Radicalisation de la critique sociale

Convergences des résistances vers les désobéissances sociales

Faire face à la guerre sociale

Le projet de ce livre, issu d’un ensemble d’expériences sociales et professionnelles, constitue une somme de réflexions accumulées depuis plus de quatre années et traduit la transformation intellectuelle d’un citoyen engagé. 

D’origine sociale issue d’une famille humble et modeste, accaparée par les difficultés économiques, je me retrouvais, devenu adulte,  rapidement à accepter un projet social qui devait me permettre d’assurer ma survie, dans un environnement que je pressentais parsemé d’aléas.  

L’analyse de mon parcours réflexif permet de retracer l’émergence d’une conception d’un courage des gouvernés, entre la désobéissance et le désengagement social. Un courage qui s’affirme comme une attitude, une reformulation de la relation que chacun entretient avec soi-même. Un courage qui serait pensé sur le mode d’une conquête de l’autonomie, un courage qui consisterait aussi au refus de l’emprise du pouvoir sur la conduite de nos existences. L’urgence de notre lucidité doit être de s’extirper de notre docilité.

C’est pourquoi j’ai souhaité écrire ce livre pour revenir au fondement de la citoyenneté afin de penser un courage comme fidélité à soi-même, fidélité à la manifestation de la pluralité humaine et comme support à un existence responsable et engagée.

La première forme de la désobéissance sociale consiste en la rébellion. Le rebelle est celui qui ne se plie pas aux ordres, le rebelle n’est pas réfléchi, la résistance s’inscrit dans son caractère.  Ainsi, il arrive que des individus soumis deviennent des rebelles, surtout lorsque les réserves de la propension à la soumission ont été épuisées.

La rébellion va du simple refus d’obéir à la révolte non violente. Au lieu de courber la tête, le rebelle se relève, fait face et regarde droit dans les yeux les dominants. Alors qu’il suffit de ne pas vouloir obéir pour être rebelle, la révolte suppose l’action. Les actes de résistance, les positions de refus, les comportements de désobéissance sociale traduisent les formes à engager face à toutes les injonctions exigées. A. Camus définit ainsi l’homme révolté : « un homme qui dit non » (Camus, L’Homme révolté, 1965).

Dans le passage de la rébellion à la révolte, l’on observe, pour le premier, le simple refus d’obéir, alors que pour le second, l’on conditionne la désobéissance du révolté à des justifications sociales. La désobéissance sans âme et sans raison tourne court et se transforme souvent en une nouvelle forme de soumission.

Dans mes réflexions, j’ai toujours conçu que la désobéissance sociale devait considérer sans relâche que nos intérêts étaient différents de ceux des dirigeants et que nous ne devions jamais nous laisser persuader du contraire. Les dominants recherchent le pouvoir, l’influence, la richesse, comme des fins en elles-mêmes alors que nous, citoyens, attendons la santé, la paix, l’activité créatrice et l’amour. Les décideurs, grâce au pouvoir et aux richesses qu’ils détiennent, ne manquent pas de porte-parole pour défendre leurs intérêts. Pour nous, individus femmes et hommes, cela signifie que nous avons l’exigence de comprendre la nécessité de penser et d’agir par nous-mêmes, en accord avec d’autres membres de la collectivité.

J’aborde une critique sociale radicale, dans le sens d’une critique compréhensive, d’une critique pragmatique, renouant des liens avec les perspectives d’émancipation cultivée par la désobéissance sociale et inspirée par mes bifurcations professionnelles et mes expériences successives. Nous pouvons concevoir que la pensée de la désobéissance sociale pourrait représenter la condition de l’émancipation des citoyens. Mais aussi, la compléter comme un processus d’autonomisation par rapport à des logiques de domination, supposant l’accroissement des capacités d’expression, d’être entendu et de faire entendre sa voix.  La désobéissance sociale affirme des perspectives de dépassement face aux dominations, porteuses de mécanismes incapacitants comme l’humiliation, la perte de confiance, la dévalorisation, la honte, la culpabilité, le mépris social, transformant les interactions entre les dominés et les dominants et ainsi, favoriser l’émancipation. Et elle peut même ajouter des ressources dans l’outillage de ceux qui s’efforcent aujourd’hui de repenser des stratégies menant à une critique sociale radicale.  

La désobéissance sociale ne peut se limiter à des modifications limitées au sein des structures dominantes, mais elle doit être mise au service des acteurs, dans un horizon de transformation radicale pour nourrir une contestation plus globalisée, en lien avec d’autres formes d’actions, comme les résistances aux injonctions, les luttes revendicatives et les expériences alternatives.

L’usage de la désobéissance sociale peut participer à réinventer une voie pour une transformation sociale du XXIe siècle. Cela suppose de ne pas opposer désobéissance et rébellion, mais de procéder à un réagencement associant les trois supports sociaux que sont la critique sociale radicale, la désobéissance sociale et l’émancipation, produisant ainsi une logique de défatalisation des impératifs sociaux dominants, condition nécessaire pour déployer un enclenchement de processus de réappropriation de droits sociaux.

Face à des médias qui appartiennent la plupart à des groupes capitalistes qui ont toutes les raisons de ne pas vouloir que certaines opinions s’expriment, face à l’endoctrinement porté par ces supports de communication, j’ai un seul objectif – encourager les lecteurs à entreprendre une démarche qu’on pourrait qualifier « d’autodéfense intellectuelle » et suggérer des manières de procéder. Autrement dit, aider les citoyens à saper les efforts soutenus consacrés à « fabriquer le consentement » destinés à les transformer en corps apathiques pour ensuite, en produire des supports sociaux comme pour outiller les individus afin de présider à leur propre destinée.

Les capacités de coercition diminuant, il est naturel de chercher à contrôler l’opinion pour l’autorité et la domination des élites.  Ma préoccupation est d’aider les salariés, femmes et hommes à contrecarrer les efforts de ceux qui entendent régner sur l’esprit des citoyens. Notre discernement doit nous permettre de confondre les auto-désignés – les hommes responsables – de mener leurs affaires du monde en toute quiétude.

À la suite de Georges Orwell, j’ai perçu que les élites devaient réprimer la mémoire, mais aussi la conscience de ce qui se passe sous nos yeux, car, si la population comprend les desseins des dirigeants, il devient impératif de s’opposer à ces funestes projets de destruction des conditions sociales si durement conquises.  D’années d’expériences en réflexions alternatives consacrées aux méthodes de battage managérial, m’ont convaincu que celles-ci sont mobilisées afin d’obtenir un vaste soutien aux intérêts particuliers qui dominent la sphère des entreprises, des gouvernants au service du secteur privé.

Finalement, il s’avère effectivement que les puissants sont en position d’imposer la trame des discours, de décider ce que le bon peuple a le droit de voir, d’entendre et de penser pour mieux conditionner l’opinion à coups de campagnes de propagande, bien éloignées de la réalité.

Un grand nombre d’intellectuels ou de professionnels de la politique s’insurgent contre une prétendue « culture de l’excuse » véhiculée par la sociologie quand elle rappelle le rôle des déterminants sociaux.

L’objectif de ce discours, induit par cette idéologie de la responsabilité est clair : légitimer les dominants et les vainqueurs de toutes sortes, notamment ceux qui réussissent scolairement comme professionnellement. Nous sommes riches, mais nous ne le devons qu’à nous-mêmes, nous sommes scolairement brillants, mais cela tient uniquement à nos qualités intellectuelles, ou à la méritocratie. Nous sommes célèbres et reconnus, mais c’est exclusivement grâce à notre exceptionnel talent. La domination de certains groupes sur d’autres n’est que la résultante de choix ou de réussites individuelles, en dehors de toutes logiques sociales.

Sans s’interroger sur quel type d’individu donne son consentement, à la suite de quoi, dans quelles conditions sociales se crée sa production, après quelles séries d’expériences, dans quels contextes sociaux, économiques, politiques ou culturels, on ne perçoit pas la réalité objective des rapports humains.

Quelle que soit la nature de la domination, économique, politique, culturelle, sexuelle, sociale, je m’appuie sur les pratiques du consentement pour comprendre la domination et loue ceux qui ont la déférence de percevoir les arrière-pensées des gouvernants, démontrant par-là, la traduction du consentement volontaire, consentement individuel qui efface toute idée d’asservissement.

Comprendre appelle à s’appuyer sur les sciences sociales afin de produire les conditions d’interprétation et la recherche des causes sociales, origines de toute la détresse humaine.

La dimension eudémonique renvoie au travail pensé, à tout ce qui fait que l’individu estime qu’il peut s’accomplir dans le travail. Ce terme provient du grec « eudaïmon » qui signifie « bonheur ». Dans le domaine du travail, il s’agit du sens que l’individu donne et trouve à son travail, de la façon dont il s’y réalise.

La dimension hédonique (Du grec ancien « hédonè », signifiant « plaisir ») renvoie au travail ressenti, sous la forme d’émotions positives et négatives éprouvées au travail. Dans le champ du travail, elle a plutôt trait à des domaines qui relèvent de l’opinion, et sont particulièrement malléables en fonction du contexte voire de l’humeur des salariés

Désormais, la performance des organisations est obligatoire, c’est l’une des conditions de leur survie. Mais elle ne peut plus être exigée à n’importe quel prix humain.

À quoi bon perdre sa vie à la gagner ?

C’est dans une telle situation de crise que j’examine, avec lucidité, les signes de la résistance. Depuis de nombreuses années, j’assiste à des stratégies de survie et à la débandade des forces sociales. Les individus s’incrustent dans la zone grise de la précarité, s’accrochent désespérément aux reliquats d’acquis sociaux tout heureux qu’ils puissent encore passer sous les fourches caudines des dirigeants d’entreprises. Les malchanceux, écartés de la rationalité économique, même plus exploitables, sont laissés-pour-compte, à la désespérance sociale et au dépérissement humain. Il aura fallu de longue série de mouvements sociaux et de provocations médiatiques pour que la misère sociale échappe à la cécité collective. Il s’agit, maintenant de rencontrer une résistance à l’exclusion économique, à l’exclusion sociale, à l’exclusion climatique par le courage intellectuel et politique et de renouer avec une critique radicale de l’ordre social présent.

Les décisions politiques et économiques répondent à des logiques de rentabilité, scellant le sort de milliers de salariés dont un certain nombre grossira les rangs des exclus sociaux. La précarité sociale devient le terreau des peurs, des haines, des ressentiments qui, paradoxalement, se portent sur ceux-là mêmes dont la menace d’exclusion se rapproche. Je pourrais penser que la répression suffira à dissuader les rebelles, mais c’est oublier que toute confrontation violente accroît la fracture sociale qui se trouve, bien souvent, à la source des mouvements de désobéissance.

La fracture sociale décrite trouve son origine dans les disparités économiques et socioculturelles, disparités qui ne se manifestent plus seulement dans des rapports inégalitaires ou d’exploitation économique, mais aussi par des mécanismes d’exclusion de couches sociales entières du bénéfice de droits élémentaires – droit au logement, droit au travail ou à un revenu décent, droit à l’éducation, droit à la participation active à la vie publique.

Exclusions qui, loin d’être les effets accidentels d’une conjoncture économique, sont renforcées par des dispositions légales régissant de façon restrictive le droit aux prestations sociales, les conditions d’intégration des classes défavorisées, les possibilités de réinsertion économique, la sécurité de l’emploi, ou l’autonomie du salarié face à son employeur.

À l’opposé, une complète liberté est laissée aux maîtres du jeu économique planétaire, d’agir en fonction de leurs propres intérêts, fût-ce au prix de la dérégulation sociale et de la paupérisation de régions entières.

Parti d’une culture du pauvre, mes bifurcations professionnelles, socle de mes trajectoires, ont construit mon matriçage intellectuel, renforcé en cela par mes divers apprentissages sociaux pour arriver à la fabrication sociale d’un individu sensible aux évolutions de l’environnement économique et entrepreneurial.

Les constats de dégénérescence sociale, de l’hégémonie gestionnaire dans les entreprises, la singularité de l’homme unidimensionnel ont nourrit ma critique sociale.

La déconstruction des pouvoirs et des relations dans l’entreprise, les espaces de résistivité associés au discernement organisationnel m’ont autorisé à relever le défi de devenir un individu singulier.

Par la réinvention d’un nouveau contrat social, par la volonté d’exprimer mon courage de la liberté, par des actes de résistance et de désobéissance sociale, j’exprime une sensibilité personnelle, destinée à produire des supports et des outils servant la justice sociale.     

La dénonciation des méthodes de défaisance sociale, l’émergence de nouvelles voies de sorties des relations sociales, la résonance avec l’actualité concernant des mouvements sociaux inédits constituent une démarche singulière pour répondre à la misère grandissante des nombreuses couches de la population. 

Ma conclusion témoigne d’une volonté de sortir de cette illusion de la liberté qui nous est proposé depuis des décennies afin d’imaginer d’autres formes de valeurs du travail.

H. D. Thoreau nous rappelle à la volonté et à la conscience individuelle de l’individu. Pas besoin d’être en groupe pour s’opposer et résister. Le fait de penser l’action individuelle de cette manière nous incite aux résistances et à la désobéissance sociale.

Dans l’ouvrage « Civil Disobedience ou Désobéissance civile », écrit en 1849, H. D. Thoreau cite : « même si le gouvernement a été choisi par le peuple pour exercer sa volonté, le citoyen ne doit pas abandonner sa conscience au législateur, le respect de la loi vient après celui du droit. »

Diplômé des DESS de l’IAE Grenoble et de l’IAE Paris, d’un MBA de l’ESG Executive et d’un Executive Master de Sciences Po Paris, Guy Bulit est intervenant et formateur auprès d’Audencia Business School, MBA ESG, ESG Guadeloupe et ESG Sport, AMOS Business School, Sport Management School et ISC Business School.

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