party ». Le 16 décembre 1773, pour protester contre les taxes sur le thé et contre les restrictions britanniques sur les exportations et les importations, les colons, déguisés en Amérindiens, investirent des navires de la compagnie britannique et jetèrent à la mer toute leur cargaison de thé. Cette « Boston Tea Party » sera suivie par un boycott des marchandises anglaises, puis par la fermeture du port aux navires anglais. C’était l’un des premiers actes de désobéissance collectif revendiqué comme tel.

Thomas Jefferson (1743-1826), le principal rédacteur de la Déclaration d’Indépendance Américaine, et troisième Président des Etats-Unis, justifiera cet acte de désobéissance par ces mots, « Il existe des situations extraordinaires qui exigent une interposition extraordinaire. Un peuple exaspéré, qui sent que le pouvoir est entre ses mains, ne se laisse pas facilement contenir dans de strictes limites ».

Nous devons noter aussi que la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis précise « que le gouvernement n’a de légitimité que dans la mesure où il respecte et fait respecter les droits fondamentaux ». Elle indique que « les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir leurs droits inaliénables. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant de la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur ».

Thoreau, dans son texte explique « qu’il ne suffit pas de condamner par la parole, les injustices, il ne suffit pas de voter une fois par an même dans le sens de la justice, il ne suffit pas de vouloir amender la loi injuste pour l’améliorer », la question que pose Thoreau à chacun est qu’il ne faut pas être soi-même complice de l’injustice que l’on condamne. Thoreau montre que notre responsabilité d’individu est engagée dans l’injustice lorsqu’on obéit à la loi qui engendre l’injustice. « Si la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne ».

Thoreau fonde ainsi le devoir de désobéissance de l’individu face à l’Etat. L’homme juste affirme sa liberté et sa dignité par un acte d’insoumission qui le met en accord avec sa conscience. L’acte de désobéissance doit être authentique, c’est-à-dire qu’il faut être prêt à assumer les conséquences de son acte. « Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison ».

Si je me suis décidé à parler ainsi, ce n’est pas que je vise à atteindre la notoriété tant recherchée de nos jours ; je suis suffisamment lucide pour refuser toute compromission mais je souhaite plutôt modestement essayer de rendre la Lumière aux plus humbles d’entre nous, aux plus démunis, aux plus préoccupés par notre évolution sociale, aux plus sensibles pour le respect de nos valeurs. Mais je juge qu’il s’agit surtout de la motivation d’un citoyen impliqué, qui estime que faire passer ses convictions au service du bien public, ne peut produire que des effets salutaires.

Mais depuis quand voit-on nos dirigeants politiques, économistes, chefs d’entreprises se préoccuper des problèmes sociaux, des contraintes professionnelles, des craintes de l’avenir, des ambitions de leurs citoyens ?

Quelle éducation pour nous, nos enfants ? Quel projet social pour nos familles ? Quelles propositions pour développer l’emploi des jeunes, des sans ou peu diplômés, des seniors, des français issus de l’immigration ? En quoi vos institutions peuvent contribuer à améliorer notre quotidien ?

Ils préfèrent sacrifier aux faveurs médiatiques du moment, les intérêts des salariés ; eh bien, que croyez-vous qu’il arriva ?  

Pouvoir de tous les leurs, profit pour leurs affidés, corruption pour tous et leurs conséquences sociales supportées par les salariés.

Et honte à eux face aux résultats de leurs politiques sociales au service des puissants et contre les plus modestes !

Comparons, citoyens, la façon d’agir de nos anciens et la nôtre. Que des informations spectaculaires, des exemples concrets des pratiques et des comportements de nos gouvernants, pour une communication communicante à grand spectacle

Monopolisant l’espace médiatique proposé par des patrons de presse à leur service, ces hommes, ces experts ne cherchent qu’à plaire et paraitre auprès des citoyens et des salariés français afin d’obtenir l’adhésion à leurs funestes projets.

Pendant que nos dirigeants historiques essayaient de construire des entreprises solidaires et dynamiques, tentaient de servir leurs citoyens, développaient un environnement favorable au développement des affaires, assuraient la promotion des valeurs d’éducation et de travail, le tout avec l’objectif de favoriser « l’ascenseur social » espéré par tant de gens modestes et de sans grade.

Qu’est-il arrivé ?

Vous, dirigeants de pacotilles avaient le champ libre sur l’espace médiatique, à votre service, sur l’économie que vous orientez, en fonction des intérêts de vos serviteurs, dans le domaine social pour lequel vous prononcez des lois scélérates destinées à maintenir les plus démunis dans une plus grande dépendance encore, avec pour seul souci de les faire taire, sur vos choix économiques qui vous permettent de décider des textes parlementaires, sans tenir compte des difficultés de la population, spoliant ceux-là même, qui ont élu vos suppôts.

Et si tout va mal pour une majorité de citoyens français, tout va pour le mieux pour quelques-uns !

Regardons les richesses produites aux profits de quelques magnats industriels, de quelques représentants politiques élus ou pas, de quelques membres des gouvernements successifs, de quelques dirigeants de société privé ou publiques, de quelques stars du système médiatique, sportifs ou du show-business, et vous comprendrez que, depuis cette date fatidique, nous avons été dépouillés de nos biens, de notre éducation, de nos emplois, de notre argent, de notre fierté, de notre solidarité et de notre futur !

Et surtout observons tous nos dignes représentants, politiques, dirigeants d’entreprises, syndicalistes : d’obscurs, ils sont devenus honorés, entourés de leur garde personnelle, de leurs communicants chargés de leur promotion, comme une vulgaire marchandise. Plus la société s’est abaissée, plus ils se sont élevés !

Et de toutes ces conséquences, quelles en sont les causes ?

Parce que nous avons accepté toutes ces dérives de la part de nos dirigeants !

Parce que nous avons laissé le pouvoir à nos gouvernants !

Parce que nous avons accordé notre confiance à nos représentants !

Parce que nous avons crus à leurs promesses !

Parce que nous acceptons notre servitude comme notre destinée !

Parce que, finalement, nous n’avons que les dirigeants que nous méritons !

Instruits de cette situation, ils se sont accaparés de tous nos pouvoirs, de toutes nos libertés, de toutes nos faiblesses, et maintenant, nous peuple, spolié, pétrifié, ne sommes là que pour fournir le nombre suffisant d’électeurs, lors des consultations électorales afin qu’ils bénéficient de leurs quotas de voix !

Et, comble du sacrifice, en période de festivités, d’élections, ou autres spectacles qu’ils nous offrent avec notre argent, nous pensons leur devoir comme de la reconnaissance.

Abordons en détail les aspects de notre servitude moderne, au regard de cette situation sociale pour ma part inacceptable.

Tous les domaines sont concernés, passant de la politique aux aspects sociétaux, des enjeux économiques aux contraintes environnementales.

Les racines de la résistance civile nous permettent de mettre en œuvre les formes les plus diverses de l’indignation et de la résistance, deux formes de luttes contre la globalisation culturelle unique et motivée par l’acculturation des peuples.

J’opposerai là, les formes violentes, non productives, aux pratiques non-violentes, efficaces méthodes de contestation des pouvoirs en place, la seule à promouvoir, de tradition philosophique profonde, qu’exprime la désobéissance citoyenne et civile, comme une pratique authentique de la résistance aux servitudes subies ou encouragées.

Au moment où de nombreux citoyens sont portés par une rage profonde contre les dirigeants économiques mais restent dans l’inaction, ne sachant quels aboutissements donner à leurs revendications, il est temps de rappeler l’existence de la désobéissance civile, et de l’ériger comme levier d’action incontournable à une époque où les moyens techniques numériques offrent toutes les solutions pour relier entre eux les citoyens conscients des dérives oligarchiques et populistes de nos gouvernants.

La première raison qui nous y incite est la soumission dont nous sommes tous coupables à travers nos actes, nos décisions, perçus comme de non-actes, à la source de nos désillusions.

Par confort, par intérêt, par habitude, par distraction, par passivité, nous nous soumettons aux servitudes que fait peser sur nous le pouvoir et nous sommes prêt à renoncer à nos libertés. Alors, la seule réponse possible prend le nom de « résistance ».

Alors que les pouvoirs nous soumettent à leurs désirs de puissance par des pratiques allant invariablement du haut vers le bas, nous ne pourrons résister qu’en organisant des processus de non-collaboration, de non-participation, de passivité active remontant du bas vers le haut du pouvoir.

A un moment où nous tous, consommateurs et acteurs du monde économique, disposons de tous les leviers pour imposer des pratiques politiques, financières, sociales et environnementales, pourquoi ne les utiliserions-nous pas ?

Alors que, souvent, nous participons, par notre soumission à des modes de fonctionnement sociaux inacceptables, à des abus de pouvoirs de la part de nos dirigeants, et ce à notre détriment, à notre misère, nous, citoyens éclairés et concernés, devons être résolu à ne plus servir ces représentants et alors nous obtiendrons la liberté de transformer ce monde dans lequel nous nous inscrivons.

Et si nous parlons des libertés, de notre liberté, il est un moyen sur lequel nous devons méditer et surtout ne pas déroger. La conscience, la liberté de conscience ne peut être profanée, quel que soit le type de pouvoir, quels que soient les modalités de représentation. Le fait de pouvoir élire librement nos représentants, ne supprime ni les dominants, ni les dominés.

La liberté de conscience se situe au-dessus de toute autre liberté. Aucun absolu de contrainte, de sécurité, de contrôle, absolument aucune injonction ne peut justifier qu’on outrage les consciences. Dans ce que transmet l’apprentissage, on le sait tous, même se tromper, au-delà d’un droit, constitue une source de créativité !

La conscience, objet de toutes les attentions bonnes et mauvaises, ne peut souffrir d’une quelconque faiblesse. Cette force morale propre à chacun de nous transportera tous les individus vers la réflexion, vers la recherche des solutions les mieux adaptées à la résolution des divergences, vers la non-soumission, qui ensuite débouchera sur les actions de désobéissance citoyenne.

La résistance civile nous renvoie à nos démissions quotidiennes : Acheter des produits fabriqués dans des pays dans lesquels les salaires sont misérables et les salariés ramenés à des statuts d’esclaves, accepter des hausses démesurés d’impôts nationaux ou locaux pour financer des dépenses sans aucune justification, ni économique, ni sociale, pendant que les actionnaires, dirigeants de grandes firmes, banquiers construisent des plans d’évasions fiscales, ou tout simplement en élisant des représentants corrompus, mis en examen , se complaisant dans la fraude fiscale.

N’a-t-on pas le droit et le devoir de résister contre des pratiques qui nous amènent tout droit vers la paupérisation des peuples ?

Utiliser le droit se révèlerait la solution la plus juste. Cependant, il me semble que le devoir s’impose pour toute résistance civile. Et même si le droit n’apparait à l’évidence pas, il n’y a aucune conséquence de s’adosser à des pratiques de désobéissance citoyenne, dans la mesure où nous avons le devoir d’intenter ce type d’action. On peut définir ce type d’action comme la résilience des citoyens à la domination, à l’assujettissement, à la souffrance, à l’injustice qui ne passeront pas par nous.

Chaque individu concerné n’a pas à éliminer ses conceptions politiques, savamment instillées dans la conscience de chacun d’entre nous, mais a le devoir de ne pas y collaborer et en conséquence d’utiliser les moyens de résistances dont nous disposons. En se comportant en individu fier de ses idéaux, en agissant efficacement contre les tous puissants, coupables de la distraction abrutissante qui nous manipule et nous trainent vers la soumission, en consommant dignement des produits issus de producteurs responsables, en refusant tous les mensonges des communicants, je m’oppose aux responsables politiques, économiques et médiatiques qui m’indignent par leur comportement et par leur immoralité. J’ajoute qu’il n’est pas besoin de se réunir en comité, association ou autre groupuscule, prôner la violence pour s’attaquer à ces servitudes, mais de favoriser des prises de positions adaptées à chaque problématique et d’être acteur des actions attendues par les citoyens.

Je voudrais porter à la conscience de tout un chacun que la révolution numérique, du point de vue de la philosophie et de l’éthique de la technologie, ne produit pas les effets sociaux et politiques dont les médias nous assomment en permanence ; ce n’est que de la « spectacularisation » car les réseaux socio-numériques commerciaux ne contribuent pas à la promotion d’une culture de résistance.

Si nous savons utiliser ces outils communicationnels, avec une dimension d’éthique comportementale pour des actions soutenables et efficaces, alors se produiront des effets inespérés dans la conscience des citoyens et de tous les individus.

Si nous savons mobiliser les supports technologiques, au service d’une nouvelle forme de résistance, qui présentent un formidable potentiel pour diffuser une prise de conscience des désastres vers lesquels nos dirigeants nous attirent, alors nous pourrons fonder des espoirs illimités pour soutenir nos indignations, pour convertir les idées en actions et contribuer au renforcement d’une nouvelle culture de résistance et de désobéissance civile.

N’oublions pas et méditons sur la réflexion, vielle de plus de vingt-cinq siècles, de Confucius, « Si un État est gouverné par les principes de la raison, alors pauvreté et misère sont des sujets de honte ; si un État n’est pas gouverné par les principes de la raison, alors richesses et honneurs sont des sujets de honte ».

Ce texte incarne et résume mes réflexions sur mes idéaux et mes « résistances » lors de mes différentes expériences professionnelles.

Après chaque injonction de mes hiérarchies, j’ai adopté un comportement d’abord de compréhension, puis d’analyse, ensuite seulement d’acceptation selon les intérêts que j’avais à défendre, les miens et ceux sur lesquels je devais exercer mes responsabilités, et qui donc, voyaient leur futur dépendre de mes décisions.

Mon parcours, en tant qu’homme pourrait être symbolisé par une succession de refus, d’insoumissions, mais aussi totalement investi dans mes missions en tant que responsable. Pour cela, il m’était impossible d’avoir le moindre échec qui compromettrais mes volontés de contribution au développement économique et social des collaborateurs avec qui je partageais les finalités des entreprises.

En cela, je me rapprochais d’un auteur et d’un texte qui a contribué à mes idéaux, je parle d’Albert Camus, dans « L’homme révolté » dans lequel il dit, « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? un homme qui dit non », le non symbolisant l’existence d’une limite, d’une frontière au-delà de laquelle, tout comportement est intolérable. Le refus de collaborer est profondément positif puisqu’il révèle ce qui, en moi est toujours à défendre. L’insoumission est le fait du salarié informé, qui possède la conscience de ses droits.

Il existe une filiation entre Simone Weil et Albert Camus sur leur intransigeance vis-à-vis de la vérité dans le réel. Mes décisions traduisirent dans n’importe quelle situation sociale et économique la même fermeté quant aux accusations possibles. Ainsi, je n’eus pas de difficulté majeure à justifier mes choix, je n’eus pas à renouer avec la vérité que j’eusse trahi délibérément et je n’eus point à subir une perte d’estime de moi-même qui y conduit dans ces circonstances.

J’exercer ma lucidité, voir au-delà des fausses évidences, en refusant le manque de respect à mes collaborateurs et en leur apportant l’espoir. Mes pratiques managériales m’interdisent de rechercher, « le ou les coupables », toujours la quête du bouc émissaire, responsables de tous les dysfonctionnements, privilégiant en cela la compréhension de l’environnement, laissant l’espoir à des jours meilleurs. Le monde est si complexe que les changements ne pourront se faire que progressivement, sans pour autant condamner les aspirations issues de la rébellion toujours possible.

Adopter le refus, la désobéissance, c’est user de l’abstention volontaire à défaut de pouvoir agir selon ses croyances. Par cette attitude, je démontre que, malgré mon absence de pouvoir, je ne cautionne pas les décisions, les choix qui me sont imposés, et dans l’adversité, je me réapproprie une partie de mon existence. Retrouvant ainsi le peu de pouvoir qui se rétrécit à chaque instant, renonçant à l’échec, refusant les compromis, plutôt les compromissions, acceptant ce qui me semble bon pour les individus, apportant la preuve de l’obstination, et recommencer encore et encore, pour être juste entendu et reconnu.

Camus expliquait par le « refus de mentir sur ce que l’on sait » et par la « résistance à l’oppression », comment, malgré mes défaillances, mes incertitudes, mes doutes, j’ai sans cesse avancer, consenti à aller vers plus de vérité et vers plus de liberté.

Dans un monde médiatique ou la vitesse prime à la vérité, le souci de mieux informer, de mieux contribuer à la compréhension des événements sociaux doit nous engager sur la voie de la vérité, sans quoi nous perdrons toute la crédibilité durement acquise. Associer à des commentaires critiques, à l’émission de réserves, à des contradictions, à des commentaires argumentés, l’information portée par les dirigeants et les responsables permettra d’éclairer les salariés des réalités économiques et de gagner ainsi leur confiance. C’est à ce prix qu’une nouvelle forme de communication doit voir le jour, indépendante des conflits d’intérêts et des instances dirigeantes, afin de retrouver l’art de la critique, la pratique de la vérité et de la raison, sans quoi, ici comme ailleurs, tout sera dévalorisé.

Mes origines sociales, mon éducation, mes pratiques, me donnent à prendre conscience des difficultés des ouvriers, leurs façons de penser et il ne peut avoir à leur égard le moindre mépris vis-à-vis d’individus que je juge semblable à moi, à leur façon de se comporter, à leur manière de vivre ou de se tenir. J’expérimentais auprès d’eux, une forme de réconfort, une convocation à regarder leurs douleurs familiales et professionnelles, une invitation à réfléchir sur mon temps. A travers la morale politique d’Albert Camus, j’éprouvais une forme certaine de sensibilité ouvrière, faite de posture que j’appréciait telle que l’égalité plutôt que le prestige, la justice plutôt que la puissance. Cette sensibilité ouvrière, n’excluait pas, mais concourrait plutôt à des prises de positions qui n’admettaient pas l’absence de reconnaissance, la dévalorisation, l’humiliation. Chacun devait admettre implicitement que les rapports sociaux n’étaient pas seulement régis par des questions d’argent ou de profit, mais aussi par les sentiments qui nous interdisaient de sacrifier notre dignité, tout ce qui domine dans les relations entre les individus.

Albert Camus, dans le Mythe de Sisyphe, « Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir », nous donne à voir dans la représentation du salarié, de l’employé, du collaborateur, du manager cadre ou du dirigeant, comment nous faisons abstraction de l’essence même des femmes et des hommes au travail, engagés par le sens, la reconnaissance et l’espoir, ainsi malheureux comme la pierre que nous roulons, prélude à la souffrance, aux risques psychosociaux, à la dépression, au burn-out, et même au suicide.

La quête de la reconnaissance s’impose comme un enjeu managérial face à de multiples incertitudes des métiers. Les demandes d’autonomie, les indéterminations de parcours dans les restructurations et les complexités d’intégration socio-professionnelles, l’instabilité des recrutements et des conditions d’emplois manifestent une perte de sens au travail et une diminution, voire une absence de reconnaissance. La conscience de la disparition de ces qualités professionnelles ne peut que contribuer à une dévalorisation de soi-même, et donc à la démonstration que je ne me reconnais plus dans mon engagement au travail.

Mais c’est aussi l’impossibilité d’être reconnu par ses pairs, sa hiérarchie, sa famille et son milieu social, confirmant ainsi que ce qui ferait sens pour moi, ne ferait plus sens pour l’autre. Il s’agit donc de rechercher cette quête, de toujours lutter afin d’obtenir la confirmation de sa propre valeur pour soi-même et aux yeux des autres si l’on ne veut pas endurer le mépris social. Au-delà de cette recherche, de maintenir un espoir de progrès social pour soutenir les salariés dans une environnement économique toujours plus contraint et source de désespoir pour les femmes et les hommes déconsidérés.

Des âmes condamnées à errer éternellement, comme trop d’hommes et de femmes le sont encore dans les entreprises, les organisations, et les administrations, à rouler tous les jours de la semaine, toutes les semaines du mois, tous les mois de l’année, et parfois des années durant, encore et toujours le même rocher.

Nul ne peut se satisfaire de sa condition et des conditions dans lesquelles les élites tiennent les citoyens, c’est à dire dans la médiocrité et la couardise. Les responsabilités de chacun appellent au refus d’accepter les décisions qui sont contraire au bien-être du plus grand nombre et contribuent à la paupérisation d’une partie toujours plus grande de la population, environ quelques 50 Millions d’habitants dont, pour la grande majorité, les revenus diminuent, tout en augmentant en nombre, quand simultanément, une catégorie de personne de moins en moins nombreuse, environ 1%, possède le quart de la richesse nationale.  

Tout citoyen doit refuser de se retrouver en situation de dépendance intellectuelle, dans l’incapacité de penser par lui-même, avec pour seul horizon d’honorer ses obligations pendant qu’une minorité foule au pied ces mêmes exigences au détriment de la grande majorité des citoyens français.

Chaque individu doit contraindre les dirigeants politiques et économiques à écouter les exigences attendues afin de rendre l’autonomie, la responsabilité et la fraternité possibles, pour façonner les solidarités, fondée sur le respect de tout un chacun.

Les obligations des responsables politiques se reconnaissent dans la capacité des citoyens à retrouver et utiliser leur entendement critique pour permettre au plus grand nombre de participer et d’orienter les décisions politiques, tant au niveau local, que régional et national..

 La liberté de refuser, d’exiger plus de transparence, d’impulser des changements dévoilent que les individus sont maîtres de leur destin, aptes à raisonner par eux-mêmes, capable de secouer le joug des contraintes politiques et sociales.

Je démêle aussi les prescriptions des élites politiques et économiques, «ne philosophez plus, nous pensons pour vous ! »

Je discerne par ailleurs, des bruits qui me disent «ne rêvez plus, croyez en nous ! »

J’entends de tous côtés, «ne raisonnez plus, œuvrez pour nous !» ;

Et surtout, je flaire le «ne récusez plus et payez pour nous » !

En quoi, moi, salarié, employé, fonctionnaire, étudiant, retraité, petit commerçant, agriculteur, technicien ou cadre, homme ou femme, suis-je dans l’obligation d’accepter et de subir toutes les conditions imposées par des élus, des responsables politiques ou économiques qui n’apportent que le mépris et la misère du plus grand nombre et surtout des plus démunis ?

Surtout lorsque les porteurs de ces décisions, de ces projets de lois ne respectent pas eux-mêmes les plus minimes de conventions de loyauté et de transparence.

L’éthique oblige tout individu, qu’il soit représentant politique, dirigeant d’entreprise, élu local, départemental, régional ou national, ou homme et femme portant dignement ce pays qui nous a été légué par nos ascendants.

Le refus de tout arbitraire contraire aux intérêts du plus grand nombre, qui ne produit pas le bonheur des citoyens ne peut qu’être récusé par des actes de désobéissances civiles ou citoyennes. 

Les actes contraires devront être soumis à l’avis des citoyens pour en apprécier les fondements, leurs mises en application ou leurs désaveux. Cependant tous les individus qui iront à l’encontre de toutes ces décisions ne devront pas supporter l’injustice, mais au contraire exposer fièrement leur devoir de citoyen, en ayant contribué à démontrer les injustices induites par ces actes commis en leur noms par des représentants abusant de leurs pouvoirs.

Un gouvernement, des dirigeants qui ne trouvent pas indigne que leurs concitoyens, leurs employés usent de prérogatives pour obtenir la réalisation de leur autonomie, de leur responsabilité, de leur bonheur et de leur liberté obtiendra la reconnaissance de toutes ces femmes et hommes pour là et maintenant, et qui perdura au travers des générations. 

Et lorsque les entreprises, les hommes politiques reconnaitront enfin la dignité, la vocation pour la pensée libre, permettant à chacun d’utiliser sa pleine conscience aux décisions collectives, alors cette forme de raisonnement irriguera le plus grand nombre jusqu’à devenir la forme ultime de la cohésion au service de tous.

« Ayez le courage de vous servir de votre propre entendement ! » Emmanuel Kant

« Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres ». La Boétie

Chronique politique : 4 avril 2015

Un citoyen qui croit aux prophéties auto réalisatrices !

Source de l’article d’origine : Chronique politique – Mediapart.fr – Le blog de Guy Bulit

  1. Transparence et vertu de l’action politique

 J’ai rêvé d’une société ou la transparence politique serait élevée au rang de vertu, qui permettrait à tout citoyen, de connaitre et de porter un jugement critique sur les engagements et les dépenses des élus.

J’ai rêvé d’une société ou les élites politico-médiatiques arrêteraient de porter des jugements condescendant et des opinions arrogantes sur « les gens de peu » tenant du mépris et de l’avilissement.

J’ai rêvé d’une démocratie, gagnée par la confiance, accordée par l’ensemble des citoyens à ses représentants, créant ainsi une forme d’appartenance, emblématique d’un attachement à nos institutions politiques.

J’ai rêvé d’une République dans laquelle tous les ressortissants, confrontés aux études qui montrent leur intérêt de plus en plus élevé pour la « chose » politique, auraient retrouvé toute leur capacité d’implication critique, et contribueraient de manière positive aux débats publics.

J’ai rêvé d’un espace public dans lequel, ce que pense le citoyen correspond à ce qu’il voit faire par l’homme politique, avec des conséquences concrètes pour la constance dans l’action et des choix de société décidés à l’unisson de tous les bénéficiaires.

J’ai rêvé d’un système politique, aux antipodes de la démocratie actuelle, confrontée simultanément à une perte de bien fondé et un manque d’efficience, avec des implications sur le niveau local, régional, national et supranational, reposant sur l’efficacité et sur la légitimité, dans lequel un équilibre serait trouvé entre le temps des décisions et les acceptations attendues;

J’ai rêvé d’une société publique dans laquelle les informations et les débats proposés porteraient sur l’impartialité des renseignements transmis, qui subrogerait un dialogue désinvolte, témoignage d’un mépris social pour ceux que les dépenses somptuaires indignent.

J’ai rêvé de responsables politiques qui ne se cacheraient pas derrière de faux semblant pour analyser les causes d’une très forte abstention ou de votes vers des extrêmes, en suggérant un vote « obligatoire », oubliant les leçons de pays voisin et une introspection de leurs responsabilités.

J’ai rêvé d’une organisation politique, sociale et économique dans laquelle aucun « expert » ne sauraient se juger par lui-même, mais soumis à l’appréciation des électeurs et des citoyens au regard de leurs vertus et de leurs contributions dont l’ensemble de la population tirerait avantage.

J’ai rêvé d’un engagement politique, élevé au rang de vertu par son dévouement, moyen le plus efficace, le plus équitable, le plus transparent, avec pour objectif, l’affectation des charges et des prérogatives publiques afin de désigner tous ceux qui pèseront sur les orientations législatives.

J’ai rêvé d’une société politique dans laquelle la connivence et la soumission ne seront plus, exalter par les engagements pris par les nouveaux responsables du jeu démocratique et emporter par les espoirs de tous les citoyens en la croyance de nos institutions, converties à l’exemplarité.

J’ai rêvé d’un pouvoir représentatif qui, en lieu et place d’une aristocratie héréditaire, maitre d’œuvre de la confiscation de la démocratie par les élites, les médias et les hommes « supérieurs », apporterait la sérénité de notre vivre ensemble pour retrouver la confiance durablement perdue.

J’ai rêvé de la disparition de mots tels que Monsieur plus le Titre, Monsieur plus la Fonction, les mots assujettis ou usagers, afin de réconcilier les citoyens avec leurs représentants et ne plus porter « en symbole » comme un étendard le statut social et politique qui constitue la première apologie du mépris.

J’ai rêvé que tous les candidats et les élus prêteraient attention à toutes les femmes et hommes de leurs collectivités ou circonscriptions, non pas seulement quelques semaines avant les élections sur les marchés, lors de rassemblement ou de réunions selon leurs besoins mais, plutôt tout au long de leur mandature et qui dédieraient leur tout temps et leur engagement au gré des nécessités des populations.

J’ai rêvé que nos dirigeants politiques n’auraient plus comme seul objectif la prise du pouvoir et de s’y maintenir lorsque il est pris ; et que contrairement à ce qui est annoncé, dès que l’on parle de bien de la nation, de république, du souci du peuple, d’intérêt général, c’est fait pour exactement pour défendre l’inverse ; ce qui intéressent nos élites qui nous parle d’intérêt général, c’est leur intérêt personnel ! 

J’ai rêvé d’une politique qui aurait retrouvé le sens du concret, du réel ; de ne plus faire de la politique avec des idées, des concepts, des grands débats, mais la penser en résolution du factuel, de la vérité, de la dignité, du pouvoir d’achat, de l’éducation de ses enfants, de l’accès aux soins et de bénéficier de sa tranquillité.

J’ai rêvé une société dans laquelle, des femmes et des hommes choisis par la population, profondément motivés, missionnaires pour un projet collectif, des personnes qui auraient le sentiment profond de porter une ambition pour leur pays, d’afficher un destin, de communiquer une âme à leurs concitoyens et de donner des raisons profondes de se battre !

J’ai rêvé de décideurs politiques, sans suffisance pour ne point mépriser les personnes, qui leurs permettraient de passer d’une logique de l’obéissance à une logique de responsabilité.

J’ai rêvé d’une société dans laquelle les femmes et les hommes ne paieraient plus la mauvaise gestion, le trop de papiers inutiles, le trop de réunions absurdes, le trop de commissions farfelues, le trop d’incompétence et tout l’argent dilapidé par nos gouvernants!

J’ai rêvé d’un peuple qui pourrait avoir des élus qu’il respecte par isomorphie, qui finiraient par être des représentants politiques respectables, afin d’ériger la confiance en vertu cardinale.

J’ai rêvé d’une société où nous aurions moins de certitudes quand nous devons avoir de plus en plus de convictions, ou nous pourrions croire en un avenir plus prospère, ou pour faire face à l’incertitude, il ne faut surtout pas avoir de certitude que l’on va appliquer à l’incertitude, mais porter des vérités .

        2. Représentation et participation citoyenne

 J’ai rêvé d’une représentation politique, portée par un système de quotas, appliqué à toute la sociologie française et qui, comme un symbole, accorderait le droit à la délégation de responsabilités à des élus correspondant à leurs électeurs.

J’ai rêvé d’un système électoral ouvert à tous, non aristocratique qui permettrait la représentation de tous, d’égal à égal, bénéficiant d’un accès, à la hauteur de tout un chacun, à la parole et aux propositions, et non d’une reproduction des soi-disant « meilleurs » ou « supérieurs » aux citoyens.

J’ai rêvé de représentants politiques, élus ou désignés, issus de toutes les classes sociales et de toutes les origines, qui ne soient pas affidés à de grandes familles, associations, partis ou syndicats, qui ne s’échangeraient pas les postes, une pseudo-élite s’arrogeant tous les pouvoirs, qui ne laisse aux citoyens qu’un ambigu refus électoral, plus fictif que réel, adossés à un « jeu » truqué, par des choix offerts toujours prédéterminés. 

J’ai rêvé d’une démocratie ou les élites accepteraient que le peuple, dans sa multitude, tous les âges, tous les sexes, toutes les origines, toutes les vertus, toutes les misères, pourrait se choisir des représentants fidèles à leurs convictions, qui gouverneraient par délégation selon leur engagement, remis en cause ou révoqués pour non probité.

J’ai rêvé que les citoyens, forcés de s’abstenir pour tous les « rêves »non satisfaits, soient comptabilisés, pris en considération au même titre que les électeurs, certains votants par complaisance ou intérêt, afin d’en « peser » l’accablement.

J’ai rêvé d’une représentation nationale, qui sans considération aucune, s’évertuant à représenter le peuple de France, ne symboliserait plus ses propres intérêts, qui constituée de mandataires et non de « sénateurs », serait au nombre de 1 élu pour 200 000 habitants et 1 désigné pour le même nombre d’habitants.

J’ai rêvé d’institutions politiques ou aucun élus ne pourraient renouveler son mandat dans le temps, ou aucun élus ne s’autoriseraient à briguer plusieurs mandats électifs simultanément, mais s’accommoderaient d’une seule vocation, celle d’incarner son électorat et restituer la confiance apportée à ses représentants.

J’ai rêvé à une société ou les femmes et les hommes peu qualifiés n’entretiendraient plus d’angoisse à l’égard du monde extérieur, et qui éliminerait la fracture sociale actuelle entre ceux qui ont les « bonnes » formations et ceux qui se sont limités à des études secondaires.

J’ai rêvé d’un Parlement ou les « peu » qualifiés seraient représentés au même titre que toutes les autres classes sociales, opposé à une démocratie de « diplômés et de nantis», manifestant ainsi une forte aspiration à un engagement dans la vie des affaires publiques.

J’ai rêvé d’une communauté de citoyens ou la « désobéissance civile » serait brandie par le plus grand nombre, refusant d’apporter sa voix à un gouvernement qui ne respecterait pas des principes de justice et d’impartialité.

J’ai rêvé d’un système d’élection dans lequel le droit de vote serait redevenu une composante reconnue de la citoyenneté, par l’organisation d’une démocratie délibérative qui introduira des chemins vers l’émergence d’avis dument informé et la création d’opinions individuelles.

J’ai rêvé d’une représentation électorale qui serait le reflet objectif des classes sociales et ne pénaliserait pas les catégories affectés par la précarité et l’instabilité professionnelle, avec pour conséquences de fortes inégalités territoriales.

J’ai rêvé d’un système électoral qui n’aggrave pas les inégalités de représentation par des contraintes insupportables et inutiles(ou peut-être utiles !), des démarches d’inscriptions sur des listes, porteur d’isolement et d’ostracisme, engendrant des phénomènes de rejet.

J’ai rêvé de constitution de liste et de dépôts de candidature basés sur une représentativité sociale avérée, caractérisés par des femmes et des hommes au service de leurs électeurs, et non pas d’ « apparatchiks » de la politiques, de descendances claniques ou de transmissions héréditaires.

    3. Communication et médiatisation

 J’ai rêvé d’un journalisme télévisuel, écrit ou sur le Net, respectueux d’un pluralisme, non pas guidé par le poids des partis politiques, mais par la représentativité sociologique de la France, et qui ne serait pas le complaisant d’une propagande au service des élites, des « penseurs pour le peuple » et des puissants.

J’ai rêvé d’une démocratie qui, au-delà des discours des « donneurs de leçon médiatiques », lèverait, par une réconciliation avec les masses, une majorité pour croire en sa pratique universelle, partagée et encouragée.

J’ai rêvé de gouvernants qui, impuissants face à la désespérance, génératrice de désespoir et de colère, et qui, ajouté à leurs incapacités, ne s’accompagneraient pas d’une surexposition médiatique allant du trivial aux conflits futiles.

J’ai rêvé d’une structure sociale dans laquelle les responsables politiques, économiques, journalistiques n’ajouteraient pas à l’accentuation de « l’incidentalisme »qui autorise les journalistes à privilégier les incidents qui attirent les médias au détriment des réflexions de fond, déchainant une hystérie médiatique exagérée et artificielle qui n’est pas de nature à restaurer ni les vérités, ni la confiance.

J’ai rêvé d’une convention clairvoyante ou les élus et les dirigeants politiques prendraient en considération les analyses objectives des intellectuels et des chercheurs de tout bord, afin d’affermir leurs prises de décisions et non de servir de supplétifs aux vedettes des soi-disant « experts »présent dans les médias.

J’ai rêvé d’un système politique ou le dialogue serait permanent entre des responsables élus ou désignés et les citoyens, ou chacun prendrait le temps réfléchir, de s’informer, sans aucune « pression » médiatique, électorale ou « sondagiaire ».

J’ai rêvé d’un gouvernement qui n’administrera que le peu fondamental, se concentrera sur l’édification d’un langage commun et explicite au plus grand nombre afin de refonder une démocratie accessible à tous, créant les conditions de la solidarité sur les désaccords qui déchirent la société.

J’ai rêvé de schéma médiatique qui assurerait l’égalité d’accès à la parole publique et aux outils de communication, en particulier à certains groupes sociaux à qui l’on n’accorde aucune visibilité médiatique, qui n’ont aucune capacité de défendre leurs opinions et qui font l’objet de stigmatisation.

J’ai rêvé de citoyens à qui l’on attribuerait toute latitude pour prendre le temps de la réflexion et élaborer des propositions et des avis responsables, contrairement à la pratique des sondages d’opinion, méprisant le principe du délai de discernement et donnant corps à des préjugés.

J’ai rêvé d’une nation ou le consentement des citoyens ne serait plus accordé aux représentants de celle-ci à la vue des servitudes endurées, ou les citoyens ne se résigneraient plus face aux injonctions médiatiques et sauraient dire non à toutes les décisions contraires à l’intérêt général!

J’ai rêvé que nos élites politiques et médiatiques ne confondraient pas, par isomorphisme les pyramides hiérarchiques et sociales, le fait qu’étant « tout puissants », nous laisseraient à penser qu’ils nous sont socialement supérieurs, mais que hiérarchiquement différent, ils sont socialement à égalité de citoyenneté et ne pas méconnaitre que les fausses révérences engendrent les vraies hypocrisies.

J’ai rêvé un Etat dans lequel l’obligation d’enseignement ne serait plus affichée par les médias et les gouvernants, mais qui engagerait un budget pour l’éducation dont exigent les femmes et les hommes pour bénéficier des compétences requises par l’économie et la société, condition indispensable à la survie de la cité.

J’ai rêvé de citoyens qui voient dans le regard des responsables politiques quelque chose qui ressemble à un espoir, une vision, un projet, une passion, qui admettront que ce qui nous a fait gagner hier peut nous faire perdre demain, et qui prédiront moins pour plus se projeter.

J’ai rêvé que le nombre de personnes, qui regrettent le passé sera moins important que les citoyens qui ont l’appétit du futur sinon, nous reviendrons au passé ; les faillites ne sont pas un hasard, c’est un environnement dans lequel le peuple n’a plus d’espoir.

J’ai rêvé d’une nation de visionnaires dans laquelle on ne prédirait pas l’avenir, mais on aurait l’envie de faire avec les femmes et les hommes un Etat meilleur sur le plan économique, meilleur sur le plan social, meilleur sur le plan environnemental, et qui s’engageraient sur des décisions impopulaires et peu médiatiques pour servir l’intérêt général de demain.

J’ai rêvé de responsables politiques visionnaires dans les projets, passionnant dans l’exécution, positif dans la conduite, exemplaire dans la morale pour rendre des femmes et des hommes apparemment ordinaires, des citoyens extraordinaires.

J’ai rêvé d’un Etat où les hommes politiques ne feraient pas de la politique leur métier mais leur passion d’un temps, sans visée à long terme, à y mettre toute leur force et leur conviction, avant de s’en retourner à leur véritable profession, car la recherche de l’élection sans fin est la mort de l’intérêt général et la victoire du populisme.

     4. Conclusion

 J’ai rêvé, contrairement aux « Faits du Prince » que, pour parvenir au pouvoir, tout n’était pas possible, et que pour s’y maintenir, tout n’était pas acceptable. !

J’ai rêvé, comme Mirabeau, que lorsque nous voyons ou nos belles têtes ont mené le pays, il ne serait pas inutile d’essayer les mauvaises !

« Soyez donc réso­lus à ne plus servir et vous serez libres »

Le discours de la servitude volontaire(1549)

Etienne de la Boétie(1530-1563)

Les jeux pédagogiques de l’IASG au sein du Mastère Spécialisé® Management des Organisations du Sport à Audencia Business School

Explication et interview avec Guy Bulit, président-fondateur de l’IASG (Innovative Active Sports Games) et intervenant-formateur dans le programme Mastère Spécialisé® Management des Organisations de Sport (MS MOS) – Audencia Business School

Mastère Spécialisé® Management des Organisations de Sport (MS MOS)

Source d’origine de l’article (2016) : Nouvelle année, nouvelle promotion et nouvel article !

En cette nouvelle année, le blog du mastère spécialisé Management des Organisations de Sport (MOS) fait son retour ! L’ensemble de la nouvelle promotion vous souhaite une bonne année 2016 et vous propose un premier article, sous la forme d’un interview.

Le 24 novembre dernier, le MOS accueillait pour la première fois M. Bulit dans le cadre du module “Acteurs et régulation des flux” pour un cours de contrôle financier. La promo, séparée en 2 groupes, allait vivre 3 jours originaux, où le cours ne se déroulerait pas assis derrière une table, mais par terre autour d’un plateau de jeu. Retour sur cette expérience avec l’interview de M. Bulit et l’avis de quelques étudiants.

M. Bulit, pouvez-vous nous expliquer le déroulement du cours que vous nous avez proposé durant ces 3 jours ?

C’est un cours assez simple qui est composé de modules d’auto-formations permettant de se remettre à niveau, et d’une grande partie de mise en pratique via un jeu qui simule la vie d’une entreprise. L’objectif est d’être au plus proche des métiers que les étudiants pourront exercer demain.

Cette simulation a pour finalité la prise de décision des étudiants, de les mettre face aux problématiques qu’ils auront à gérer dans leur carrière.

J’ai choisi ce format de cours car je m’adresse à un public proche de l’activité professionnelle. Lorsqu’on est en bac+6, on n’est plus en âge de perdre du temps, il faut de l’efficacité, on n’est plus là pour apprendre de manière scolaire par le biais de cours magistraux, mais on doit maitriser les acquis, et savoir les manipuler, d’où l’application par le jeu.

Pourquoi ne pas s’être contenté de l’établissement des reportings classiques du contrôle financier (compte de résultat, bilan, etc.) ?

Aujourd’hui, beaucoup de managers demandent des reportings, sauf qu’ils ne nous apportent “rien du tout”. La finalité d’un manager, c’est de faire des propositions, mettre en place des actions, prendre des décisions et mesurer l’impact de ces décisions.

L’idée du cours n’est pas de s’arrêter aux chiffres, mais d’avoir une vision managériale. Il faut également intégrer des données économiques. Aujourd’hui, tout le monde est évalué sur ses résultats économiques. Il faut donc mettre en relation ces résultats économiques avec les décisions que l’entreprise peut prendre. Il ne faut pas oublier que les résultats sont un moyen et non une finalité. Ils sont un moyen pour décider de nouveaux investissements, de nouveaux plans d’actions.

Quelles dimensions sont prises en compte dans ce jeu ?

On prend en compte toutes les dimensions : choix de la stratégie, des actions que l’on va mettre en place (R&D, marketing, vente, management, etc…), d’interprétation et d’analyse des résultats, être force de proposition et de mise en action, etc.

A quel niveau de formation faites-vous vos cours ?

Je donne mes cours dans les mastères 1 et 2 et Exécutive qui forment aux métiers du domaine du Management du sport.

Comment développez-vous vos jeux ? Combien cela vous coûte-t-il ?

Tout d’abord, j’ai le statut d’autoentrepreneur. Lors de la création d’un jeu, je suis le maître d’œuvre. C’est-à-dire que je construis le cours, je mets en place mes outils de simulation Excel et je construis ma pédagogie autour du jeu (architecture, durée, objectif, séquence de jeu, comment je vais dérouler mon cours, etc.). Ensuite, une amie m’aide sur la finalisation du modèle Excel. Enfin, je fais appel à un spécialiste de création de jeu pédagogique qui me propose le processus du jeu, met en forme l’ensemble des supports et fait les adaptations nécessaires. Il est aussi en charge de l’impression. Au final, un jeu coûte environ 3000 €.

Parlons un peu plus de vous. Quel a été votre parcours ?

Je viens du milieu industriel. J’ai été entre autre directeur de supply chain, directeur d’une filiale d’une société spécialiste de moules industriels. J’ai aussi été directeur de filiale dans un centre de formation, et en 2006, j’ai développé une pédagogie basée sur la mise en œuvre de jeu applicatif.

Depuis 2 ans, j’ai démissionné de toutes mes responsabilités afin de me consacrer entièrement au développement des jeux. J’ai terminé un MBA Executive dans le Management du sport afin d’avoir une reconnaissance Universitaire qui donnera de la consistance à mon CV pour pouvoir mieux diffuser mes connaissances métiers en appliquant les concepts pédagogiques qui me semble les mieux adaptés à l’apprentissage professionnel .

Comment voyez-vous la suite de votre activité naissante ?

Je souhaite dans un premier temps continuer de développer mes jeux. A l’heure actuelle je dispose de 4 jeux pédagogiques dont un qui est en cours de finalisation avec l’aide du LOSC au sujet des problématiques financières d’un club (comment apprend-on la décision d’acheter une star, l’impact sur le merchandising, les médias, la justification économique et sportive d’un Centre de formation, etc.). À plus long-terme, ma finalité est de faire des conférences sur le management.

Retour des étudiants :

“Très interactif. On apprend plus vite en faisant des jeux de simulation qu’en faisant un cours magistral de finance (ma formation initiale). C’est un cours très agréable. C’est d’ailleurs la première fois que je reste 1h30 après un cours.”

“C’est un cours très ludique. La mise en pratique est très concrète. C’est un cours qui apporte une vraie plus-value pour notre futur car on cherche à comprendre les ratios et non pas seulement les calculer. On simule des décisions qu’on aurait pu prendre dans la réalité”

Propos recueillis par Emeline Le Thomas et Aurélien Hénon