Trajectoire biographique au milieu de scènes d’interactions et de socialisation

Source de l’article d’origine : Trajectoire biographique au milieu de scènes d’interactions et de socialisation – Mediapart.fr – Le blog de Guy Bulit

Un gouvernement, des dirigeants qui ne trouvent pas indigne que leurs concitoyens, leurs employés usent de prérogatives pour obtenir la réalisation de leur autonomie, de leur responsabilité, de leur bonheur et de leur liberté obtiendra la reconnaissance de toutes ces femmes et hommes pour là et maintenant, et qui perdura au travers des générations.

En ce qui concerne les choses humaines, ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas s’indigner, mais comprendre. Spinoza.

Issu d’une famille modeste, d’un milieu rural, père agriculteur puis agent municipal, mère au foyer, je n’ai pas eu le bénéfice de ce que Bourdieu nomme « le capital culturel ». L’attention porté par ma famille à mon encontre valait toutes les cultures possibles, pensait-je à ce moment-là !

Ma personnalité s’est affirmée au travers de mes diverses expériences professionnelles, identifiées très tôt comme source de progrès social et humain.

Dès mon plus jeune âge, j’ai commencé à multiplier les emplois saisonniers d’étés afin de pourvoir à mes propres besoins économiques sans me soucier des conséquences sur mes capacités intellectuelles. Un seul objectif me guidait, celui de survivre dans un environnement que je nommerai hostile.

Mon parcours scolaire, déstabilisé par les incessants déménagements de mes parents, m’ont conduit rapidement vers des filières professionnelles. Sensibilisé très tôt aux contraintes économiques et sociales de mon environnement familial, j’intégrai enfin un lycée technique avec une motivation décuplée qui me permis de surnager et d’obtenir des résultats encourageants.

Destin porté par un ami proche, reçu par sa famille, fils de réfugié républicain espagnol, je découvris George Orwell et « Son Hommage à la Catalogne » qui me mit en relation avec les approches anarchistes et marxistes. La richesse des analyses des relations entre les militaires, sans expériences et avec leur hiérarchie me permit de me familiariser avec le système de fonctionnement démocratique instauré par l’Armée Populaire espagnole.

Décrit par Orwell, le point essentiel était l’égalité entre les officiers et les hommes de troupe, avec comme finalité de réaliser une société sans classe. Orwell, très critiqué, défendais ce mode de gouvernance égalitaire.

Fortement influencé par les relations humanistes des milices espagnoles républicaines et la lecture de Orwell, je me construisis dans cet environnement social qui me déterminait à devenir le citoyen que mes origines m’avaient tracé.

A cette époque-là, ma soif de vivre me poussait à multiplier les petits « jobs » d’été, aider en cela par mon père qui se démenait pour me trouver quelques opportunités. Très jeune, rapidement je travaillais comme ouvrier agricole et découvrit le dur labeur des champs qui commençait à forger en moi l’idée que je devrais aller contre les déterminismes sociaux que je portais.

Une deuxième expérience d’été me donna l’occasion de découvrir les contraintes de l’entreprise agro-alimentaire dans laquelle je multipliais les heures de travail afin de percevoir un salaire décent qui me permettait d’obtenir une relative liberté sociale vis à vis de ma famille.

Et aussi d’appréhender les premières relations hiérarchiques telles qu’elles pouvaient être pratiquer dans ces circonstances particulières tant par le climat social de la période que par l’absence de gratitude de la part des cadres dirigeants.

Et j’expérimentais mes premiers pas de refus de cette forme de relation vis-à-vis d’un contremaitre qui m’imposait des travaux très dégradant et que je devais seul assurer. Malgré mon jeune âge, mon indignation, traduite par une première colère sociale m’amena à refuser d’exercer cette mission et, après gain de cause, je changeais de poste, et pris conscience de la misère et de l’exploitation de la classe ouvrière.

Mes premières réflexions devaient me convaincre de m’immerger au sein de la classe des salariés, être l’un d’eux et comprendre avec eux les relations sociales bâties sur l’autorité. Mu par ma solitude, j’aiguisai mes pensées portant sur l’oppression subi par les employés de ce monde industriel et agricole. C’est ainsi que mes réflexions s’orientèrent vers le sort de la classe ouvrière. Pour la première fois, je prenais conscience que je faisais partie de cette classe et, conjointement avec eux, j’étais une des victimes symboliques de ces injustices.

Il me suffisait d’abaisser mon regard sur cette terre pour découvrir une classe ouvrière souffrant des humiliations, insupportables à endurer et dont j’allais partager l’humilité. D’un autre côté, à cette époque, je ne m’intéressais pas spécialement à la politique, pas plus qu’à toute autre doctrine économique. Il me semblait alors que l’injustice économique cesserait le jour où nous le voudrions vraiment, lorsque nous résisterions à l’aliénation qui détruit chacun d’entre nous.

 Toute mon adolescence se mélangeait entre mes travaux d’été et mes études lycéennes qui confortèrent, expériences après expériences, mes convictions que la seule chose au nom de laquelle nous pouvions combattre ensemble, c’était l’idéal vers lequel nous devions tendre : le sens de la justice et de la liberté.

Par ces motivations, ma première alternative intervint au moment de ma décision à faire mon service militaire ou pas et dans quelle condition.

Ma réflexion me conduit à accepter le service militaire afin de ne pas nuire à ma famille et à mes futurs projets ; tout en exploitant toutes les failles de l’organisation militaire, refuser tous les exercices militaires, et avoir comme seul horizon l’objectif de passer le moins de jours possibles dans ce cadre verrouillé.

 Observateur objectif du climat social qui m’entourait, je désirais déterminer si l’état des choses que je vivais était tolérable ou intolérable et si dans le monde qui était le mien, certains faits ou évènements sociaux présentaient une exigence morale de nature à justifier une forme de refus de l’autorité.

Pour G. Orwell, « les classes sociales empêchent toute communication : ce sont des aquariums que l’on ne peut franchir, mais abolir les classes d’un autre côté, c’est en quelque sorte, perdre de sa personnalité, de son éducation, de ses goûts, de sa morale »

C’est dans ce paradoxe que j’inscrivis mon futur parcours professionnel. Faire en sorte d’abolir mes origines sociales et sortir de mon univers familial ou participer à une forme de compromission personnelle en intégrant un univers économique dont je pressentais les méfaits humanistes. Ma situation familiale et financière ne m’offrait aucune alternative et j’assimilais les préceptes entrepreneuriaux pour me projeter dans des projets professionnels que je pensais pouvoir élaborer le plus rapidement possible.

Pour contre balancer mon arbitrage, je m’appliquais immédiatement à ne pas renier mes origines et à contribuer, sous quelques formes que ce fut, au respect des individus avec lesquels j’aurais à collaborer, leur apporter toutes les marques de considérations, toutes mes compétences pour les faire progresser socialement.

Partager entre les diverses responsabilités dont j’assumais la charge avec le maximum de résultat et la poursuite de mes études supérieures en alternance, je me forgeais une capacité de réflexion, dans un premier temps, en orientant mes thèmes d’observations sur le monde de l‘entreprise et dans un second temps sur mes interrogations sociales de ce monde-là.

A la lecture de nombreuses revues et nombreux livres sur le Management d’entreprise, que j’abandonnais après quelques années d’expériences et d’applications, j’orientais mes centres d’intérêts vers les approches sociales et humanistes rencontrées dans le champs politique et économique.

Mes pratiques professionnelles me mettaient en présence de questionnements pour lesquels j’apportais des réponses les plus objectives possibles, me heurtant aux différentes hiérarchies qui s’appliquaient à me faire dévier de mes convictions.

La lecture « Quai de Wigan » de G. Orwell m’éclairait sur les pratiques sociales qui étaient en cours et susciter en moi nombre d’interpellations que j’essayais de traduire dans mes gestes professionnels.

Les conditions de travail, la montée inéluctable du chômage, la situation du logement, l’état d’alimentation des salariés, me procuraient une forme de refus de ces circonstances et m’interrogeait sur les causes et les origines de celles-ci.  

Le système de classes sociales a pour caractère essentiel de ne pouvoir s’expliciter qu’en terme économique. Il s’agit d’une stratification par la fortune sur lequel vient se greffer un système de castes auxquelles s’ajoutent le poids des traditions. En cela, on hérite ainsi d’un certain prestige social qui a d’avantage de signification que l’argent lui -même et constitue une distinction sociale. Et plus je croisais les différents niveaux hiérarchiques et plus je constatais que des personnes avaient bénéficié de cette différenciation pour imposer une autorité fondée sur ce statut au détriment des compétences professionnelles.

Je vérifiais que la classe moyenne considérait les ouvriers, les salariés, les employés souvent comme des gens insignifiant, sous-entendu des « sous-individus » et les dénigraient facilement, jugeant que leurs comportements étaient inscrits dans leurs gènes. 

Simultanément, je percevais que les différences de classes étaient insurmontables, que les barrières sociales se hérissaient entre les personnes comme des fossés qu’il était difficile de franchir. Finalement, ces distinctions sociales ne pouvaient pas s’effacer, tant les conditions économiques et originelles des personnes étaient là pour me le rappeler.

Le monde salarié est composé de deux types d’individus ; d’un côté, il y a ceux celui qui restent égaux à eux-mêmes et qui continuent d’occuper les mêmes fonctions et de l’autre ceux qui ont poursuivi leurs études, leur permettant ainsi de s’élever dans la société, ce dont je fais partie. Quoiqu’il en soit, la rencontre entre les deux mondes, celui des dominants et celui des dominés ne peut avoir lieu que lors des conflits sociaux ou des résistances aux soumissions.

Depuis toutes ces années, les profits sont devenus colossaux, les salaires patronaux exorbitants et on assiste bien à une précarisation de l’emploi qui se fait au détriment des salariés dont les situations sont de plus en plus intolérables.

Et force est de constater que la situation n’a guère évolué. L’ouvrier, le salarié est bien quelqu’un qu’on manipule et qu’on ne respecte pas. Malgré tous les dossiers analysant les potentialités de poursuite d’activité lors des crises sociales, qui ne présentent aucune utilité puisque les décisions de cessation ont été prise bien avant par les institutions publiques, les actionnaires et les dirigeants, démontrant le plus grand mépris pour les individus sans travail. De plus, comme pour « acheter » les approbations sociales, les propres responsables des défaillances d’entreprises proposent des sommes importantes afin de les fermer sans rébellion, tout en contribuant à diviser les salariés, décisions qui attestent d’une indifférence insoutenable vis à vis des conséquences des fermetures de firmes et d’un désintérêt pour l’avenir de ceux-là. Par ces modalités de tromperie, ces comportements patronaux fait de mauvaise foi, on pourrait évoquer une forme de totalitarisme des classes dirigeantes et pour elles, la fin justifierait les moyens.

Nous pouvons remarquer que les classes sociales ont évolué. Les ouvriers, que l’on appelle maintenant agents de production, employés, techniciens de je ne sais quoi, tendrait à faire penser qu’une classe est en train de disparaître. Cependant, les rapports de force entre les classes sociales se sont déplacés vers des considérations incluant la vie sociale, économique et culturelle, mais n’ont pas disparu pour autant.

Les salariés sont tout autant exploités qu’il y quelques dizaines d’années et sont toujours moins reconnus et plus méprisés par la classe dirigeante. Les actionnaires, de plus en plus arrogant, se réservent en effet des profits de plus en plus importants et organisent une précarité toujours plus pesante sur le reste de la société sans en mesurer les effets, comme si finalement les salariés n’existaient plus, soutenus par des hommes politiques qui ne sont pas en reste.

 Quant au chômage, il frappe toujours de plein fouet les générations actuelles et ce, de la même manière qu’il touchait les familles de la fin du siècle dernier. Avec pour changement, une propension à rendre responsable, celui qui ne sait pas trouver du travail là, où il pourrait exister, sanctionner par sa résignation, pendant que les dirigeants qui délocalisent pourtant leurs entreprises ou qui licencient pour faire monter leurs actions coulent de beaux jours.

« Nous avons tous quelque chose à gagner du socialisme » disait George Orwell, il prenait position pour une société sans classes. Il avait anticipé ce qu’il advient ou, aujourd’hui, on assiste progressivement à la disparition de la classe moyenne. Bientôt ne subsistera plus que deux classes, celle des riches et celle des pauvres ou celles qui auront su mieux profiter du « capital culturel » transmis par les générations passées. Le libéralisme économique continue à broyer des vies entières mais il n’y a que les producteurs de cinéma belges et britanniques pour s’en émouvoir. La culture ouvrière a du mal à résister, les syndicats abdiquent généreusement et nous nous trouvons dans la situation, ou nourri par les injustices sociales et le désordre libéral, progressent les haines entre les populations. Près de un demi-siècle après, nous avons le devoir de nous interroger sur les changements ou plutôt les non changements dans la société actuelle et l’impératif de nous détacher de nos servitudes.

Lors de mes premières responsabilités en tant que technicien méthodes, j’ai côtoyé les ouvriers et ouvrières de près. Mes relations étaient basées sur le respect, l’objectivité et les explications sur les approches du métier dont j’assumais la tâche.

Pendant cette période, j’ai découvert deux livres qui corroboraient mes impressions professionnelles touchant aux relations de travail.

« La condition ouvrière et Les réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale » de Simone Weil m’ont montré comment le travail est au centre de l’analyse de l’oppression que dessine Simone Weil parce que le travail de masse, dans lequel l’ouvrier n’est qu’un exécutant mécanique d’un processus qui lui échappe, appauvrit la pensée, ce que je constatais après chaque journée passé auprès d’eux.

« Rien ne paralyse plus la pensée que le sentiment d’infériorité nécessairement imposé par les atteintes quotidiennes de la pauvreté, de la subordination, de la dépendance. La première chose à faire est de les aider à retrouver ou à conserver selon le cas, le sentiment de leur dignité ». Simone Weil « La Condition ouvrière ».

De par mes pratiques dans les ateliers, il s’agissait de rompre avec une vision théorique des enjeux sociaux. Entrer à l’usine c’est, comme le dit Simone Weil, à de nombreuses reprises, « entrer en contact avec la vie réelle ».

Je participais à chaque offre d’emploi, au recrutement des opérateurs ou opératrices afin de pourvoir les postes de travail en demande. Dès l’embauche, on percevait l’humiliation lorsque, en milieu rural, on n’en « mène pas large » quand on vient quémander un tout petit emploi manuel, avec pour toute réponse « rien » aux questions sur les diplômes, les qualifications, sur ce qu’on sait faire de particulier et je pouvais discerner dans leurs yeux l’humiliation de ce « rien ». Quant à moi, je notais que les contre maîtres, dès l’arrivée d’un candidat ouvrier insoupçonnable, se faisait leurs réflexions comme, « voilà un homme de la campagne, endurant à souhait, mais pas très dégourdi, c’est l’individu souhaité, il ne fera pas d’histoires ». Ces récits convergent de manière aussi radicale l’un et l’autre sur un point : à l’usine, on n’est « rien », le gage de cette authenticité tient à cet étonnement dans les pratiques du réel.

Si pour Simone Weil « le premier détail qui, dans la journée, rend la servitude sensible, c’est la pendule de pointage », chaque jour, je vérifiais que l’aliénation consistait en la réification du temps, temps que nous devions comptabiliser, le mettre sur le « bon » de l’ouvrière, inscrit « temps perdu ou temps passé » et en feignant de ne pas avoir à le compter, c’était affirmer un pouvoir arbitraire que je ne possédais pas.

Savoir mesurer le temps, les différences entre la perfection et la malfaçon, associée à son action tenait en grande partie à la vitesse d’exécution de l’opératrice. Tous les relevés de temps consacrés au décompte des heures et des ratios de productivité, qui servaient de référence pour les rémunérations aux pièces. A chaque jour, étaient noté le nombre de pièces effectuées et le salaire qui devrait y correspondre.

Durant mes journées, je quantifiais la répétition des gestes, la monotonie des tâches, la fatigue et l’humiliation qui se traduisaient par une alternance désordonnée entre les considérations techniques émises par la hiérarchie et les disparités relatives aux salaires. Je pressentais que l’organisation du travail à l’usine faisait naitre une forme de déracinement par les relations qu’elle imposait aux salariés de production, entre la séparation du travail intellectuel et du travail manuel.

L’usine, dans sa condition, produit la rationalisation des tâches qui fait de cette manufacture autre chose qu’un simple lieu pour le travail que l’on pourrait quitter indemne dès la sonnerie libératrice. S’il faut, comme le dit Simone Weil, « laisser son âme au vestiaire » à chaque fois qu’on y pénètre, il est à craindre qu’une désappropriation de son travail, associée à la perte de sens de sa propre vie, survienne.

J’assistais chaque matin à l’arrivée de centaines de salariés, et l’ouverture des portes de l’usine forgeait en moi, une vision qui révéler la manière dont les ouvrières et les ouvriers s’extirper de leur torpeur pour aller accomplir leur engagement professionnel. Je notais aussi les différences de comportement des contremaitres, des cadres et des administratifs qui, eux s’arrogeaient toutes les dispositions pour exhiber leur statut social, comme un défilé dans lequel il fallait « être », passant par des entrés distinctes, utilisant des emplacements réservés pour leurs véhicules. L’ouvrier était détourné de son statut d’homme, faisait allégeance, soumis aux contraintes sociales imposées, avec comme conséquence la perte de son emploi, s’il ne les respectait pas. C’est ce surgissement des privilèges qui fait dépérir l’égalité entre les individus et crée un système de pouvoir qui est à la base de l’oppression.

Les conséquences de la misère et du travail de masse, se trouve dans l’apport de Simone Weil, et je ressentais cette situation, conjuguer avec mes origines sociales, celles de mes parents et le milieu dans lequel j’opérais. Et la soumission peut paralyser la pensée presque aussi sûrement que la terreur peut la faire taire. La dignité est sur le plan social aussi nécessaire que la vérité l’est sur le plan politique.

Pour Simone Weil, « l’homme serait condamné à être opprimé ». Au fur et à mesure que l’individu se libère des violences sociales, il subit alors l’oppression d’une société de production dont les moyens et les fins lui échappent. Survient alors le clivage entre ceux qui pensent et coordonnent et ceux qui exécutent. L’oppression, qui engendre non pas la révolte mais la soumission, tend constamment à augmenter, car celui qui détient le pouvoir doit lutter, soit pour le maintenir en l’état, soit contre la désobéissance des subordonnés et contre les appétits des concurrents qui veulent s’emparer de son pouvoir.

L’émancipation de cette oppression ne saurait, malgré une réorganisation totale du travail, malgré le syndicalisme qui représente alors la société libre et la résistance des individus, être convenable, tant la collaboration et la collusion des représentants syndicaux participent plus à la défense de leurs intérêts personnels que de ceux des salariés qu’ils sont fondés de défendre.

Je dénonçais, déjà, l’abrutissement et l’abêtissement des salariés, manipulés par les discours technocrates, faisant passer ce qui était perçu négatif comme indissociable d’une vie meilleure, légitimer par les experts sur les médias locaux et nationaux. A consulter les grilles des programmes des médias télévisuels et écrits, je pense que la pensée et la liberté ne sont pas pour demain, que l’oppression a encore de beaux jours devant elle, et pour longtemps.

Ils appelaient cela, entre eux, des « trajectoires« . Plus précisément, des « trajectoires d’effectifs« . C’est le terme qui revenait apparemment dans les directives, les circulaires fixant des « objectifs » qui descendaient du sommet à la base, et dans les rapports qui remontaient de la base au sommet. Ce mot, « trajectoires« , servait à masquer la réalité de la chose : des démissions forcées. Virer les plus fragiles, les irrécupérables, les familles mono parentales, trop souvent marquées par l’absentéisme, les « marqués » politiquement.

Si ces nouvelles s’étaient difficilement trouvées une place à la une des médias du matin, dans l’hystérie médiatique ambiante, elle pesait d’un poids pourtant considérable. Pour faire partir les « invirables », on les écœurait, afin de définir une « déstabilisation positive« . Ce dévoilement de la novlangue médiatico-libérale, on n’osait pas rêver d’y assister un jour.

L’organisation du travail à l’usine, telle que je l’appréhendais, telle que la pratiquais, était un modèle pour comprendre ce que définit cette réduction du monde. Dans la manufacture, l’organisation du travail procédait de la logique de la production mise en forme par la rationalisation, supposait la possibilité de circonscrire chaque geste pour des fins prédéfinis, impliquait l’application d’une telle attention, qu’aucune absence ne pouvait être tolérer.

Souvenons-nous des explications de Taylor, « Observer les mouvements instinctifs et les appétits des ouvriers, de comprendre par où il faut les approcher et par quels moyens contenir non seulement leurs mouvements mais aussi leurs comportements ».

Au-delà de l’organisation, de la division du travail, ce sont les privilèges et non la propriété qui sont à l’origine de l’oppression. 

Les écrits de Simone Weil sont d’une étonnante actualité, « Le chaos de la vie économique est évident. Dans l’exécution même du travail, la subordination d’esclaves irresponsables à des chefs débordés par la quantité des choses à surveiller, est cause de malfaçons et de négligences innombrables ; ce mal, d’abord limité aux grandes entreprises industrielles, s’est étendu aux champs, là où les paysans sont asservis à la manière des ouvriers ».

Après chaque étape de ma vie professionnelle, j’ai exercé le droit « de dire non », non à la poursuite de mes responsabilités dans cet environnement, au risque de « perdre mon âme », au risque de devoir repartir à zéro. Ayant acquis suffisamment de compétences pour exercer de nouvelles missions, je décidais de m’investir sur un nouveau projet en collaboration avec une société qui me confiait une responsabilité de gestion d’une unité de production, en totale autonomie.

Mes passions pour les lectures de livres de management s’étant éteintes, je m’orientais de plus en plus vers des thématiques de réflexions qui pourraient étayer ma conscience sociale et humaniste. Mes années passées avaient été marqué par les mouvements pacifistes menées aux Etat Unis en faveur de la discrimination raciale, par la façon dont l’Inde avait conquis son indépendance sans une guerre coloniale et par les rebellions en Afrique du Sud contre l’Apartheid.

Passionné d’histoire et de philosophie politique, je me convertissais à la lecture d’ouvrages portant sur les causes et les résolutions de ces conflits à la fois politiques que sociologiques. La découverte du concept de désobéissance civile m’interpella et je m’attachais à la compréhension de son origine.

Ainsi, la lecture de « La désobéissance civile » de Henry David Thoreau changea mon existence et me donna les armes pour lutter contre un environnement économico-social que je ne comprenais plus, ou plutôt, trop bien.

Les études politiques situent l’origine moderne de la désobéissance civile à Etienne de La Boétie qui écrit vers 1548 son fameux « Discours de la servitude volontaire ». Dans ce texte, La Boétie fait la démonstration étonnante que ce sont les peuples qui sont responsables de leur propre oppression. Tout simplement, nous dit-il, « parce que le tyran tient son pouvoir et sa force de l’obéissance servile de ses sujets, et si le peuple ne fait rien pour refuser cette servitude, c’est qu’il l’accepte », d’où l’expression paradoxale de servitude volontaire.

Plus tard, les philosophes des Lumières vont être amenés à s’interroger sur l’attitude du citoyen, lorsque les libertés fondamentales sont bafouées par le gouvernement. Certains philosophes vont mettre l’accent sur le droit de résister au pouvoir lorsqu’il ne respecte pas, de manière flagrante, les principes fondamentaux du contrat. Le philosophe anglais John Locke estime que le peuple est fondé à s’insurger contre les abus du gouvernement, voire à instaurer un nouveau gouvernement, « Si les hommes font les lois pour régler les actions des membres de l’Etat, elles doivent être aussi faites pour les leurs propres et doivent être conformes aux attentes des citoyens ; sur les lois fondamentales ayant pour objet la conservation des individus, il n’y a aucun décret humain qui puisse être bon et valable lorsqu’il est contraire à ces lois».

Au-delà de notre vielle Europe, c’est lors de la Révolution Américaine, que se produisit l’un des actes de « désobéissance civile » les plus reconnu de l’histoire américaine, la célèbre « Boston Tea Party ». Le 16 décembre 1773, pour protester contre les taxes sur le thé et contre les restrictions britanniques sur les exportations et les importations, les colons, déguisés en Amérindiens, investirent des navires de la compagnie britannique et jetèrent à la mer toute leur cargaison de thé. Cette « Boston Tea Party » sera suivie par un boycott des marchandises anglaises, puis par la fermeture du port aux navires anglais. C’était l’un des premiers actes de désobéissance collectif revendiqué comme tel.

Thomas Jefferson (1743-1826), le principal rédacteur de la Déclaration d’Indépendance Américaine, et troisième Président des Etats-Unis, justifiera cet acte de désobéissance par ces mots, « Il existe des situations extraordinaires qui exigent une interposition extraordinaire. Un peuple exaspéré, qui sent que le pouvoir est entre ses mains, ne se laisse pas facilement contenir dans de strictes limites ».

Nous devons noter aussi que la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis précise « que le gouvernement n’a de légitimité que dans la mesure où il respecte et fait respecter les droits fondamentaux ». Elle indique que « les gouvernements sont établis parmi les hommes pour garantir leurs droits inaliénables. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’établir un nouveau gouvernement, en le fondant sur les principes et en l’organisant de la forme qui lui paraîtront les plus propres à lui donner la sûreté et le bonheur ».

Thoreau, dans son texte explique « qu’il ne suffit pas de condamner par la parole, les injustices, il ne suffit pas de voter une fois par an même dans le sens de la justice, il ne suffit pas de vouloir amender la loi injuste pour l’améliorer », la question que pose Thoreau à chacun est qu’il ne faut pas être soi-même complice de l’injustice que l’on condamne. Thoreau montre que notre responsabilité d’individu est engagée dans l’injustice lorsqu’on obéit à la loi qui engendre l’injustice. « Si la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne ».

Thoreau fonde ainsi le devoir de désobéissance de l’individu face à l’Etat. L’homme juste affirme sa liberté et sa dignité par un acte d’insoumission qui le met en accord avec sa conscience. L’acte de désobéissance doit être authentique, c’est-à-dire qu’il faut être prêt à assumer les conséquences de son acte. « Sous un gouvernement qui emprisonne quiconque injustement, la véritable place d’un homme juste est aussi en prison ».

Si je me suis décidé à parler ainsi, ce n’est pas que je vise à atteindre la notoriété tant recherchée de nos jours ; je suis suffisamment lucide pour refuser toute compromission mais je souhaite plutôt modestement essayer de rendre la Lumière aux plus humbles d’entre nous, aux plus démunis, aux plus préoccupés par notre évolution sociale, aux plus sensibles pour le respect de nos valeurs. Mais je juge qu’il s’agit surtout de la motivation d’un citoyen impliqué, qui estime que faire passer ses convictions au service du bien public, ne peut produire que des effets salutaires.

Mais depuis quand voit-on nos dirigeants politiques, économistes, chefs d’entreprises se préoccuper des problèmes sociaux, des contraintes professionnelles, des craintes de l’avenir, des ambitions de leurs citoyens ?

Quelle éducation pour nous, nos enfants ? Quel projet social pour nos familles ? Quelles propositions pour développer l’emploi des jeunes, des sans ou peu diplômés, des seniors, des français issus de l’immigration ? En quoi vos institutions peuvent contribuer à améliorer notre quotidien ?

Ils préfèrent sacrifier aux faveurs médiatiques du moment, les intérêts des salariés ; eh bien, que croyez-vous qu’il arriva ?  

Pouvoir de tous les leurs, profit pour leurs affidés, corruption pour tous et leurs conséquences sociales supportées par les salariés.

Et honte à eux face aux résultats de leurs politiques sociales au service des puissants et contre les plus modestes !

Comparons, citoyens, la façon d’agir de nos anciens et la nôtre. Que des informations spectaculaires, des exemples concrets des pratiques et des comportements de nos gouvernants, pour une communication communicante à grand spectacle

Monopolisant l’espace médiatique proposé par des patrons de presse à leur service, ces hommes, ces experts ne cherchent qu’à plaire et paraitre auprès des citoyens et des salariés français afin d’obtenir l’adhésion à leurs funestes projets.

Pendant que nos dirigeants historiques essayaient de construire des entreprises solidaires et dynamiques, tentaient de servir leurs citoyens, développaient un environnement favorable au développement des affaires, assuraient la promotion des valeurs d’éducation et de travail, le tout avec l’objectif de favoriser « l’ascenseur social » espéré par tant de gens modestes et de sans grade.

Qu’est-il arrivé ?

Vous, dirigeants de pacotilles avaient le champ libre sur l’espace médiatique, à votre service, sur l’économie que vous orientez, en fonction des intérêts de vos serviteurs, dans le domaine social pour lequel vous prononcez des lois scélérates destinées à maintenir les plus démunis dans une plus grande dépendance encore, avec pour seul souci de les faire taire, sur vos choix économiques qui vous permettent de décider des textes parlementaires, sans tenir compte des difficultés de la population, spoliant ceux-là même, qui ont élu vos suppôts.

Et si tout va mal pour une majorité de citoyens français, tout va pour le mieux pour quelques-uns !

Regardons les richesses produites aux profits de quelques magnats industriels, de quelques représentants politiques élus ou pas, de quelques membres des gouvernements successifs, de quelques dirigeants de société privé ou publiques, de quelques stars du système médiatique, sportifs ou du show-business, et vous comprendrez que, depuis cette date fatidique, nous avons été dépouillés de nos biens, de notre éducation, de nos emplois, de notre argent, de notre fierté, de notre solidarité et de notre futur !

Et surtout observons tous nos dignes représentants, politiques, dirigeants d’entreprises, syndicalistes : d’obscurs, ils sont devenus honorés, entourés de leur garde personnelle, de leurs communicants chargés de leur promotion, comme une vulgaire marchandise. Plus la société s’est abaissée, plus ils se sont élevés !

Et de toutes ces conséquences, quelles en sont les causes ?

Parce que nous avons accepté toutes ces dérives de la part de nos dirigeants !

Parce que nous avons laissé le pouvoir à nos gouvernants !

Parce que nous avons accordé notre confiance à nos représentants !

Parce que nous avons crus à leurs promesses !

Parce que nous acceptons notre servitude comme notre destinée !

Parce que, finalement, nous n’avons que les dirigeants que nous méritons !

Instruits de cette situation, ils se sont accaparés de tous nos pouvoirs, de toutes nos libertés, de toutes nos faiblesses, et maintenant, nous peuple, spolié, pétrifié, ne sommes là que pour fournir le nombre suffisant d’électeurs, lors des consultations électorales afin qu’ils bénéficient de leurs quotas de voix !

Et, comble du sacrifice, en période de festivités, d’élections, ou autres spectacles qu’ils nous offrent avec notre argent, nous pensons leur devoir comme de la reconnaissance.

Abordons en détail les aspects de notre servitude moderne, au regard de cette situation sociale pour ma part inacceptable.

Tous les domaines sont concernés, passant de la politique aux aspects sociétaux, des enjeux économiques aux contraintes environnementales.

Les racines de la résistance civile nous permettent de mettre en œuvre les formes les plus diverses de l’indignation et de la résistance, deux formes de luttes contre la globalisation culturelle unique et motivée par l’acculturation des peuples.

J’opposerai là, les formes violentes, non productives, aux pratiques non-violentes, efficaces méthodes de contestation des pouvoirs en place, la seule à promouvoir, de tradition philosophique profonde, qu’exprime la désobéissance citoyenne et civile, comme une pratique authentique de la résistance aux servitudes subies ou encouragées.

Au moment où de nombreux citoyens sont portés par une rage profonde contre les dirigeants économiques mais restent dans l’inaction, ne sachant quels aboutissements donner à leurs revendications, il est temps de rappeler l’existence de la désobéissance civile, et de l’ériger comme levier d’action incontournable à une époque où les moyens techniques numériques offrent toutes les solutions pour relier entre eux les citoyens conscients des dérives oligarchiques et populistes de nos gouvernants.

La première raison qui nous y incite est la soumission dont nous sommes tous coupables à travers nos actes, nos décisions, perçus comme de non-actes, à la source de nos désillusions.

Par confort, par intérêt, par habitude, par distraction, par passivité, nous nous soumettons aux servitudes que fait peser sur nous le pouvoir et nous sommes prêt à renoncer à nos libertés. Alors, la seule réponse possible prend le nom de « résistance ».

Alors que les pouvoirs nous soumettent à leurs désirs de puissance par des pratiques allant invariablement du haut vers le bas, nous ne pourrons résister qu’en organisant des processus de non-collaboration, de non-participation, de passivité active remontant du bas vers le haut du pouvoir.

A un moment où nous tous, consommateurs et acteurs du monde économique, disposons de tous les leviers pour imposer des pratiques politiques, financières, sociales et environnementales, pourquoi ne les utiliserions-nous pas ?

Alors que, souvent, nous participons, par notre soumission à des modes de fonctionnement sociaux inacceptables, à des abus de pouvoirs de la part de nos dirigeants, et ce à notre détriment, à notre misère, nous, citoyens éclairés et concernés, devons être résolu à ne plus servir ces représentants et alors nous obtiendrons la liberté de transformer ce monde dans lequel nous nous inscrivons.

Et si nous parlons des libertés, de notre liberté, il est un moyen sur lequel nous devons méditer et surtout ne pas déroger. La conscience, la liberté de conscience ne peut être profanée, quel que soit le type de pouvoir, quels que soient les modalités de représentation. Le fait de pouvoir élire librement nos représentants, ne supprime ni les dominants, ni les dominés.

La liberté de conscience se situe au-dessus de toute autre liberté. Aucun absolu de contrainte, de sécurité, de contrôle, absolument aucune injonction ne peut justifier qu’on outrage les consciences. Dans ce que transmet l’apprentissage, on le sait tous, même se tromper, au-delà d’un droit, constitue une source de créativité !

La conscience, objet de toutes les attentions bonnes et mauvaises, ne peut souffrir d’une quelconque faiblesse. Cette force morale propre à chacun de nous transportera tous les individus vers la réflexion, vers la recherche des solutions les mieux adaptées à la résolution des divergences, vers la non-soumission, qui ensuite débouchera sur les actions de désobéissance citoyenne.

La résistance civile nous renvoie à nos démissions quotidiennes : Acheter des produits fabriqués dans des pays dans lesquels les salaires sont misérables et les salariés ramenés à des statuts d’esclaves, accepter des hausses démesurés d’impôts nationaux ou locaux pour financer des dépenses sans aucune justification, ni économique, ni sociale, pendant que les actionnaires, dirigeants de grandes firmes, banquiers construisent des plans d’évasions fiscales, ou tout simplement en élisant des représentants corrompus, mis en examen , se complaisant dans la fraude fiscale.

N’a-t-on pas le droit et le devoir de résister contre des pratiques qui nous amènent tout droit vers la paupérisation des peuples ?

Utiliser le droit se révèlerait la solution la plus juste. Cependant, il me semble que le devoir s’impose pour toute résistance civile. Et même si le droit n’apparait à l’évidence pas, il n’y a aucune conséquence de s’adosser à des pratiques de désobéissance citoyenne, dans la mesure où nous avons le devoir d’intenter ce type d’action. On peut définir ce type d’action comme la résilience des citoyens à la domination, à l’assujettissement, à la souffrance, à l’injustice qui ne passeront pas par nous.

Chaque individu concerné n’a pas à éliminer ses conceptions politiques, savamment instillées dans la conscience de chacun d’entre nous, mais a le devoir de ne pas y collaborer et en conséquence d’utiliser les moyens de résistances dont nous disposons. En se comportant en individu fier de ses idéaux, en agissant efficacement contre les tous puissants, coupables de la distraction abrutissante qui nous manipule et nous trainent vers la soumission, en consommant dignement des produits issus de producteurs responsables, en refusant tous les mensonges des communicants, je m’oppose aux responsables politiques, économiques et médiatiques qui m’indignent par leur comportement et par leur immoralité. J’ajoute qu’il n’est pas besoin de se réunir en comité, association ou autre groupuscule, prôner la violence pour s’attaquer à ces servitudes, mais de favoriser des prises de positions adaptées à chaque problématique et d’être acteur des actions attendues par les citoyens.

Je voudrais porter à la conscience de tout un chacun que la révolution numérique, du point de vue de la philosophie et de l’éthique de la technologie, ne produit pas les effets sociaux et politiques dont les médias nous assomment en permanence ; ce n’est que de la « spectacularisation » car les réseaux socio-numériques commerciaux ne contribuent pas à la promotion d’une culture de résistance.

Si nous savons utiliser ces outils communicationnels, avec une dimension d’éthique comportementale pour des actions soutenables et efficaces, alors se produiront des effets inespérés dans la conscience des citoyens et de tous les individus.

Si nous savons mobiliser les supports technologiques, au service d’une nouvelle forme de résistance, qui présentent un formidable potentiel pour diffuser une prise de conscience des désastres vers lesquels nos dirigeants nous attirent, alors nous pourrons fonder des espoirs illimités pour soutenir nos indignations, pour convertir les idées en actions et contribuer au renforcement d’une nouvelle culture de résistance et de désobéissance civile.

N’oublions pas et méditons sur la réflexion, vielle de plus de vingt-cinq siècles, de Confucius, « Si un État est gouverné par les principes de la raison, alors pauvreté et misère sont des sujets de honte ; si un État n’est pas gouverné par les principes de la raison, alors richesses et honneurs sont des sujets de honte ».

Ce texte incarne et résume mes réflexions sur mes idéaux et mes « résistances » lors de mes différentes expériences professionnelles.

Après chaque injonction de mes hiérarchies, j’ai adopté un comportement d’abord de compréhension, puis d’analyse, ensuite seulement d’acceptation selon les intérêts que j’avais à défendre, les miens et ceux sur lesquels je devais exercer mes responsabilités, et qui donc, voyaient leur futur dépendre de mes décisions.

Mon parcours, en tant qu’homme pourrait être symbolisé par une succession de refus, d’insoumissions, mais aussi totalement investi dans mes missions en tant que responsable. Pour cela, il m’était impossible d’avoir le moindre échec qui compromettrais mes volontés de contribution au développement économique et social des collaborateurs avec qui je partageais les finalités des entreprises.

En cela, je me rapprochais d’un auteur et d’un texte qui a contribué à mes idéaux, je parle d’Albert Camus, dans « L’homme révolté » dans lequel il dit, « Qu’est-ce qu’un homme révolté ? un homme qui dit non », le non symbolisant l’existence d’une limite, d’une frontière au-delà de laquelle, tout comportement est intolérable. Le refus de collaborer est profondément positif puisqu’il révèle ce qui, en moi est toujours à défendre. L’insoumission est le fait du salarié informé, qui possède la conscience de ses droits.

Il existe une filiation entre Simone Weil et Albert Camus sur leur intransigeance vis-à-vis de la vérité dans le réel. Mes décisions traduisirent dans n’importe quelle situation sociale et économique la même fermeté quant aux accusations possibles. Ainsi, je n’eus pas de difficulté majeure à justifier mes choix, je n’eus pas à renouer avec la vérité que j’eusse trahi délibérément et je n’eus point à subir une perte d’estime de moi-même qui y conduit dans ces circonstances.

J’exercer ma lucidité, voir au-delà des fausses évidences, en refusant le manque de respect à mes collaborateurs et en leur apportant l’espoir. Mes pratiques managériales m’interdisent de rechercher, « le ou les coupables », toujours la quête du bouc émissaire, responsables de tous les dysfonctionnements, privilégiant en cela la compréhension de l’environnement, laissant l’espoir à des jours meilleurs. Le monde est si complexe que les changements ne pourront se faire que progressivement, sans pour autant condamner les aspirations issues de la rébellion toujours possible.

Adopter le refus, la désobéissance, c’est user de l’abstention volontaire à défaut de pouvoir agir selon ses croyances. Par cette attitude, je démontre que, malgré mon absence de pouvoir, je ne cautionne pas les décisions, les choix qui me sont imposés, et dans l’adversité, je me réapproprie une partie de mon existence. Retrouvant ainsi le peu de pouvoir qui se rétrécit à chaque instant, renonçant à l’échec, refusant les compromis, plutôt les compromissions, acceptant ce qui me semble bon pour les individus, apportant la preuve de l’obstination, et recommencer encore et encore, pour être juste entendu et reconnu.

Camus expliquait par le « refus de mentir sur ce que l’on sait » et par la « résistance à l’oppression », comment, malgré mes défaillances, mes incertitudes, mes doutes, j’ai sans cesse avancer, consenti à aller vers plus de vérité et vers plus de liberté.

Dans un monde médiatique ou la vitesse prime à la vérité, le souci de mieux informer, de mieux contribuer à la compréhension des événements sociaux doit nous engager sur la voie de la vérité, sans quoi nous perdrons toute la crédibilité durement acquise. Associer à des commentaires critiques, à l’émission de réserves, à des contradictions, à des commentaires argumentés, l’information portée par les dirigeants et les responsables permettra d’éclairer les salariés des réalités économiques et de gagner ainsi leur confiance. C’est à ce prix qu’une nouvelle forme de communication doit voir le jour, indépendante des conflits d’intérêts et des instances dirigeantes, afin de retrouver l’art de la critique, la pratique de la vérité et de la raison, sans quoi, ici comme ailleurs, tout sera dévalorisé.

Mes origines sociales, mon éducation, mes pratiques, me donnent à prendre conscience des difficultés des ouvriers, leurs façons de penser et il ne peut avoir à leur égard le moindre mépris vis-à-vis d’individus que je juge semblable à moi, à leur façon de se comporter, à leur manière de vivre ou de se tenir. J’expérimentais auprès d’eux, une forme de réconfort, une convocation à regarder leurs douleurs familiales et professionnelles, une invitation à réfléchir sur mon temps. A travers la morale politique d’Albert Camus, j’éprouvais une forme certaine de sensibilité ouvrière, faite de posture que j’appréciait telle que l’égalité plutôt que le prestige, la justice plutôt que la puissance. Cette sensibilité ouvrière, n’excluait pas, mais concourrait plutôt à des prises de positions qui n’admettaient pas l’absence de reconnaissance, la dévalorisation, l’humiliation. Chacun devait admettre implicitement que les rapports sociaux n’étaient pas seulement régis par des questions d’argent ou de profit, mais aussi par les sentiments qui nous interdisaient de sacrifier notre dignité, tout ce qui domine dans les relations entre les individus.

Albert Camus, dans le Mythe de Sisyphe, « Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir », nous donne à voir dans la représentation du salarié, de l’employé, du collaborateur, du manager cadre ou du dirigeant, comment nous faisons abstraction de l’essence même des femmes et des hommes au travail, engagés par le sens, la reconnaissance et l’espoir, ainsi malheureux comme la pierre que nous roulons, prélude à la souffrance, aux risques psychosociaux, à la dépression, au burn-out, et même au suicide.

La quête de la reconnaissance s’impose comme un enjeu managérial face à de multiples incertitudes des métiers. Les demandes d’autonomie, les indéterminations de parcours dans les restructurations et les complexités d’intégration socio-professionnelles, l’instabilité des recrutements et des conditions d’emplois manifestent une perte de sens au travail et une diminution, voire une absence de reconnaissance. La conscience de la disparition de ces qualités professionnelles ne peut que contribuer à une dévalorisation de soi-même, et donc à la démonstration que je ne me reconnais plus dans mon engagement au travail.

Mais c’est aussi l’impossibilité d’être reconnu par ses pairs, sa hiérarchie, sa famille et son milieu social, confirmant ainsi que ce qui ferait sens pour moi, ne ferait plus sens pour l’autre. Il s’agit donc de rechercher cette quête, de toujours lutter afin d’obtenir la confirmation de sa propre valeur pour soi-même et aux yeux des autres si l’on ne veut pas endurer le mépris social. Au-delà de cette recherche, de maintenir un espoir de progrès social pour soutenir les salariés dans une environnement économique toujours plus contraint et source de désespoir pour les femmes et les hommes déconsidérés.

Des âmes condamnées à errer éternellement, comme trop d’hommes et de femmes le sont encore dans les entreprises, les organisations, et les administrations, à rouler tous les jours de la semaine, toutes les semaines du mois, tous les mois de l’année, et parfois des années durant, encore et toujours le même rocher.

Nul ne peut se satisfaire de sa condition et des conditions dans lesquelles les élites tiennent les citoyens, c’est à dire dans la médiocrité et la couardise. Les responsabilités de chacun appellent au refus d’accepter les décisions qui sont contraire au bien-être du plus grand nombre et contribuent à la paupérisation d’une partie toujours plus grande de la population, environ quelques 50 Millions d’habitants dont, pour la grande majorité, les revenus diminuent, tout en augmentant en nombre, quand simultanément, une catégorie de personne de moins en moins nombreuse, environ 1%, possède le quart de la richesse nationale.  

Tout citoyen doit refuser de se retrouver en situation de dépendance intellectuelle, dans l’incapacité de penser par lui-même, avec pour seul horizon d’honorer ses obligations pendant qu’une minorité foule au pied ces mêmes exigences au détriment de la grande majorité des citoyens français.

Chaque individu doit contraindre les dirigeants politiques et économiques à écouter les exigences attendues afin de rendre l’autonomie, la responsabilité et la fraternité possibles, pour façonner les solidarités, fondée sur le respect de tout un chacun.

Les obligations des responsables politiques se reconnaissent dans la capacité des citoyens à retrouver et utiliser leur entendement critique pour permettre au plus grand nombre de participer et d’orienter les décisions politiques, tant au niveau local, que régional et national..

 La liberté de refuser, d’exiger plus de transparence, d’impulser des changements dévoilent que les individus sont maîtres de leur destin, aptes à raisonner par eux-mêmes, capable de secouer le joug des contraintes politiques et sociales.

Je démêle aussi les prescriptions des élites politiques et économiques, «ne philosophez plus, nous pensons pour vous ! »

Je discerne par ailleurs, des bruits qui me disent «ne rêvez plus, croyez en nous ! »

J’entends de tous côtés, «ne raisonnez plus, œuvrez pour nous !» ;

Et surtout, je flaire le «ne récusez plus et payez pour nous » !

En quoi, moi, salarié, employé, fonctionnaire, étudiant, retraité, petit commerçant, agriculteur, technicien ou cadre, homme ou femme, suis-je dans l’obligation d’accepter et de subir toutes les conditions imposées par des élus, des responsables politiques ou économiques qui n’apportent que le mépris et la misère du plus grand nombre et surtout des plus démunis ?

Surtout lorsque les porteurs de ces décisions, de ces projets de lois ne respectent pas eux-mêmes les plus minimes de conventions de loyauté et de transparence.

L’éthique oblige tout individu, qu’il soit représentant politique, dirigeant d’entreprise, élu local, départemental, régional ou national, ou homme et femme portant dignement ce pays qui nous a été légué par nos ascendants.

Le refus de tout arbitraire contraire aux intérêts du plus grand nombre, qui ne produit pas le bonheur des citoyens ne peut qu’être récusé par des actes de désobéissances civiles ou citoyennes. 

Les actes contraires devront être soumis à l’avis des citoyens pour en apprécier les fondements, leurs mises en application ou leurs désaveux. Cependant tous les individus qui iront à l’encontre de toutes ces décisions ne devront pas supporter l’injustice, mais au contraire exposer fièrement leur devoir de citoyen, en ayant contribué à démontrer les injustices induites par ces actes commis en leur noms par des représentants abusant de leurs pouvoirs.

Un gouvernement, des dirigeants qui ne trouvent pas indigne que leurs concitoyens, leurs employés usent de prérogatives pour obtenir la réalisation de leur autonomie, de leur responsabilité, de leur bonheur et de leur liberté obtiendra la reconnaissance de toutes ces femmes et hommes pour là et maintenant, et qui perdura au travers des générations. 

Et lorsque les entreprises, les hommes politiques reconnaitront enfin la dignité, la vocation pour la pensée libre, permettant à chacun d’utiliser sa pleine conscience aux décisions collectives, alors cette forme de raisonnement irriguera le plus grand nombre jusqu’à devenir la forme ultime de la cohésion au service de tous.

« Ayez le courage de vous servir de votre propre entendement ! » Emmanuel Kant

« Soyez résolus de ne plus servir, et vous voilà libres ». La Boétie